ETCS, petit récapitulatif

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 
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L'actualité ferroviaire hélas peu glorieuse de ce mois de juillet 2013 a remis la signalisation ferroviaire sur le devant de la scène, plus particulièrement avec la tragédie de Saint Jacques de Compostelle. Il y était question de la transition entre l'ETCS 2 et le niveau national, dit "STM". Petit tour d'horizon pour bien remettre en place les pièces du puzzle, dans un article volontairement léger pour la compréhension de tous...

Systèmes nationaux incompatibles
Depuis le début du siècle, la quasi-totalité des chemins de fer d'Europe ont été nationalisé. Et qui dit national dit technique nationale, à une époque où l'Europe rimait avec guerres, destructions et surtout, chacun pour soi. Dès les années 50, les progrès de l'électrotechnique ont permis d'instaurer deux éléments incontournables en matière de signalisation et de régulation du trafic : 
1) la signalisation lumineuse latérale à laquelle doit obéissance absolue le conducteur et, 
2) le système de détection des trains, dont on ne parle jamais, et qui est indispensable pour la détection des trains et la régulation du trafic via une cabine centralisée. 

L'un et l'autre vont de pair : l'occupation d'un circuit de voie de 700 à 2000 m signifie présence d'un train, ce qui influence l'aspect des signaux derrière ce train, pour éviter le risque de rattrapage par un autre convoi. L'élaboration de la sécurité a modifié au fur et à mesure la conduite d'un train : certains aspects jaunes ou clignotants ou autres demandent un acquittement de la part du conducteur, qui doit pousser sur un bouton ad-hoc pour confirmer qu’il a bien lu le bon signal dans le bon aspect. S'il ne le fait pas, il y a en principe freinage d'urgence, mais il existe des cas de figure plus complexe où ce n’est pas le cas. Nous n'entrerons bien-sûr pas dans les détails.

Tout cela pour dire que cette technique de signalisation s'est élaborée au fil des décennies sur base de critères strictement nationaux. D'un pays à l'autre, les systèmes de protection ne sont pas identiques mais ne fournissent pas non plus la même qualité de sécurité. Et cela, c'est un problème pour l'Europe du rail...

Tout vient à point....
La signalisation lumineuse latérale a ses limites, notamment en termes de capacité : 6, 8,10 trains à l'heure, certaines lignes n'offraient plus aucune possibilité d'augmentation du nombre de train sans une révision complète, et très chère, de toute la signalisation. Vînt l'idée de transposer sur les trains "du quotidien" ce qui se fait sur TGV, AVE ou ICE : donner les ordres en cabine de conduite, et ne plus obéir aux signaux latéraux. Vaste programme qui, ici, a rassemblé plusieurs réseaux et industriels pour éditer - enfin - des normes communes acceptées obligatoirement par tous. Il suffisait de....

Principe technique de l'ETCS, en très succinct
Il y a 3 niveaux d’ETCS prévus au programme. Son implantation sur une ligne classique se fait d’office en superposition avec la signalisation existante qu’il ne faut pas démonter. Pourquoi ? Parce que durant les quinze/vingt prochaines années, ou plus, des trains plus anciens devront continuer à circuler sans être dotés d’appareillage ETCS à bord, vu qu’ils iront bientôt à la casse. Nous aurons donc un mélange de trains non-dotés et de trains…dotés.

Principe cardinal : transmettre l’information à bord
Ce thème interpelle le grand-public : cela paraît simple, avec un « bête GSM ». C’est que la sécurité ferroviaire niveau SIL 4 demande des interfaces bien plus complexes que les « jouets grand-public », la preuve dans ces pages.

En niveau 1 : l’information se transmet par balises dans les voies. Cette technologie déjà complète ne permet que des messages courts et ne prend pas en charge la courbe de vitesse. De plus, le train ne reçoit l’information que de manière ponctuelle, lorsqu’il passe sur lesdites balises. Le conducteur observe toujours la signalisation latérale, d’où l’importance de ne pas la démonter.


 La balise au centre de la voie pour transmettre l'information à la locomotive (photo Siemens Mobility)

En niveau 2 : l’information se transmet par radio GSM-R et à l’inverse du niveau 1, l’information est transmise de manière permanente, et non ponctuelle. On peut donc donner des ordres au train à n’importe quelle seconde. Une des deux balises reste nécessaire pour l’odométrie : elle confirme la position du train en combinaison avec les circuits de voie que nous avons évoqué plus haut. Le conducteur n’observe plus aucun signal latéral et ne s’en réfère qu’à son seul pupitre de conduite, appelé « DMI » (Driving Machine Interface). Augmentation drastique du niveau de la sécurité : toutes les courbes de vitesse sont soumise à la surveillance, quel qu’elles soient, ce qui n'est pas le cas du niveau 1.
En niveau 3 : il faut le ranger actuellement au royaume de la science-fiction. Ce niveau diffère des deux autres par la disparition des circuits de voie et des balises et par création complexe d’une « bulle de protection » entre chaque train. Le calcul se fait par trois satellites et se rapproche du GPS, sauf que la tolérance de précision doit être inférieure à…0,5m !

De manière concrète
En Europe, il est demandé à ce que toute ligne nouvelle, « LGV » ou non, soit d’emblée étudiée pour intégrer l’ETCS 2. Mais par sécurité, certains réseaux continuent d’installer la signalisation latérale nécessaire à l’ETCS 1, généralement sur des lignes « non TGV ». L’autre chantier, le plus vaste, est d’instaurer progressivement l’ETCS sur un maximum de lignes classiques pour rehausser la sécurité. Ce qui a provoqué en 2012 un mini-débat chez les Allemands qui estimaient que leur système national garantissait déjà une sécurité suffisante et ne voyaient pas la plus-value qu’apporterait à leurs yeux l’implantation de l’ETCS.

La superposition de trois systèmes sur une même ligne comporte aussi un avantage de taille : en cas de panne du niveau 2, il faut pouvoir activer ce qu’on appelle le mode « fall back », autrement dit redescendre en « niveau 1 », voire en « national ».

Aujourd’hui
En Suisse, la ligne Mattstetten–Rothrist fût la première à être dotée de l’ETCS 2. Le tunnel de base du Lötschberg qui relie Frutigen à Rarogne, non loin de Brig, est lui aussi équipé de l’ETCS 2. Des Thalys et ICE circulent depuis fin 2009 en ETCS2 sur les LGV belges L3 (Liège-Aachen) et belgo-néerlandaise L4 (Anvers-Rotterdam). Aux Pays-Bas, le célèbre Fyra intérieur hollandais, doté de locomotives TRAXX, circule en ETCS 2 sur l’axe Amsterdam-Rotterdam-Breda, en empruntant les lignes à grande vitesse. La ligne marchandise Betuwelijn (Rotterdam-Allemagne) actuellement de 158km est intégralement dotée de l’ETCS 2. En Espagne, les LGV Madrid-Lerida et Barcelone-Figueras-Perpignan sont dotées de l’ETCS 2.


Thalys sur HSL-Zuid  aux Pays-Bas et L4 en Belgique : ETCS 2 (photo Rob Spots via flickr CC)
Le futur
Pour éviter l’émiettement des implantations et tenter une cohésion internationale, l’Europe a institué un réseau de « corridors ERTMS » (ETCS faisant partie de l’ERTMS), en dehors des futures lignes TGV. Il s’agit principalement des corridors de fret, tels Rotterdam-Gênes ou Anvers-Bâle. La construction des deux seules prochaines lignes TGV en France, SEA et Bordeaux-Toulouse, se fera en ETCS2, de même que l’éventuelle HS2 anglaise, en plein débat sur son tracé Londres-Birmingham. Trois pays, le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique, ont opté pour l'implémentation intégrale de l'ETCS sur l'entièreté de leur réseau respectif, un objectif qui devrait prendre 12 à 15 ans selon les plannings actuels.

La version usuelle aujourd’hui reste le V2.3.0d mais la nouvelle version Baseline 3 devrait être sortie par l’agence qui en est responsable : l’European Railway Agency (ERA), sise à Valenciennes. 


A consulter : 
L'ETCS dans les détails et description des interfaces;
Une carte des déploiements dans le monde, car ERTMS-ETCS est vendu au niveau planétaire;
Les statistiques mondiales d'implantation;
Les documents de la version "Baseline 3" de l'agence ERA;
L'ERTMS en dix questions (en anglais)