Suisse / CFF : rattraper le retard en faisant mieux avec moins
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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14/06/2016

En Suisse comme partout ailleurs, l’infrastructure souffre d’un retard d’entretien et de revalorisation. Or il ne peut y avoir de bons trains sans bons rails. Il y a près d’un an, en août 2015, le quotidien Le Matin titrait «Trop de pannes: les CFF ont manqué dix objectifs sur quinze en 2014 ». L’article détaillait un « Les CFF ont notamment échoué dans les domaines de la qualité, de la disponibilité du réseau et de la productivité, (selon) le rapport sur la convention de prestation entre les CFF et la Confédération. Ce document technique a été établi en mars (ndlr 2015) pour la division infrastructure des CFF. Le contenu de ce rapport non publié a été confirmé dimanche ». Mais que se passe-t-il donc au royaume du rail, regardé et envié du monde entier ?

Rien d’autre qu’une mise en garde. La qualité du réseau helvétique n’est pas en cause et est même jugé « bon ». Mais force est de constater que son utilisation s’intensifie. C’est ce qu’indique le communiqué de presse de lundi dernier : « L’infrastructure ferroviaire est de plus en plus sollicitée. Les trains circulent plus fréquemment, plus rapidement, avec plus de voyageurs. De plus, longtemps, le développement du réseau a eu la priorité sur son entretien. » Une situation qui fait penser à la SNCF, où le développement des LGV ont dominé l’actualité réseau de ces vingt dernières années dans l’hexagone, jusqu’au choc de Brétigny qui réveilla les consciences. En Suisse, point de TGV mais pas mal de construction : un Fly Over au-dessus de l’avant gare de Zürich, des dédoublements de voies par-ci, par-là, et le nouveau tunnel du Gothard récemment inauguré, entre autres. Tout cela a demandé beaucoup d’énergie et d’argent.

Et puis, avec le recul, on constate que depuis 1995 et jusqu'en 2011, l'entretien a été insuffisant pour des raisons d'économie et de priorité donnée à célèbre projet Rail 2000. Ainsi, Le Matin détaillait le contenu du rapport susmentionné : « (en 2014), les défauts sur des rails se sont élevés à 4943 contre un maximum de 1489 prévus. Mais la politique suisse du franc fort et l’envolée des coûts ont aussi eu un impact négatif : « Le coût de rénovation du mètre de voie ferrée s'est élevé à 1.808 CHF alors qu'il devrait atteindre au plus 1.486 CHF ». Et concernant la sécurité : « En matière de sécurité, l'ex-régie fédérale a répondu aux exigences. Une seule collision a été enregistrée en 2014, soit le meilleur résultat depuis le début des conventions d'objectifs. Les déraillements ont également été rares. » Hélas pour l'année 2015, cela a été moins positif qu’en 2014. L’année a été marquée par la collision de deux trains à Rafz (ZH), par le déraillement d'un convoi de produits toxiques à Daillens et par un éboulement sur la ligne du Gothard. En revanche, le nombre d'accidents de personnes, à propos desquels les CFF ont mené pour la première fois une campagne publique de sensibilisation, a sensiblement reculé. Le rapport 2015 sur l'état du réseau confirme cependant que, dans l’ensemble, l'infrastructure est considérée de «bonne à passable», mais c'est précisément l'état de la voie ferrée qui manifeste les plus grands signes de faiblesses. Il est jugé «passable», mais, assurent les CFF, «la sécurité est garantie à tout moment».

Extrait du blog des CFF : Les gardiens du ballast (photo CFF)

Si donc la priorité a longtemps été donnée au développement du réseau, avec le FAIF, la tendance est désormais inversée, déclarait Michel Joye, président de l'Union des transports publics (UTP) qui réunit 120 entreprises de la branche, lors d'une conférence de presse lundi à Lausanne. Mais d’ores et déjà, les CFF savent qu’ils devront faire mieux avec moins. L'Office fédéral des transports, le fameux OFT, et les gestionnaires d'infrastructure se sont mis d'accord sur une enveloppe financière indispensable pour entretenir le réseau ferré. Le contrat de prestation 2017-2020 prévoit ainsi 13,2 milliards, dont 7,6 milliards pour les CFF. « C'est une somme colossale », s’exclame néanmoins Philippe Gauderon, responsable CFF infrastructure. Car cet argent n’est qu’un accord ! Les entreprises de transports, dont les CFF, espèrent que cet important montant leur sera accordé sans qu' « un parlementaire n'ait l'idée de retrancher un demi-milliard » (sic), note Philippe Gauderon. Certes, ce montant est supérieur de 15% à celui de la dernière convention 2013-2016. Mais les moyens restent limités, vu la nécessité d'assurer un volume d'entretien plus important.

La Confédération n’allongera pas plus d’argent
Après l'audit du réseau effectué en 2009, une feuille de route avait été établie conjointement par les CFF et la Confédération pour rattraper le retard pris dans la maintenance des rails. Il avait été convenu que ces coûts de rattrapage seraient pris en charge jusqu'à fin 2015, par les CFF puis ensuite par la Confédération. En réalité, à la suite d'un nouvel accord portant sur la convention de prestations 2017-2020, les CFF devront assumer seuls les coûts du fameux rattrapage, ce qui s’appelle faire mieux avec moins ! Cela rappelle clairement la politique menée actuellement en Belgique, sauf qu’aux CFF les cheminots sont déjà à 41h/semaine…

Moralité : les CFF prévoient de nombreuses années pour rattraper le retard, évoquant une stabilisation à l'horizon 2020 pour une mise à niveau vers 2030. Si elles demandent un crédit important, les entreprises ferroviaires suisses s'engagent, dans un langage pudique typiquement helvétique, «  à faire preuve de toujours plus d'efficacité dans la gestion des travaux d'entretien, avec à la clé des économies à hauteur de 600 millions de francs. » Pour les seuls CFF, des mesures prévoient d'accroître le volume des soins préventifs, comme le bourrage du ballast et le meulage des rails permettant d'allonger la durée de vie des installations et de faire baisser à long terme les coûts de maintenance. Mais la suppression de 500 postes dans l'administration sans licenciements secs est aussi à l’ordre du jour, ne provoquant aucun arrêt inopiné des trains comme c’est la coutume en terre latine. Parmi d’autres exemples d’économie, la plus étonnante pourrait être un allègement des travaux de nuit. Très gourmands en termes de coût horaire, ce système laisserait place plus régulièrement à des interruptions complètes de circulation pendant la journée (le week-end ?). Cela permettrait des interventions plus compactes, mieux coordonnées et moins onéreuses, selon les dires du patron de l’infrastructure.


Les défis pour l’infrastructure ferroviaire sont donc intenses en Suisse pour les années qui viennent. Il en va de la survie du rail dans un monde de plus en plus changeant, même au royaume du rail…