La gratuité, c'est pour personne ou pour tout le monde
L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 

La semaine du 1er mai 2013 en Belgique a signifié la fin de la gratuité des transports publics pour les seniors de plus de 65 ans. La même mesure fut prise le 1er juillet suivant en Wallonie par la SRWT, qui chapeaute le transport par bus et tram. La ville de Hasselt a stoppé l’expérience, alors qu’elle se poursuit à Mons et vient d’être mise en œuvre à Tallinn. L’occasion de revoir les conditions d’accès et de juste prix du transport public.


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Une idée politique
Le développement durable est la grande question sociétale qui agite le landerneau politique depuis les années 90 et il est acquit que la politique du tout à l’auto menait à un mur. Au niveau local, de nombreuses villes ont « repiétonné » leur centre historique et les artères marchandes se sont muées en aires sans auto. La gratuité des transports publics pouvait dès lors correspondre à l’encouragement d’utilisation des bus et des trams, ces derniers bénéficiant d’un soudain regain d’intérêt dans de très nombreuses villes d’Europe. Les promoteurs initiaux de la gratuité y voyaient le moyen de transférer une part substantielle des automobilistes en les invitant à laisser la voiture au garage. Cette belle idée généreuse locale a bien évidemment gravit les échelons pour aboutir aux niveaux des pouvoirs régionaux et nationaux. Ce concept fut rapidement perçu comme très vendeur électoralement et sest finalement inséré dans l’ensemble du discours politique, tant à gauche quà droite. En parallèle, plusieurs études mentionnaient les avantages de la gratuité en faisant miroité que les coûts supplémentaires pour le contribuable était largement compensé par l’utilisation moindre de la voiture individuelle au niveau du bilan carbone.

Le bus : il mène partout mais il coûte en exploitation (Norvège,  photo Topguy)
Quels publics ?
Deux options différentes sont observées : la gratuité pour tout le monde comme l’ont instauré une trentaine de villes moyennes d’Europe ; la gratuité partielle destinée à un public cible, comme par exemple les étudiants ou les seniors. Le premier cas se réfère davantage à une politique de mobilité et de désengorgement des centres-villes ; le second cas est un choix plus politique basé sur la distinction des publics selon des critères socio-économiques, tout en conservant un accent développement durable. Dans les deux cas de figure, les deniers du contribuable sont sollicités pour renflouer le service. Le premier cas est proposé à Mons, Chateauroux ou récemment, Tallinn ; le second cas fut proposé par exemple chez les trois grands du secteur en Belgique – TEC, De Lijn, STIB – et prit fin courant 2013 ! On le retrouve ailleurs dans toute l’Europe sous des formes variées.

Qui paye ?
C’est la question qui fait chauffer les esprits : dans les deux cas de figure, cela ne peut se faire que via les subventions, donc l’impôt. La question devient plus sensible en cas de publics cibles : les ménages au travail ont le sentiment de payer pour les autres et le font savoir à leurs élus. Des chiffres ? La billetterie pure, en cas de transports payant, ne rapporte en recettes que de 30 à 40% des coûts d’exploitation globaux, selon les villes et les sociétés d’exploitation. Le reste est couvert par des subsides octroyés par la ville, la région voire l’Etat selon les cas.  En cas de gratuité totale, la couverture est évidemment complète et ceux qui n’utilisent pas les transports publics payent pour un service non consommé. En cas de gratuité ciblée, des catégories de population payent en quelque sorte trois fois : une fois en global via impôts, une deuxième fois en mixte impôt + prix du billet pour renflouer le manque à gagner des bénéficiaires de la gratuité, et enfin une troisième fois pour leur propre consommation. A Mons, la ville rembourse ainsi les 372.000 € que coûte la gratuité, complété par 1,1 million € provenant de la région wallonne, le tout pour 4 circuits de bus convoyant 6000 personnes par jour en moyenne.

La marche à pied reste le meilleur moyen de transport... gratuit (Amsterdam, photo Multerland)
Des exemples
Le site wikipedia a recensé, avec quelques fautes, les villes où le transport public est gratuit, même partiellement. On y retrouve Hasselt, qui vient d’arrêter les frais, Mons (que votre serviteur a dû rajouter lui-même), ainsi qu’une poignée de villes de France, de Tchéquie et d’Estonie. On ne trouverait que deux exemples en Allemagne et aucun aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne (1). On constate en revanche que les villes citées sont d’assez petites agglomérations et aucune d’entre elles ne sont millionnaires. Parmi les grands absents, la  reine des transports publics : la Suisse ! Pour parvenir à l’optimum chez ce numéro un mondial, il n’y a en effet pas d’autres alternatives que de payer. L’abonnement général train-tram-bus-bateaux vaut 3.550 CHF (2.840€) en seconde classe tandis qu’un abonnement demi-tarif sur tous les billets coûte 175 CHF (142€) par an. Ceci permet de mesurer la distance qui sépare les options de gratuité et d’efficacité. Et cette liste non-exhaustive permet surtout de s’interroger pourquoi la gratuité ne s’est pas imposée partout.

L’envers du décor
Le transport au 21ème siècle a été très largement marchandisé, notamment au travers du yield management et du low-cost dans le monde de l’aérien : plus on réserve à l’avance, moins on paye. Un concept bien intégré dans l’opinion publique qui donne la primauté au premier payant, premier gagnant. Cette « loterie » va en revanche à lencontre de certaines idéologies où, dans sa défense de la veuve et de l’orphelin, la gauche politique considère le transport comme un droit collectif et bataille pour un difficile équilibre entre ceux qui peuvent payer et ceux qui n’en sont pas capables, quitte à faire une entorse au principe de justice sociale. Or le fait de faire rentrer le transport dans le champ social est partiellement contesté : nombreux sont ceux qui font remarquer que se chauffer, manger et se soigner sont les vraies priorités des précarisés et que le transport ne vient qu’après, la marche à pied ne coûtant rien à personne, et le vélo à peine plus. Au niveau socio-politique, la polémique a apréhendé cette conviction que les personnes au travail, déjà lourdement taxées, deviennent les vaches à lait pour une minorité électorale dans laquelle elles ne se retrouvent pas.

Le transfert modal nest pas encore une réalité, lauto règne (Belgique,photo  poloGoomba)

La mobilité pour tous, un objectif simple ?
Tous les acteurs concernés saccordent à dire que la mobilité pour tous est une matière complexe. En cause : la diversité des publics ciblés, qui ont tous des vies et des rythmes différents. Faire la synthèse de tous les cas particuliers relève de limpossible : pour les seniors, tout va trop vite ; pour les jeunes, cest très lent ! Sur ce thème, les transports publics sont très mal pris et doivent obligatoirement composer par le biais dun consensus qui doffice se fera critiquer de part et dautre. Les objectifs politiques de mobilité sont mal définis : réduction des gaz à effet de serre ou des encombrements, ce nest pas la même chose. Faut-il agir en « déclassant » le mode dominant (lauto), ou améliorer en parallèle le transport public, appelé à « faire mieux » mais « avec moins » dargent public ? Ces contradictions font que loptimum est difficile à atteindre, en dépit des nombreux exemples locaux.

Des résultats décevants
Sil est vrai que le transport public a pu drainer une clientèle nombreuse, elle na eu que peu dimpact sur les mentalités du tout à lauto. Le report modal est très loin des objectifs annoncés à grand renfort didéologies : la vente des voitures est certes en baisse en Europe, mais cest à cause de la crise. Du point de vue socio-économique, tous les 65+ ne se ressemblant pas, et nont pas non plus les mêmes lieux de vie ni les mêmes rythmes. Résultats en Wallonie : une carte gratuite peu utilisée mais qui coûte au transport régional. En ville, il ny a pas eu de report modal attendu et certains commerces sont allés sinstaller en périphérie automobile, comme aux Grands Prés à Mons. Dans cette cité hennuyère, la circulation en pointe du matin est tout aussi infernale quil y a 20 ans ! On a donc clairement voulu sattaquer aux personnes isolées qui nont pas de moyens de locomotion individuelle ni la santé adéquate pour utiliser  le vélo.

La qualité du service et les correspondances priment sur l'aspect prix (Wrexham UK, photo The Wingy)
Payer : un remède pour booster lutilisation
Cest bien connu : vous obtenez un accès gratuit à ceci ou cela, cela ne vous incite pas pour autant à participer. Il suffit dune mauvaise météo pour rester chez soi bien au chaud. Et puis, à quoi bon obtenir un accès gratuit à quelque chose qui de toute manière ne vous intéresse pas ? Tout le monde est-il fan dart contemporain ou de théâtre ? Mais lorsque largent entre en compte, la carte payante devient soudainement un objet à rentabiliser. Une logique qui aurait le double avantage de lincitation et de la couverture des coûts, ne fusse que partiellement comme évoqué plus haut. En revanche, le prix du ticket calqué sur la situation socio-économique des individus recueille davantage de suffrage parmi des électeurs plus compréhensif sur ce thème relevant de la justice sociale. Ce que font de manière imparfaite toutes les villes et régions dEurope, avec de fortes variations dun Etat à lautre.  Plusieurs spécialistes démontrent que ce nest pas toujours le facteur prix qui incombe dans le choix mais bien la qualité du service. Sur ce point là, beaucoup reste à faire et une fois encore, les variations dune ville à lautre peuvent être importantes. Les barrières à lintégration complète des transports publics, singulièrement entre bus et trains, tiennent à la diversité des compagnies (objectifs de ponctualité, salaires...), au financement (ville, région ou Etat national) et à la tutelle (locale ou régionale). La ponctualité entre transporteurs divers est clairement la pierre dachoppement : qui paiera pour le retard de lautre ? Et comment ?

Les cars postaux suisses : une couverture nationale forcément payante (Visp, J Donohoe)

Conclusions
Dans les circonstances actuelles où chaque euro compte, il importe à ce que chacun participe à sa mesure au transport public. Le financement de ce service au public est une équation difficile et doit être résolu avec la meilleure équité. Le transfert modal professé à coup de baguettes magiques naura pas lieu avec la gratuité mais bien avec une rehausse significative de la qualité et du respect (gsm, mp3...). Et si une communauté estime légitime dentretenir la gratuité sur un territoire définit, pourquoi pas. Afin de maintenir la justice sociale, il faut dès lors que cette gratuité ne soit pas ciblée. Elle est soit pour tout le monde, soit pour personne...