France : le dur questionnement sur les Intercités
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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Barbara Dalibard, la directrice de SNCF Voyageurs a beau le souligner : « l’entreprise reste attachée aux Intercités », qui peut vraiment encore y croire ? Replaçons le décor : après les rapports costauds de la Cour des Comptes au sujet du TGV français, ce mois de mai 2015 fût celui des Intercités. Ce mot désigne en réalité le terme très administratif de "Train d'Equilibre du Territoire", dont la consonance jacobine ne fait aucun doute, comme toujours en France. De quoi s'agit-il ?

Elle peut, mais ne veut pas
Rappelons que la SNCF est actionnaire du privé autrichien Westbahn, ainsi que sur tout le continent européen à travers Keolis. Par sa présence aux Conseils d’administration, elle a accès aux différents business model de ses voisins. Elle sait ce qu’il est possible de faire pour tous ces trains qui roulent plutôt bien. Alors ? Il faut regarder du côté des pratiques, voire des idéologies ambiantes en France. L’ancien RFF avait déjà pu mettre fin à ces blancs-travaux en pleine journée, provoquant une grogne sociale chez certains habitués de la voie, qui ont dû passer en service de nuit.

Osons le dire : le concept Intercity, un train par heure sur les grands axes entre villes de +/- 100.000 habitants, n'a jamais été porté par la culture française, très « centralo-parisienne ». Le concept est pourtant d'application chez tous les voisins de la France, excepté peut-être l'Espagne. La SNCF des années 80 et 90, c'est avant tout l'expansion du TGV qui semble être le futur affirmé des liaisons interurbaines, entendez à partir de Paris. Le réseau élague peu à peu les grands "Corail" d'hier, les Paris-Nice ou Paris-Irun qui mettaient une petite journée pour effectuer le trajet. A l'étage inférieur, la SNCF poursuit l'expansion des TER, les Trains Régionaux Express, autrement dit les omnibus, chargés de diffuser, avec l’argent des Régions, la clientèle débarquant du TGV dans les grandes gares. L'idée semble claire et logique. Sauf que le TGV, d'une part, ne va pas partout en dépit de ses 200 destinations, et que d'autre part, certains TER désignés "régionaux" effectuent des trajets de 200 à 300 kilomètres, comme par exemple sur Toulouse-Hendaye. Du coup, il manquait une définition claire entre le régional et l'interrégional. Le TET devait faire la différence ; il n'y arrivera pas. Pourquoi ? 

Ces « Corails » omnibus…
Certains TET s'arrêtent parfois beaucoup, les transformant de facto en "TER" locaux. Une aubaine pour les régions, qui ne payent pas ces trains, à laquelle s'ajoute une funeste mode culturelle bien française : celle du Paris-Province qui doit toucher toutes les sous-préfectures, ne fusse que par un train par jour. La SNCF a toujours eu cette politique du train lourd, long mais rare, voire unique, style Paris-Millau ou Paris-Longwy. Les correspondances ne semblent pas faire partie de cette culture pour un tas de raisons dont se sont débarrassés les voisins depuis belle lurette. Toujours est-il que l’ancien « Corail » est mal à l’aise entre le créneau TGV et TER. Et il est déficitaire.

A l'origine, les recettes du TGV subventionnaient les services classiques sur lesquels on maintenait une qualité de service plutôt minimaliste, décliné en Teoz ou Lunea (nocturne). Comme le rappelle Slate en 2013, avec l’obligation pour la SNCF de parvenir à équilibrer ses comptes, la péréquation interne devint un casse-tête pour l’opérateur public obligé de faire face à des services déficitaires dont ses concurrents potentiels n’auraient pas la charge. Et les voyageurs du TGV devenant de plus en plus sourcilleux à l’annonce des augmentations tarifaires, cette péréquation devint de plus en plus difficile à réaliser. Le sauvetage de lignes destinées au désenclavement territorial pour quelque 100.000 voyageurs quotidiens passa alors par l'intervention de l'Etat, en identifiant une quarantaine de lignes élevées au rang de ligne d’équilibre du territoire. Le "TET" était né, sans grande logique à long terme si ce n’est de rassurer le peuple qu’on ne l’abandonne pas...

Comme l’Etat doit faire des économies, l’astuce toute trouvée du rapport Duron cuvée 2015 est de prôner un transfert de certaines lignes TET vers les TER, donc à charge des Régions. Ces dernières se méfient grandement de l’argent qui risque de ne jamais venir, devant déjà payer les nombreux TER qui sont à leur charge. On imagine même de « bussifier » certains grands axes, comme Lyon-Bordeaux. 

Et maintenant ?
Le rapport Duron n’est qu’une énième pièce à verser sur une étagère. En dépit des commandes de matériel prévues pour 2017, on peut douter que l’optimisme soit de mise pour les Intercités. L’agitation est avant tout politique, pour conserver le lien maternel entre les sous-préfectures et la capitale. Au-delà de cela, aucun plan d’un train par heure, plus léger, et ne s’arrêtant qu'à certaines gares importantes. Capable du Ouigo, la SNCF doit opérer un changement de cap majeur. Les autrichiens l’ont magnifiquement démontré avec leur Railjet, eux-mêmes concurrencés par Westbahn, où est présente la SNCF. Pourquoi une idée analogue serait impossible dans l’Hexagone sans devoir éternellement ponctionner le contribuable ? Il est urgent de réagir autrement que par des idées du passé. Quoiqu'en pense la rue...


Remontée d'un TER emmené de manière exceptionnelle par une 8630 "Fret", de passage à Le Vert-de-Maisons (photo de Nelson Silva via flickr CC BY-SA 2.0)

A lire aussi sur transportrail.canalblog : TET : le rapport Duron

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