La SNCF demain, l'Europe à minima

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation (mise à jour 1er juillet 2013)
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Sans surprise. C’est ce que l’on peut titrer de la remise - ce lundi 22 avril 2013 par Jean-Louis Bianco - d’un rapport sur le réaménagement de la gouvernance du rail français. Il ne fait que confirmer ce qui était déjà inscrit dans les astres depuis les Assises ferroviaires de l’automne 2011 : un retour à la société intégrée chargée de rassurer avant tout les cheminots. A décharge, ce rapport s’inscrit aussi dans le cadre de la réparation d’une très mauvaise idée qui fut, non pas d’envisager un gestionnaire d’infrastructure en tant que tel, mais d’obliger ce dernier à déléguer tous ses travaux de voies à la seule SNCF. Il colle au millimètre près à la nouvelle majorité présidentielle choisie par les français en mai 2012, et qui entend mettre au pas une Europe très mal jugée au sein de l'Hexagone. Rien de très neuf sur ce plan.

Quel objectif ?
Comme déjà énoncé lors de deux billets précédents (1), la France ne peut se défaire de l’idée de grandeur de son appareil d’état, c’est dans ses gènes, et nous dirons qu'elle n'est pas la seule à ressentir "la fibre nationale". Il n’était donc pas pensable de dépecer la SNCF pour n’en faire qu’un simple transporteur. Reste que Bruxelles a les capacités juridiques de sermonner les Etats membres  qui ne transposent pas – ou mal – les directives européennes dûment votées par le Parlement Européen. C’est donc par le biais de vastes contorsions sémantiques que l’on arrive à la fois à revenir à l’ancien système tout en sauvegardant la face en ne reniant pas les principes de base énoncés par la Commission. Tout un programme, et c’est le sens du rapport présenté ces jours-ci.

A l'avenir, les collectivités locales devront faire des offres européennes. En se passant de la SNCF ? (ph Bindonlane)


Le rappel d’un tel remue-ménage
La gouvernance ferroviaire est décidément le sujet de 2012-2013 et on peut s’étonner qu’il s’agisse là d’une priorité alors que la mobilité et le développement durable occupent tout l’espace médiatique. La célèbre directive 91/440 - munies d’un arsenal d’obligations complémentaires - aurait dû suffire à elle seule à revitaliser un chemin de fer en chute libre dans les parts de marché du transport terrestre européen. En participant à des petites structures en filiales, mieux adaptées au particularisme du fret et à la segmentation des marchés, en construisant des sillons libres sans remettre en cause ceux utilisés par le service public, le chemin de fer intégré et unitaire aurait pu recouvrer une meilleure santé et un dynamisme nouveau, ce que fît la Suisse.

Las, pour tous les Etats membres, cette configuration menait tout droit à l’affrontement idéologique, car ce n’est rien d’autre que cela. Par conception en effet, le chemin de fer reste un sujet sensible aux troubles idéologiques et très facilement paralysable. Il est prisonnier d’un imaginaire collectif qui veut qu’il soit le transport des petites gens, procurant des emplois peu qualifiés pour les petites gens. Raison pour laquelle il reste sous surveillance étatique rapprochée, à l’inverse d’autres industries de réseau telles les télécommunications ou l'énergie qui se sont habitués à une ambiance plus ouverte, plus internationale (2). Le rail a de plus le désavantage d’engendrer des coûts d’exploitation que n’égalisent pas ses recettes, tandis que les autres transports à énergie fossile rapportent des taxes. Un cruel constat qui n'a pas échappé aux parlementaires qui gèrent les deniers publics. En dehors d’une volonté de remettre le chemin de fer à une meilleure place dans le monde des transports, les arguments de défense du rail tournent inlassablement autour de la défense de l’emploi statutaire, sensé garantir une qualité de service bien meilleure qu’un travailleur contractuel. La justification d'une telle discrimination est encouragée par les syndicats, faisant juste valoir qu'un travailleur contractuel engendrerait des problèmes de sécurité. Toujours est-il que ce discours d'immobilisme affirmant que les recettes d’hier feront les meilleurs plats de demain, nous indique un basculement assez inédit du conservatisme, que l’on croyait à droite…

L'Europe et ses directives n'enchantent pas les souverainistes ferroviaires (ph Sébastien Bertrand)


Une revitalisation culturelle
En voulant mettre de l’ordre dans les chemins de fer, l’Europe voulait faire coup double : détacher un tant soi peu ces mastodontes de la sphère étatique pour en faire un marché (3) et l’englober dans une politique des transports en vue d’un hypothétique transfert modal (4). Croyant que cela irait de soi, la Commission dû faire face à de nombreuses réticences et dû mettre en place un des plus gros arsenaux législatifs qu’ait eu à connaître le monde des transports terrestres (5). Une timide revitalisation fut dès lors constatée mais elle demeure de nos jours très inégale d’un Etat-membre à l’autre (6). Outre diverses interprétations juridiques des directives de la Commission, il faut y ajouter surtout la mosaïque culturelle – et donc politique – que représente notre beau continent (7).

La France en trois EPIC
On se rappellera que sur base d’une décision de la Cour de Justice, la Commission fût rappelée à l’ordre et ne pouvait pas tel quel s’opposer à une structure en holding en dépit du risque avéré de collusion entre l’infra et le transporteur national. Un temps embarquée dans ce combat idéologique anti-Bruxelles, la France s’est discrètement éloignée de l’enthousiasme pour le concept allemand en constatant que les fondations du rail outre-Rhin restaient imbuvables aux yeux des syndicats hexagonaux. La solution pour dompter la rue ? Une structure étatique constituée de deux entités chapeautées par une troisième regroupant les ressources humaines, afin de garantir le statut. Surprise : il s’agit de la même structure mise en place en 2005 en Belgique et qu’il a fallu modifier après le constat navrant que ce furent les deux filiales qui contrôlaient la maison-mère. En France, personne ne fait mystère que ces contorsions sémantiques visent à rassurer Bruxelles tout en restaurant le retour SNCF. Un appel pluri-disciplinaire fût, à ce titre, adressé en juin 2013 au Président de la République, craignant le retour d'une SNCF surpuissante et monopolistique (7). Reste l’épineuse question de la dette.

Retour à la case départ (ph Zigazou76)


La grande question de l'argent
Important, la finance ? Et comment, c’est même un point crucial. L’ombre de la dette a survolé tout le débat, non sans raison. Collée à RFF à hauteur de 33 milliards € (prévu fin 2013), le gestionnaire doit continuer de lever chaque année une somme de 5 milliards € l’amenant à solliciter régulièrement les investisseurs. En clair, la dette est  - comme toutes les autres - surveillée par les marchés financiers. Il ne fait guère de doute que ceux-ci surveillent de très près l’évolution de la gouvernance et l’ambiance actuelle crée une incertitude sur les taux d’intérêts, très malsaine pour les finances publiques. Côté politique, la question des milliards en contributions publiques, par rapport aux bénéfices sociaux escomptés, pose des interrogations dans les milieux parlementaires. Or ce sont ces derniers qui votent les budgets, tant en régional qu’en national. Qu’auront-ils comme arguments en faveurs du rail si ce n’est la pression syndicale ? La Suisse a montré qu’un service ferroviaire dont le réseau reste ouvert à une forme contenue de concurrence fret ne remettait pas en cause le transport public, bien du contraire. L’Europe d’ailleurs n’entend pas réduire ledit service public mais voudrait le voir exploiter à coûts moindres, sans sombrer dans le dumping social. En Allemagne, c'est une agence gouvernementale qui prend en charge les 17% de surcoût du statut des agents d'Etat ! Il existe donc plusieurs solutions pour tenter de remettre le train sur les rails, mais ce sont les têtes qui doivent bouger. Et pour le moment, c’est le conservatisme qui fait figure d’avenir.

Une Europe ferroviaire allemande ?
En définitive, il est acquit qu'en l'absence d'Europe fédérale dont personne ne veut (8), la gouvernance du rail va devoir s'accorder avec chacune des architectures institutionnelles nationales. La réforme française s'accorde donc bien sur celle de l'Hexagone. Si on veut réellement de l'Europe, il faut dès lors une cohabitation de systèmes organisés autour d'idéologies différentes avec une mise en réseaux interconnectés, à condition bien-sûr que les flux soient libres de circulation, donc avec frontières ouvertes mais régulées. Bien entendu, le document de Jean-Louis Bianco n'est qu'un rapport et rien n’est coulé dans le béton au niveau législatif. Après les élections européennes de 2014, d’autres soubresauts seront à prévoir parmi lesquels une Allemagne qui veillera au grain : elle ne fait plus mystère de sa politique de conquête et entend percer toutes les murailles existantes, françaises incluses. L'Allemagne serait-elle l'Europe ferroviaire de demain ? La bataille continue...

(1) A relire : RFF – SNCF, qui décide du rail en France ? et SNCF-RFF : marche arrière gauche, toute ! 

(2) A relire : Le chemin de fer, cette "chose" nationale

(3) A relire : l’exemple britannique, marché le plus ouvert de la planète

(4) A relire : le train en mode survie (2013)

(5) Le résumé de cette législation se trouve à ces pages

(6) A relire : Open accès 2012


(7) A lire : l'appel des professionnels sur www.mobilicites.com

(8) Un article de circonstance, hors du rail : Que les pro-européens lèvent le doigt !