SNCB 2014 : le chemin de fer belge revient à deux têtes
L'analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation

En moins de neuf ans, la SNCB aura connu trois changements fondamentaux de sa structure. La faute à l’Europe ? Pas seulement. Des devoirs d’Etat qui entretenaient le déficit, des sous-investissements chroniques, une tutelle à peine regardante, la SNCB s’est révélé être un gouffre à milliards qui ne tournait plus que pour elle-même. La survie du rail ne tient pas exclusivement à sa technologie renouvelée, mais aussi au management. De l’administration d’Etat, il fallut passer aux « Business Unit » et pouvoir analyser chaque coût à la loupe. Depuis ce 1er janvier, nous avons une SNCB transporteur et gestionnaire des gares, et une INFRABEL gestionnaire d’infrastructure, dotés de leur contrat de gestion et de leur subsides propres, évitant les mélanges. Evocation rapide de 88 ans d’histoire de l’entreprise publique.

Juillet 1926
La grave crise financière que traversa l'Etat belge, la stabilisation du franc belge et l’affirmation de l’idéologie de l’Etat des années 30, voilà les principaux critères qui incitèrent la Belgique à nationaliser son réseau ferroviaire. Les 119.886 cheminots récupérés à l’époque devinrent tous des agents de l'Etat, encadré par un régime d'exception lourd de conséquence où toute la vie du cheminot est prise en charge jusqu'à son cercueil, la nouvelle compagnie garantissant l’emploi, le reclassement, et étant placée en dehors du système général des soins de santé et priée de payer elle-même les pensions de ses agents, des veuves et des orphelins. A sa naissance, la nouvelle SNCB est déjà un Etat dans l’Etat…




Administration d’Etat
La compagnie va vivre une vie « tranquille » durant environ 65 ans, la seconde guerre mondiale exceptée. C’est l’époque du « robinet ouvert » où l'Etat se contente d’éponger annuellement les déficits selon les bons vouloirs des coalitions gouvernementales. Dans la totalité des cas, les compensations n'atteindront jamais les montants dépensés par la SNCB pour couvrir l'intégralité de ses dépenses. Le gouffre financier abyssal que s'offre la SNCB au milieu des années 70 n'effraye pas outre mesure la tutelle gouvernementale. La SNCB est même chargée « d’une mission d’Etat » attribuée sous forme de  8.800 engagements supplémentaires destinés à écrémer un chômage devenu explosif. Le résultat en 81-82 est à l'avenant : 67.315 agents statutaires, des recettes couvrant 33% des coûts en service voyageur, 70% pour le fret et 48% pour les colis ! L'ensemble SNCB coûtait à l'Etat 4% du budget et 5,75% des recettes nationales. Fin 1984, un audit ravageur de la Sobemap décrit un système où « les recettes du trafic voyageur ne paient même plus la moitié des pensions des agents (…) d’une énorme machine incontrôlée, aux directions cloisonnées vivant leur vie propre sans souci réel, ni même possible, de rentabilisation ». Les éditoriaux reprennent en cœur « un système refermé sur lui-même (…) voué à une existence propre (...) L'énorme machine continue à rendre des services, mais ce n'est plus sa justification première : son essence est devenue de fonctionner ». Plus de détails à ces pages.

Sombres nuages économiques
A ces facteurs internes s’ajouta la fin programmée des Trentes Glorieuses : l'industrie commençait à opérer d'inquiétantes mutations avec coup sur coup des fermetures de mines à charbon puis une réduction de la production sidérurgique. Le citoyen, lui, se procure voiture et frigo, ce qui permet de s’installer n’importe où et de ne plus habiter nécessairement à côté de son usine ou d’une ville. Le paysage belge en est profondément bouleversé, les habitudes sociétales aussi. Les Trentes Glorieuses auront ainsi démontré – ô paradoxe - que le chemin de fer devenait de moins en moins indispensable. Les politiques intègrent magistralement cette nouvelle réalité…

Années 80-90 : une nouvelle vision de l’Etat
« Le début des années 80 marque la fin de la vision socialiste de l'Etat et son remplacement durable par une vision différenciée, tournant le dos de manière définitive aux Trentes Glorieuses » (ce sont les mots écrits par un dirigeant syndical). Une décennie majeure qui remet en cause les monopoles non-régaliens, comme l'aviation, les contingentements routiers, l'audio-visuel, et signent un désengagement de l'Etat dans les industries très déficitaires dont la sidérurgie. Les gouvernements Martens se succédèrent à cadences forcées : le Budget fut confié à un ambitieux personnage libéral flamand : Guy Verhofstadt, et les Transports à un certain Herman De Croo. Le CVP ensuite prend la relève de la tutelle des chemins de fer.

Le chemin de fer « nouvelle manière »
Cette tendance a débuté le 3 juin 1984 avec le lancement du plan « IC/IR » qui remet les choses en ordre, systématise les dessertes et les cadences, mais fait table rase de l’inutile selon les termes de l’époque. Nombre de lignes et petites gares sont fermées. Le management lui-même adopte une forme nouvelle : le ministre, via son « Commissaire », n’assiste plus au Conseil d’Administration et la Direction dispose dorénavant de bien plus de pouvoirs que précédemment, avec davantage d’autonomie. C’est la grande époque du médiatique trio Reynders-Schouppe-Cornet. La mission du rail fait l’objet d’une mise au point : le transport voyageur reste global et est sujet aux tarifs préférentiels que l'Etat doit compenser. En revanche, l'activité marchandise requiert une négociation individuelle avec chacun des clients qui disposent du choix modal, d'où la recherche des segments les plus compétitifs. La rationalisation est en marche…

Années 90 : une autonomie « à la belge »
Réclamé depuis des lustres, le chemin de fer se voit attribué des missions précises dans un cadre financier stricte, par le biais du Contrat de Gestion, dont le premier couvre la période 1992-1996. La SNCB au passage devient une s.a de droit public dès 1991. L’organigramme interne subit de profondes mutations : on y invente dans un premier temps les « centres d'activités » qui furent l'une des grandes frayeurs syndicales, y voyant là la voie vers la filialisation et la privatisation. Leur frayeur ne fut pas atténuée lorsque fût instauré en 1998 une organisation orientée « produits et prestations », soutenant un processus de gestion et de maîtrise des coûts et incitant à accroître le chiffre d'affaire. Une nouvelle mutation eu encore lieu dès 2002, sous l’ère Karel Vinck, avec le regroupement des 22 centres d’activités en 10 Directions et 6 Services dit « staff ». Mais à l’extérieur, l’Europe se fâche : sa directive 91/440 n’a produit aucun effet et des mesures s’annoncent : séparer l’infrastructure du transporteur historique.

L’époque tricéphale
La réponse belge aux directives puis aux « paquets rail » de la Commission Européenne est la mise en place d’un chemin de fer à structure tricéphale : un holding de tête (B-Holding) chapeautant un Gestionnaire d’Infrastructure (GI = Infrabel) et un transporteur national (EF = SNCB). Cette organisation est effective le 1er janvier 2005 sous la tutelle d’Isabelle Durant (gouvernement Verhofstadt II).

En pratique, le maître absolu aurait dû être le Holding, à l’image de la structure allemande ou autrichienne, où un seul patron dicte la marche à suivre aux filiales. En coulisse, tout le monde savait que le Holding était un produit uniquement destiné à rassurer la base quant au maintien des dispositions statutaires unifiées. En externe, les réalités politiques ont transformé les filiales belges en « terrain d’occupation linguistique », réduisant à néant le rôle coordinateur du Holding. Un bienfait tout de même : l’argent strictement dédié à Infrabel interdisait enfin les transferts et revenait à l’infrastructure seule, qui en avait bien besoin après avoir été le parent pauvre du rail durant 75 ans ! Infrabel devint doucement une société nouvelle aux pouvoirs grandissants : sa gouvernance était bien plus proche des standards modernes.

Les relations entre filiales Infrabel / SNCB étaient réglées par des Service Level Agrement. Le modèle semble cependant avoir montrer ses limites. L’évolution linguistique et politique du niveau fédéral démontrait une réalité : le chemin de fer ne peut être géré qu’en duo, sous peine de régionalisation pure et simple du rail belge, comme ce fût le cas des bus de l’ancienne SNCV.

Le rail à deux têtes
Ces raisons – conjuguées à la transposition de trois « paquets ferroviaires » européens – ont conduit le gouvernement Di Rupo à réaliser une nouvelle réforme du rail pour le 1er janvier 2014 : un morceau francophone (Infrabel), et un morceau néerlandophone (SNCB), le tout se mariant avec les structures politiques de l’Etat qui en est, lui, à sa sixième réforme… Les dispositions statutaires, qui restent l’objet de toutes les priorités du monde syndical, sont conservées non plus au sein d’un holding mais de « HR RAIL », une filiale commune de SNCB et Infrabel. La fameuse « Commission Paritaire Nationale » de 1926 reste toujours intacte. La structure est donc inversée.

Pour « équilibrer » les pouvoirs, Infrabel est délestée des gares (et de leurs juteux commerces…) et de certaines parties de l’exploitation. Elle conserve en revanche l’accès au réseau, point sensible en ligne droite avec les dispositions européennes puisque c’est par le biais de ce département que se négocient l’arrivée des concurrents, tant en fret qu’en voyageurs. La SNCB reste le principal client d’Infrabel, mais n'est pas le seul. En interne, la SNCB reprend l’information voyageur et le célèbre « Railtime » ainsi que la gestion de toutes les gares, avec ou sans commerces, de mêmes que le dossier des parkings, dont beaucoup vont devenir payants.

La dette
C'est le point noir du rail belge : quelle que soit la structure adoptée, celle-ci n’a jamais été reprise par l’Etat, comme le fit l’Allemagne en 1994. Logée jusqu’en 2013 au fond d’un FRF, cette dette a été redistribuée vers les deux entités selon une clé issue d’âpres négociations. Elle a fortement augmenté ces dernières années et va très certainement plomber le ciel à venir. 

La suite…
L’étape suivante s'est jouée en décembre 2014 : le nouvel horaire annuel n'est pas qu'un simple lifting cosmétique mais bien une refonte absolue des fréquences et des dessertes, donc des….horaires proprement dit. Les challenges au niveau du trafic intérieur sont connu : le RER, l’augmentation des capacités à Bruxelles et la reconfiguration magistrale de la signalisation avec la TBL1+ d’abord, l’ETCS 1 et 2 ensuite.  Mais surtout la mauvaise ponctualité, fortement médiatisée depuis 10 ans, qui va faire l'objet de toute les attentions. Quoiqu'on en pense, sa mauvaise prestation n'est pas à l'origine de la création des deux entités. Elle est le fruit d'une hausse des contraintes collées sur un plan de transport datant de 1998, soit bien avant Pécrot et Buizingen. Dorénavant, un départ train sur un signal double jaune oblige à rester à 40km/h jusqu'au pied du signal suivant, même si la bonne visibilité de ce dernier permettrait d'anticiper l'accélération et de gagner de la rapidité au "débloc". Le temps de fermeture des portes, réglementé, est lui aussi une cause d'attente à quai. Les pannes du matériel ne sont pas toujours dues à un manque de personnel : les portes des voitures M6 semblent parfois bien capricieuses. D'autres caprices, notamment au niveau de la climatisation demeurent épiques : les accompagnateurs ne sont pas autorisé à y remédier, un service technique étant parait-il chargé de tout cela... 

Un ensemble de mesures a néanmoins été mis en place depuis la nouvelle structure, tant côté transporteur que gestionnaire d'infra, et il y a dorénavant une réelle volonté à vouloir faire mieux, dans un environnement budgétaire gouvernemental qui reste contraint. Sur ce dernier point, les chemins de fer restent une nouvelle fois les victimes de la politique...