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Les chemins de fer publics, grands gagnants de l’ouverture européenne ?
L'analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation
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09/09/2013

Etonnant ? A l’analyse en cet automne 2013, on peut déjà se faire une opinion sur le paysage ferroviaire tant décrié par les opposants à la Commission Européenne. Et le résultat partiel qui en ressort est que ce sont davantage les entreprises ferroviaires publiques qui tirent les marrons du feu plutôt que les entreprises privées. Petite revue d’ensemble.

Privatisation ?
On peut débuter par l’infrastructure. Le seul exemple connu de réelle privatisation fût celle de l’infrastructure britannique au sein de Railtrack, dès 1996, dont le désastre en management a tourné court et fait revenir le réseau ferroviaire dans le giron de l’Etat dès 2002, par le biais d’une société considérée comme privée mais qui est en réalité une agence quasi d’Etat à la sauce britannique, sans actionnaires, du nom de Network Rail.

L’Europe de la voie ferroviaire ne présente que deux sociétés d’infrastructures privées sur tout le Continent : Eurotunnel et TP Ferro (Perpignan-Figueras). Et encore. Eurotunnel est en réalité la seule société « intégrée » réellement privée, puisqu’elle exploite des services de trains, les fameuses navettes sous la Manche ainsi qu’un peu de fret via sa filiale Europorte. Ce n’est pas le cas de TP-Ferro qui n’est qu’un simple concessionnaire. Tous les autres grands projets très coûteux comme le viaduc de l’Öresundsbron (Malmö-Copenhague) ou le tunnel suisse du Lötschberg sont de purs produits de la puissance publique. Contrairement aux idées reçues, la société BLS AG qui est propriétaire de l’ouvrage n’est détenue par des actionnaires privés qu’à hauteur de 22,5%, le reste étant ventilé avec 55,8% pour le canton de Bern et 21,7%...à la Confédération Suisse. Il va de soi que la myriade de petits réseaux industriels ou locaux qui parsèment le Continent  ne peut être assimilée à une quelconque privatisation au sens large, car beaucoup d’entre eux vivent en vase clos, comme en sidérurgie ou dans certaines zones industrielles et portuaires.


Le réseau du BLS est largement utilisé par les transporteurs publics tels BLS, CFF/SBB ou DB-Schenker, par exemple (photo Mike Knell)

Les pays qui ont séparé l’infrastructure ferroviaire de leur exploitant historique ne présentent aucune forme quelconque de privatisation. Tous sont à 100% aux mains de la puissance d’Etat, même si le recrutement du personnel s’effectue sur de nouvelles bases contractuelles. Les partenaires sociaux s'accordent sur la nécessité de développer un secteur ferroviaire moderne et intégré en Europe, mais les syndicats sont critiques sur la baisse des niveaux de protection du travail. Beaucoup d'anciens monopoles ont été transformés en sociétés d'Etat, mais sous la législation de travail de droit privé. A ce stade, de nombreux opposants affirment qu’il s’agit d’une tactique pour affaiblir le rapport de force. Mais une politique des transports doit-elle être basée uniquement sur ​​le rapport de force ?

Dans la totalité des cas, toutes les infrastructures relèvent donc fort logiquement de la puissance publique nationale ou régionale, ce que la Commission européenne n’a jamais désavoué étant donné le poids capitalistique intense que cette activité requiert. Mais alors, en quoi l’Europe est-elle un gain pour les entreprises ferroviaires publiques ?

Responsabilité
C’est plutôt du côté du transport qu’il faut analyser les choses. Jusqu’il y a peu de temps,  la coopération régulée par la COTIF (1) comporte un handicap majeur : celui de la responsabilité, juridique et financière. Ces deux aspects n’apparaissaient pas comme prépondérants dans les années 60 à 80. Quant un réseau remettait un train à la frontière, le voisin DEVAIT impérativement prendre en charge ledit train quel qu’en soit le prix. Maître de son propre réseau, le voisin lui faisait suivre l’horaire et l’itinéraire qu’il décidait lui-même – certes sous sa responsabilité -, vers la destination choisie par le  propriétaire d’origine. Avec cette fragmentation, il était impossible de construire une politique commerciale ciblée digne de ce nom : les réductions sociales d’un pays ne l’étaient plus chez le voisin ! En interne, les intervenants entretenaient des relations par le biais d’un processus administratif codifié et dénué de souplesse. De plus, la gestion commune était décriée par ceux-là même qui l’avait créée, reflétant de nombreuses difficultés difficiles à justifier (2).  L’Europe du rail est encore en réalité une juxtaposition de pièces nationales ultra-régulées, à l’instar du train Benelux.


L'ex Connex devenu Veolia Cargo Deutschland est détenu à 100%  par la SNCF (photo Wolfro54)

Mais le monde a changé : financiarisation et judiciarisation croissante de la société ont entraîné les entreprises, y compris publiques, vers une transparence accrue, davantage de responsabilité dans la gestion et une protection contre les contentieux. Le chemin de fer, qui n’est pas dans le giron régalien, n’a donc pas échappé au changement, en dépit de très fortes réticences. Il en résulte qu’à la place de la coopération, ce sont des sociétés internationales ou groupements d’intérêt économiques qui furent appelés à gérer le trafic international, tels par exemple Lyria, Elypsos, DB AutoZug GmbH, Thalys ou Eurostar.

Les évolutions législatives successives ont appelé les sociétés historiques à adapter ces structures parallèles. Ainsi, Eurostar s’est peu à peu muée en une « Ltd » de droit britannique, détenue à 55%...par la SNCF. En juillet  2013, cette même SNCF et sa consœur SNCB on décidé « d’adapter » Thalys sous forme de société dès 2015, les hollandais et les allemands ayant définitivement retiré leur partenariat. La DB dispose dorénavant de sa filiale « DB International » dont les ICE viendront concurrencer Thalys et Eurostar sur leurs terres respectives. Tout ce petit monde devra peut-être aussi se frotter à Thello en version grande-vitesse, les italiens ayant la ferme intention de s’émanciper hors de la Péninsule. Dans tous les exemples cités, on constate que la traction traverse les frontières et que la politique commerciale est ciblée ligne par ligne, en fonction de la clientèle utilisatrice. Le personnel est de plus en plus spécialisé et filialisé, ce qui est incontournable pour assurer une bonne gestion et éviter de mélanger les pinceaux. Mais ce qui retient l’attention, c’est que la présence du rail est exclusivement publique et étatique, donnant des gages à ceux qui craignaient la disparition du rail d’Etat…

S’émanciper chez le voisin
L’Open Access qui se répand peu à peu sur le Continent fait également les beaux jours…du service public voisin. Déjà cité dans un autre billet (3), on sait que la SNCF détient 20% du privé autrichien Westbahn ainsi que du privé italien NTV, premier concurrent à grande vitesse de Trenitalia. Cette dernière a réagit en annulant en 2011 son partenariat dans Artesia sur les trains de nuit Paris-Italie et a repris ces trafics seule par le biais de sa filiale Thello. Ce Monopoly entre collègues ne s’arrête pas là. C’est sur le terrain régional et fret qu’il prend particulièrement vigueur. Comme le rappel l’excellent papier de Reinhard Hanstein (4), en Allemagne, un certain nombre de société de transport public dites « privées » sont aux mains de la puissance publique…voisine ! 


Tout est dit sur cette "Emu" anglaise...(photo Nik Morris)

On peut citer Veolia Cargo Deutschland qui est 100% SNCF, ITL Eisenbahn qui est aussi à 100% SNCF ou TX Logistik détenu maintenant à 100% par le groupe FS Trenitalia. En 2011, le groupe semi-public Veolia-Transdev assurait à lui seul en Allemagne 34,6 millions de trains/kilomètres. On aurait pu croire que l’Angleterre vivait seule avec son chemin de fer. Détrompez-vous ! Le hollandais Abellio, 100% NS – donc Etat néerlandais – (5) détient des parts majoritaires dans Great Anglia et Merseyrail. Keolis, 100% SNCF, a pris 35% dans Govia (bus et train dans les environs de Londres) et 45% dans la franchise TransPennine Express (6). Mais surtout Arriva, 100% Deutsche Bahn, donc Etat Allemand, qui détient notamment une franchise sur le Chiltern Main Line et 50% sur le London Overground, ainsi que des réseaux de bus à Londres même. Le programme ferroviaire ultra-libéral de John Major en 1996 a donc accouché quinze ans plus tard de cette constatation paradoxale que se sont les services publics étrangers qui se sont les mieux positionnées, détenant jusqu’à 25% du transport public britannique. Dans l’éditorial du mois d’août de Railway Gazette International, Chris Jackson confirmait d’ailleurs qu’au moins quatre entreprises d’Etat non-britanniques sont actives en Angleterre.

On notera au passage le même phénomène avec le fret : DB Schenker poursuit son expansion et est également présent au Royaume-Uni tandis que l’autrichien public RCA (Rail Cargo Austria) a avalé son voisin hongrois, ressuscitant sans le vouloir l’ancien empire en version ferroviaire (7).


Arriva UK. Une société détenue par DB AG, donc par l'Etat Allemand (photo ndl642m)

Un autre service public inattendu trouve avantage à l’Open Access : la ville de La Haye (Den Haag) ! Mécontente d’être à l’écart de la grande vitesse, dénuée du Thalys et de connections internationales, elle a tout simplement engagé une demande de service à pourvoir vers Bruxelles. Le gagnant ? L’Allemand Arriva, 100% DBAG, qui aura le probable honneur d’introduire les rames Stadler alors que l’actuel service public NS se contente d’aligner ses pauvres voitures IC3m qui prennent de l’âge (8).

En guise de conclusion
Avec ce tableau surprenant, Reinhard Hanstein s’amuse à parler de « nationalisation transfrontalière ». Tout compte fait, n’est-ce pas ce qu’on pourrait souhaiter de mieux au service public : élargir son marché et, le cas échéant, rapporter des sous à la maison mère Ce monopoly géant entre collègues est en tout cas loin d’être définitif. Affaires à suivre.


(1) La COTIF - Convention relative aux transports internationaux ferroviaires – est une convention internationale chargée d’établir des règles juridiques communes au transport ferroviaire. Ce document formel a adopté une nouvelle mouture en 2006 pour se conformer au droit européen. Toute modification demande de facto l’aval du parlement de chacun des Etat membre, ce qui est relativement lourd.
(2) A titre d’exemple cet incident : une voiture-lits dont le kilométrage des essieux arrivait à échéance fut refusée à la frontière allemande par le visiteur, ayant pour conséquence le transfert des heureux voyageurs vers le restant des places disponibles…en couchettes. Le tout en pleine nuit et procurant 1h30 de retard au train.
(4) « Cross-border nationalisation » of railways operators ? Railway Update 1-2/2013 p22 à 24
(8) A l’automne 2013, NS et SNCB ont aligné 10 aller-retour en remplacement du défunt Fyra international d’Ansaldo-Breda, la SNCB ne faisant plus mystère de sa haute préférence pour le seul Thalys sur l’axe Bruxelles-Amsterdam. Arriva sonnerait peut-être définitivement la fin des trains Benelux actuels en rames tractées.



La SNCF demain, l'Europe à minima

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation (mise à jour 1er juillet 2013)
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Sans surprise. C’est ce que l’on peut titrer de la remise - ce lundi 22 avril 2013 par Jean-Louis Bianco - d’un rapport sur le réaménagement de la gouvernance du rail français. Il ne fait que confirmer ce qui était déjà inscrit dans les astres depuis les Assises ferroviaires de l’automne 2011 : un retour à la société intégrée chargée de rassurer avant tout les cheminots. A décharge, ce rapport s’inscrit aussi dans le cadre de la réparation d’une très mauvaise idée qui fut, non pas d’envisager un gestionnaire d’infrastructure en tant que tel, mais d’obliger ce dernier à déléguer tous ses travaux de voies à la seule SNCF. Il colle au millimètre près à la nouvelle majorité présidentielle choisie par les français en mai 2012, et qui entend mettre au pas une Europe très mal jugée au sein de l'Hexagone. Rien de très neuf sur ce plan.

Quel objectif ?
Comme déjà énoncé lors de deux billets précédents (1), la France ne peut se défaire de l’idée de grandeur de son appareil d’état, c’est dans ses gènes, et nous dirons qu'elle n'est pas la seule à ressentir "la fibre nationale". Il n’était donc pas pensable de dépecer la SNCF pour n’en faire qu’un simple transporteur. Reste que Bruxelles a les capacités juridiques de sermonner les Etats membres  qui ne transposent pas – ou mal – les directives européennes dûment votées par le Parlement Européen. C’est donc par le biais de vastes contorsions sémantiques que l’on arrive à la fois à revenir à l’ancien système tout en sauvegardant la face en ne reniant pas les principes de base énoncés par la Commission. Tout un programme, et c’est le sens du rapport présenté ces jours-ci.

A l'avenir, les collectivités locales devront faire des offres européennes. En se passant de la SNCF ? (ph Bindonlane)


Le rappel d’un tel remue-ménage
La gouvernance ferroviaire est décidément le sujet de 2012-2013 et on peut s’étonner qu’il s’agisse là d’une priorité alors que la mobilité et le développement durable occupent tout l’espace médiatique. La célèbre directive 91/440 - munies d’un arsenal d’obligations complémentaires - aurait dû suffire à elle seule à revitaliser un chemin de fer en chute libre dans les parts de marché du transport terrestre européen. En participant à des petites structures en filiales, mieux adaptées au particularisme du fret et à la segmentation des marchés, en construisant des sillons libres sans remettre en cause ceux utilisés par le service public, le chemin de fer intégré et unitaire aurait pu recouvrer une meilleure santé et un dynamisme nouveau, ce que fît la Suisse.

Las, pour tous les Etats membres, cette configuration menait tout droit à l’affrontement idéologique, car ce n’est rien d’autre que cela. Par conception en effet, le chemin de fer reste un sujet sensible aux troubles idéologiques et très facilement paralysable. Il est prisonnier d’un imaginaire collectif qui veut qu’il soit le transport des petites gens, procurant des emplois peu qualifiés pour les petites gens. Raison pour laquelle il reste sous surveillance étatique rapprochée, à l’inverse d’autres industries de réseau telles les télécommunications ou l'énergie qui se sont habitués à une ambiance plus ouverte, plus internationale (2). Le rail a de plus le désavantage d’engendrer des coûts d’exploitation que n’égalisent pas ses recettes, tandis que les autres transports à énergie fossile rapportent des taxes. Un cruel constat qui n'a pas échappé aux parlementaires qui gèrent les deniers publics. En dehors d’une volonté de remettre le chemin de fer à une meilleure place dans le monde des transports, les arguments de défense du rail tournent inlassablement autour de la défense de l’emploi statutaire, sensé garantir une qualité de service bien meilleure qu’un travailleur contractuel. La justification d'une telle discrimination est encouragée par les syndicats, faisant juste valoir qu'un travailleur contractuel engendrerait des problèmes de sécurité. Toujours est-il que ce discours d'immobilisme affirmant que les recettes d’hier feront les meilleurs plats de demain, nous indique un basculement assez inédit du conservatisme, que l’on croyait à droite…

L'Europe et ses directives n'enchantent pas les souverainistes ferroviaires (ph Sébastien Bertrand)


Une revitalisation culturelle
En voulant mettre de l’ordre dans les chemins de fer, l’Europe voulait faire coup double : détacher un tant soi peu ces mastodontes de la sphère étatique pour en faire un marché (3) et l’englober dans une politique des transports en vue d’un hypothétique transfert modal (4). Croyant que cela irait de soi, la Commission dû faire face à de nombreuses réticences et dû mettre en place un des plus gros arsenaux législatifs qu’ait eu à connaître le monde des transports terrestres (5). Une timide revitalisation fut dès lors constatée mais elle demeure de nos jours très inégale d’un Etat-membre à l’autre (6). Outre diverses interprétations juridiques des directives de la Commission, il faut y ajouter surtout la mosaïque culturelle – et donc politique – que représente notre beau continent (7).

La France en trois EPIC
On se rappellera que sur base d’une décision de la Cour de Justice, la Commission fût rappelée à l’ordre et ne pouvait pas tel quel s’opposer à une structure en holding en dépit du risque avéré de collusion entre l’infra et le transporteur national. Un temps embarquée dans ce combat idéologique anti-Bruxelles, la France s’est discrètement éloignée de l’enthousiasme pour le concept allemand en constatant que les fondations du rail outre-Rhin restaient imbuvables aux yeux des syndicats hexagonaux. La solution pour dompter la rue ? Une structure étatique constituée de deux entités chapeautées par une troisième regroupant les ressources humaines, afin de garantir le statut. Surprise : il s’agit de la même structure mise en place en 2005 en Belgique et qu’il a fallu modifier après le constat navrant que ce furent les deux filiales qui contrôlaient la maison-mère. En France, personne ne fait mystère que ces contorsions sémantiques visent à rassurer Bruxelles tout en restaurant le retour SNCF. Un appel pluri-disciplinaire fût, à ce titre, adressé en juin 2013 au Président de la République, craignant le retour d'une SNCF surpuissante et monopolistique (7). Reste l’épineuse question de la dette.

Retour à la case départ (ph Zigazou76)


La grande question de l'argent
Important, la finance ? Et comment, c’est même un point crucial. L’ombre de la dette a survolé tout le débat, non sans raison. Collée à RFF à hauteur de 33 milliards € (prévu fin 2013), le gestionnaire doit continuer de lever chaque année une somme de 5 milliards € l’amenant à solliciter régulièrement les investisseurs. En clair, la dette est  - comme toutes les autres - surveillée par les marchés financiers. Il ne fait guère de doute que ceux-ci surveillent de très près l’évolution de la gouvernance et l’ambiance actuelle crée une incertitude sur les taux d’intérêts, très malsaine pour les finances publiques. Côté politique, la question des milliards en contributions publiques, par rapport aux bénéfices sociaux escomptés, pose des interrogations dans les milieux parlementaires. Or ce sont ces derniers qui votent les budgets, tant en régional qu’en national. Qu’auront-ils comme arguments en faveurs du rail si ce n’est la pression syndicale ? La Suisse a montré qu’un service ferroviaire dont le réseau reste ouvert à une forme contenue de concurrence fret ne remettait pas en cause le transport public, bien du contraire. L’Europe d’ailleurs n’entend pas réduire ledit service public mais voudrait le voir exploiter à coûts moindres, sans sombrer dans le dumping social. En Allemagne, c'est une agence gouvernementale qui prend en charge les 17% de surcoût du statut des agents d'Etat ! Il existe donc plusieurs solutions pour tenter de remettre le train sur les rails, mais ce sont les têtes qui doivent bouger. Et pour le moment, c’est le conservatisme qui fait figure d’avenir.

Une Europe ferroviaire allemande ?
En définitive, il est acquit qu'en l'absence d'Europe fédérale dont personne ne veut (8), la gouvernance du rail va devoir s'accorder avec chacune des architectures institutionnelles nationales. La réforme française s'accorde donc bien sur celle de l'Hexagone. Si on veut réellement de l'Europe, il faut dès lors une cohabitation de systèmes organisés autour d'idéologies différentes avec une mise en réseaux interconnectés, à condition bien-sûr que les flux soient libres de circulation, donc avec frontières ouvertes mais régulées. Bien entendu, le document de Jean-Louis Bianco n'est qu'un rapport et rien n’est coulé dans le béton au niveau législatif. Après les élections européennes de 2014, d’autres soubresauts seront à prévoir parmi lesquels une Allemagne qui veillera au grain : elle ne fait plus mystère de sa politique de conquête et entend percer toutes les murailles existantes, françaises incluses. L'Allemagne serait-elle l'Europe ferroviaire de demain ? La bataille continue...

(1) A relire : RFF – SNCF, qui décide du rail en France ? et SNCF-RFF : marche arrière gauche, toute ! 

(2) A relire : Le chemin de fer, cette "chose" nationale

(3) A relire : l’exemple britannique, marché le plus ouvert de la planète

(4) A relire : le train en mode survie (2013)

(5) Le résumé de cette législation se trouve à ces pages

(6) A relire : Open accès 2012


(7) A lire : l'appel des professionnels sur www.mobilicites.com

(8) Un article de circonstance, hors du rail : Que les pro-européens lèvent le doigt !

 


Wagons et triages : lutter pour la survie

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 

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Ce fut l’un des piliers du transport de marchandises par rail. Le wagon complet remis aux chemins de fer, qui transite d’une gare à l’autre via un triage, fût le principal type de transport qui fit la gloire des XIXème et XXième siècle.  Cette technique qui utilise de surcroit les embranchements d’usine fait face de nos jours à un questionnement quant à son avenir. Rien ne vaut dès lors un décryptage du passé pour comprendre la situation actuelle.

La technique
Une locomotive diesel collecte des wagons disséminés dans des entreprises qui ne fournissent chaque jour que peu de marchandise. Le convoi, jamais très long, se rend alors au triage proche ou lointain où d’autres trains locaux convergent également avec d’autres wagons complets. Triés par destination comme le montre le schéma ci-dessous, les wagons sont rassemblés en un long train qui parcourra de 100 à 1000 kilomètres vers un autre triage de destination. Dans ce dernier, le train sera « dégroupé », les wagons reclassés par destination A, B,… puis à nouveau une petite locomotive diesel emmènera les wagons destinés vers A, une autre vers B, … et ainsi de suite. Voilà pour la technique. Et d’aucun de se demander pourquoi elle n’est pas davantage mise en valeur.


Structure industrielle
Par le passé, on travaillait près de son usine, tout simplement parce qu’il y avait des usines partout. Les voies ferrées longeaient ainsi des chapelets d’entreprises, toutes dotées d’un raccordement ferroviaire privé de quelques dizaines de mètres. Quand ce n’était pas  le cas, une « cour à marchandise » permettait chargement et déchargement sur des camions. Ainsi vécu le chemin de fer à l’époque où il fut dominant. Et on prendra comme témoin cet extrait SNCB relatant les trafics de 1973 : « Les trois rubriques traditionnelles, combustibles solides, minerais et produits métallurgiques, alimentent toujours l’essentiel du trafic ferroviaire. Ensemble, elles ont représenté, en 1973, près de 75 % des tonnes transportées par wagons complets. Dans les gains de trafic réalisés, ces trois rubriques interviennent pour près de 80 % » (Source : Le Rail, août 1974). En clair, le reste du trafic diffus ne concernait que 25%. Nous ne reviendrons pas sur la situation industrielle actuelle, qui a largement été évoquée dans un autre post. Toujours est-il que le trafic par wagon complet intéresse plus particulièrement les industries chimiques, papetières et métallurgiques.

La pratique
Après la seconde guerre mondiale, le chemin de fer fut reconstruit à l’identique des années 30 afin de rétablir la mobilité au plus vite. En traction, on tenta rapidement de substituer la vapeur au diesel pour les manœuvres, à l’électricité pour les lignes principales. Mais on pouvait encore observer fin des années 50 des trains de desserte en traction vapeur, « glorieuse époque » diront les nostalgiques d’un autre temps. Rien ne vaut cet extrait d’un règlement de 1961 de la SNCB démontrant la logique d’époque du transport ferré. Extraits : « (…) Cette demande (ndlr de wagon) doit être introduite 48 heures à l'avance pour les expéditions de 1 à 4 wagons et 96 heures à l'avance pour des expéditions plus importantes (…) Pour y être placé à un endroit déterminé - rampe de chargement, quai surélevé, dépôt particulier en gare - une légère taxe est perçue ». Ce type de texte est à coup sûr banni des concepts commerciaux d’aujourd’hui, mais il démontre parfaitement qu’à l’époque on parlait bien du chemin de fer en tant « qu’usage d’un bien d’Etat », ce qui contraste complètement avec la logistique actuelle !

Tarifs d’Etat
Dans une autre revue, en 1963, à la question de la tarification au cas par cas, selon le client et la logique commerciale, le directeur  la SNCB Marchandise  - valable partout ailleurs - est très clair : « Non, la loi du 25 août 1891 (!!!) interdit formellement les contrats particuliers. Nous pouvons faire des tarifs spéciaux, mais ils doivent être publiés et être accessibles à tous les trafics qui peuvent réunir les conditions qui y sont prévues. Evidemment, ceci nous met en état d’infériorité sur le plan commercial vis-à-vis des transporteurs routiers, qui ne sont pas astreints à l’obligation de publier leurs tarifs. Pour la voie d’eau, le fret normal intérieur de même que les tarifs spéciaux sont également publiés. Pour rétablir l’égalité, l’obligation de publier les tarifs devrait soit s’appliquer à tous les transporteurs, soit être totalement supprimée » (sic). C’est bien la deuxième option qui fut prise vingt-cinq ans plus tard…

Le wagon isolé aujourd’hui
Rien de tel – une fois encore – que cette vérité énoncée en 1963 : « En trafic intérieur, nous ne devons pas lutter pour conserver des trafics dispersés ou occasionnels, mais pour obtenir des courants massifs » (Source : Le Rail, juillet 1963). Une prophétie qui se réalisa sous un angle double : d’une part par la transformation effective du trafic fret vers le train complet, dominant aujourd’hui ; d’autre part, par la chute drastique de la petite industrie locale chère aux écolos, et son remplacement dans des zonings industriels implantés aux abords immédiats des autoroutes. En clair, la société de consommation telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec son « tout, tout de suite et à tout moment », a marginalisé une technique de transport désormais encadrée dans le déficit permanent. En France, 80 % des marchandises transportées par la route le sont dans un rayon de moins de 300 kilomètres. En Belgique, les distances y sont bien moindre et le trafic ferroviaire diffus est considéré comme rentable au-delà des 250 kilomètres, soit hors frontières du pays !

Questions sociétales
Le transport par wagon complet – dénommé TPWC – demande, on l’a vu en pratique, beaucoup de temps et de personnel. La technique exige du personnel doté d’une importante polyvalence et une grande flexibilité en ce qui concerne les heures de travail ou la combinaison de différentes fonctions. Dans tous les pays, il a été constaté que cela posait des problèmes avec le statut des cheminots. Cela a paru être une découverte pour tous, tant il est acquis depuis des lustres que le secteur transport de marchandises (camions-trains-marine marchande) ne peut se gérer comme le transport voyageur, à horaires, trains et jours fixes !

Rostock Seehafen, Allemagne (photo wolfro54)
Dans la hiérarchisation du chemin de fer, on ne mélange pas les pinceaux : le train de desserte est conduit par un conducteur et les wagons dételés/attelés par un « ateleur de wagons ». Deux personnes donc, avec une locomotive de 50 à 70 tonnes en diesel (CO2…), des manœuvres nombreuses chez le(s) client(s), du temps, et encore du temps. A cela s’ajoute la disponibilité des wagons : un client peut en souhaiter des types particuliers qu’il faut parfois aller chercher bien loin, ce qui renchérit encore le temps d’attente, de manœuvres, et donc de coûts ! Par rapport aux trains complets qui peuvent être « self-supporting », le contraste est saisissant et la différence se marque aussi dans les esprits politiques. Le wagon complet réuni ainsi deux problématiques sociétales : celle de l’emploi peu qualifié et celle liée à l’environnement .

Renoncement ?
Pour faire bonne figure face à ses engagement environnementaux, la Commission européenne elle-même s’est lancée dans une énième étude, alors que la SNCF – tout comme les autres d’ailleurs – ont largement réduit la voilure et fermés de nombreux triages. Plus symptomatique, c’est au royaume du rail que la déconfiture du wagon isolé prend toute sa quintessence. Début 2012, les CFF Cargo, disposant du monopole en trafic intérieur suisse, remettait en cause 155 des 500 lieux de desserte cargo pour le trafic marchandises par wagons complets, là où il y a moins de 1000 wagons par an, soit ce qui représentait à peine 6% du trafic intérieur annuel. Chez SNCB-Logistics, le diffus représente moins de 30% des trafics pour des recettes très faibles par rapport aux trains complets.

Cinq minutes de courage politique
En 2010 fut fondée l’alliance Xrail qui couvre la production du transport international par wagons isolés entre les sept entreprises de fret ferroviaire fondatrices, toutes publiques. L’option de l’Etat reste donc le fil rouge de cette alliance dont il est trop tôt pour en tirer les conclusions.

De manière générale les politiciens sont écartelés devant deux options : soit un subventionnement élevé pour peu de résultats, dont pourrait se plaindre la concurrence, les routiers et certains groupes politiques ; soit la prise en charge par des opérateurs fret de proximité, déjà présents un peu partout en Europe. Cette dernière option demande à coup sûr cinq minutes de courage politique à tous ceux qui sont « terrassé » par l’idéologie : l’OFP est soit un privé, soit un service public mais à condition de le vouloir, tant au niveau du matériel roulant dédié que des prestations du personnel.

Comme le monde ferroviaire a les yeux tournés outre Bâle, observons cette demande en 2012 de Francis Daetwyler (PS de Saint-Imier, Jura), à propos de la restructuration du trafic diffus CFF : « (le groupe PS demande que) le canton intervienne auprès de la Confédération afin de permettre que la desserte fine soit assurée par une autre entreprise que CFF Cargo quand cette dernière entreprise se retire. Il s’agit de desservir les points de chargement existants et de rechercher de nouveaux clients. Un opérateur de proximité a une souplesse de fonctionnement plus grande et peut proposer des solutions créatives ». Quand l’idéologie des Alpes diffère de celle des plaines d’Europe…

Dans les deux cas de figure, OFP ou subventionnement, c’est bien le transport qui s’adaptera à l’industrie et non l’inverse. Et là, on a quelques craintes lorsqu’on scrute les idéologies des uns et des autres…


A voir : une intéressante video de SBB Cargo concernant les manoeuvres de wagons complets


Le 4e paquet ferroviaire est servi


L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 
A voir aussi : la chronologie des paquets ferroviaires

Le voilà donc, ce fameux paquet : tant attendu, tant craint, tant commenté et tant débattu avant même sa publication. Prévue pour mi-décembre 2012, le nouveau gâteau de la Commission ne fut servi que le 30 janvier 2013. Que contient-il finalement ? Trois grands thèmes sont abordés dans cette communication qui n’est, rappelons-le, qu’un « draft » :

1) La mise en appels d’offres obligatoire pour les services régionaux ou domestiques dès 2019, avec des exceptions prévues si l’équilibre économique général est menacé ;

2) Un renforcement du rôle des gestionnaires d’Infrastructures pour la dimension de l’offre, la maintenance mais surtout la gestion, y inclus la sécurité ;

3) Le renforcement des pouvoirs de la fameuse Agence Ferroviaire Européenne (ERA en anglais) sise à Valenciennes et qui couvrira des domaines actuellement très « nationaux » comme la certification du matériel roulant.

A cela s’ajoute aussi l’adoption de la refonte du 1er paquet en novembre 2012 à  Luxembourg et l’abrogation du très ancien règlement (CEE) n° 1192/69 du Conseil du 26 juin 1969… 

Bataille idéologique

La fièvre généralisée qui a précédé l’arrivée du 4e paquet  a largement masqué les opérations en coulisse.  C’était probablement voulu, car chacun sait que même avec 6% de part de marché, la fièvre du rail déborde très vite chez la vox-populi, le pouvoir de blocage du rail étant ici inégalé par rapport à d’autres secteurs.  De plus, dans un environnement institutionnel très technique qui ne passionne pas les foules, l’on trouva plus commode d’opposer la réforme ferroviaire en terme de droite ou gauche, plus facile pour manipuler des slogans. Peccadilles ? On relèvera, à titre d’exemple, le refus du patron de la SNCF Guillaume Pépy d’apposer sa signature finale de la convention collective du fret qui aurait dû l’être pour l’été 2012. Motif : la mouture projetée entérinait un affaiblissement de la SNCF qui doit composer obligatoirement avec des coûts de ressources humaines bien supérieurs aux nouveaux entrants. En clair : la sauvegarde des acquis sociaux - et la peur de la rue – prend une part grandissante dans les arguments des opposants à la réforme ferroviaire de la Commission.  Il faut dire que pour un CEO en Europe latine, dominée par la confrontation entre base et élite, ce n’est jamais très gai de voir son entreprise à l’arrêt.

Un handicap auquel ne sont pas confrontés leurs homologues du « Nord » : dans l’Europe germanique, peu d’actions sociales paralysantes, ce n’est pas la mode. L’Allemagne, numéro un dans le paysage ferroviaire, a cependant aussi bataillé ferme contre une partie du 4e paquet, mais pour un tout autre motif : sa constitution en holding qui inclus la maîtrise de l’infrastructure via DB Netz, ne garantirait pas une indépendance absolue vis-à-vis des nouveaux entrants, d’après ses détracteurs.  DB Netz, gros pourvoyeurs de revenus via les redevances d’accès, dispose d’une oreille attentive jusqu’au sommet de l’Etat, car tout revenu est bon lorsqu’il s’agit de renflouer un déficit transport : on appelle cela les subventions croisées. Surtout, la réforme ferroviaire allemande de 1994 a mis au pilon les pratiques encore en vigueur en Europe latine : liquidation de la dette en échange de la fin du cheminot statutaire et de l’ouverture graduelle à la concurrence.  Berlin estime donc en avoir fait beaucoup et peut malicieusement se reposer sur un groupe DB tentaculaire qui progresse et fonctionne plutôt bien.

A la lecture de ce contexte, la pseudo alliance franco-allemande contre une partie du quatrième paquet tient davantage d’un leurre momentané, avant de probables nouvelles hostilités. 

Les constats

C’est peu dire si le chemin de fer collectionne deux records : celui du marathon législatif et celui de l’abondance législative. L’un et l’autre démontrent l’apesanteur dans laquelle survit le secteur ferroviaire et l’obligation qu’ont les élus de s’y impliquer bien plus que dans les autres modes de transports, qui se sont régulé eux-mêmes avec moins de résistance (auto, aviation, marine marchande).

Le fret français s'est surtout développé en Allemagne ! (ph kbs478)
Mais quel était le but initial de tout cela, finalement ? Dans les années 90, il fallait absolument que rail reprenne des parts de marché à la route et à l’aérien. Pour ce « modal-shift », on pensait qu’une adaptation de la législation suffirait et que le service public en serait capable. Las, les élus de l’époque se sont fait gruger : les réseaux ont pris par-dessus la jambe la directive 91/440. Il y eut bien des comptabilités séparées infras-tructure/transports, mais dès l’instant où les directeurs se parlent dans la même pièce, les bonnes habitudes demeurèrent la règle. Une évolution consista en l’apparition de contrat de gestion entre le donneur d’ordre, l’Etat, et le mandataire, le chemin de fer public. Sur ce thème, l’Europe socio-culturelle multiple prit des chemins divergents… 


Les autres paquets législatifs successifs devaient répondre à un océan de problèmes plus techniques : certification des conducteurs, attributions des licences aux nouveaux entrants, gestion « non-discriminée » de l’allocation des sillons horaires, instauration d’une Agence Ferroviaire européenne, ouverture à la concurrence du fret (2007) et du trafic voyageur international (2010), …etc.
 En dépit de tout cela, il y eut des plaintes de nouveaux entrants face à tout une série de discriminations : procédure d’attribution longue de licence allant jusqu'à 900.000, obstruction aux gares principales et rejet en gares périphériques (Milan), obstruction à l’allocation de sillons par attribution prioritaire à l’opérateur historique, collection des  données commerciales confidentielles par l’opérateur historique « multi-player », pour ne citer que ces récents exemples.
Plus grave : le degré d’intégration de la législation européenne au sein de chaque Etat-membre a été on ne peut plus diversifié et fait l’objet de plaintes officielles de la part de l’UE, certaines toujours en cours. 

Les coûts de la réforme

Les opposants à la réforme trouvèrent alors un autre thème de prédilection :  ceux qui ont joué le jeu et séparé leur infrastructure du transporteur national pointent les coûts excessifs de la séparation et le manque de coopération dans un système technique historiquement fermé. Une étude relayée « là où il le faut » affirmait même que la  réforme ferroviaire coûtait plus cher aux contribuables qu’au temps de la structure à l’ancienne. Sur ce point, rien ne vaut cette analyse du professeur Chris Nash de l’université de Leeds (UK) : les coûts ont effectivement crûs pour le contribuable anglais, mais ont diminué de 20 à 30% pour le suédois et l’Allemand (1). Le modèle anglais n’est donc pas celui à retenir. Cela dit, le coût des doublons n’est pas à prendre à la légère et ce fût l’une des marges de manœuvre des « pro-réintégration » belges qui échouèrent, la structure retenue étant bicéphale.
Un autre coût est celui dévolu à l’action juridique : c’est bien dans l’ère du temps et cela n’est pas une spécialité ferroviaire. Dorénavant, nouveaux entrants et opérateurs/gestionnaires historiques se parlent par avocats, voire tribunaux, interposés. Une judiciarisation à laquelle le rail n’était guère habitué du temps de bon-papa…

La Grande-Bretagne : un modèle qu'on ne retient pas ( Tutenkhamun Sleeping)

Le lobbying 
A côté de cela cohabitent à Bruxelles une bonne poignée de lobbys chargés d’influencer l’écriture de la législation, ni plus ni moins. A la CER, qui défend les intérêts des opérateurs historiques, on a multiplié les rencontres et les études pour assouplir la position de la DG Move sur le sujet de la structure, et quelques observateurs avisés ont pu distinguer la présence de Rudiger Grube (CEO de la DBAG) ou Mauro Moretti (CEO groupe FS) dans les couloirs de la Commission ou du Parlement. Ces chères études qui font sourire ailleurs, à l’EIM (l’association des gestionnaires d’Infrastructure) et à l’ERFA, une autre association qui défend les entreprises privées de fret. Pour la directrice de cette dernière, la quantité d’études produites par une telle variété d’association ne permet plus de se positionner et montre rapidement ses limites. Toujours est-il que France et Allemagne réussirent à infléchir certains points du présent 4e paquet… 

Les remèdes

D’abord le timing : les élections européennes de mai 2014 engendrent de facto le renouvellement de la Commission. Siim Kallas ne sera plus là et son successeur devra poursuivre, ou amender, la réforme. D’où l’intense jeu de lobbying décrit plus haut.  But du jeu : une CER qui fait tout pour freiner la Commission et l’EIM et l’ERFA qui inversement font tout pour l’accélération. Combat en vue ? 

Renforcement de pouvoirs et interopérabilité 
Séparer l’infrastructure nationale du transporteur historique,  en renforçant les pouvoirs à la fois de ces gestionnaires d’infrastructure et en renforçant ceux de l’ERA, l’agence ferroviaire européenne très occupée pour l’instant avec l’implémentation de l’ETCS. Le premier point a, on l’a assez vu, provoqué de vastes débats souvent plus émotionnels que pragmatiques. Pour le second, il s’agit clairement de passer à une régulation supranationale, recouvrant toutes les agences nationales de sécurité dont le rôle va être profondément revu. Une formule très demandée tant par les nouveaux entrants que par les constructeurs : dorénavant, chaque nouvelle locomotive à certifier aurait son « passeport »  valable pour un certain nombre de réseaux.

Autre point important : les gestionnaires d’infrastructure devrait être le détenteur du graphique de circulation, celui-là même qui fait l’objet de bataille rangée entre la France et Bruxelles, et non plus le transporteur. Pas sûr que sur ce thème il n’y ait pas des tours de passe-passe à l’étude pour contourner habilement cette donnée d’indépendance.

La Suisse a largement repris les principes de l'UE (ph Mike Knell )

Séparation/intégration : chacun choisi 
La Commission se plie aux choix qui touchent, finalement, à la souveraineté des Etats. Les enjeux socio-culturels l’emportent sur la libre circulation des nouveaux entrants. Le but absolu est de se prémunir contre la discrimination, que ce soit aux sillons et aux droits d’accès. Sur ce thème, l’approche idéologique qui a prévalu à l’automne 2012 ne vaut rien. Il s’agit avant tout que chaque Etat ordonne à « son » gestionnaire une transparence totale, sous peine de plaintes. La Suisse, non membre de l’UE, l’a parfaitement intégré à travers « Sillon Suisse SA », une entité qui se veut indépendante. Mais même là, certains opérateurs ont pointé le fait que les CFF ont un accès direct à leurs propres données commerciales confidentielles, ce qui crée un conflit d’intérêt dont l’Europe devra aussi s’inspirer, en accordant plus d’indépendance au gestionnaire d’infrastructure sans préjuger d’une séparation ou d’une intégration. Car le but final est d’éviter qu’un Etat membre fasse de l’obstruction à l’arrivée de nouveaux entrants. 

Trains régionaux et suburbains 
C’est l’objet de toutes les crises d’épilepsie : toucher au régional, c’est toucher aux gens. En Allemagne,  quantité de lignes dont ne voulait plus la DB sont passées « à la concession privée », avec des résultats corrects puisque les tarifs sociaux sont sauvegardés par les länder tandis que le matériel roulant est neuf et payé avec l’argent des banques, pas celui des contribuables. Dans sa communication de janvier, la Commission fait état de 50% d’augmentation du nombre de voyageurs sur dix ans : cela n’est pas dû aux seuls exercices privés mais concerne aussi, et parfois surtout, le service public. 

« En modifiant le règlement relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, la Commission vise à introduire une obligation de mise en concurrence pour les contrats de service public à partir de décembre 2019 ». Telle est la phrase choc écrite dans le draft de la Commission.  Des exceptions d’attribution directe sont permises ce qui revient à entériner l’actuel système de contrat de gestion qui ravira notamment la Belgique. 

Conclusions provisoires 
La quatrième pâtisserie européenne concernant le menu ferroviaire serait-il le dessert final ? Nul ne peut en préjuger. Des certitudes – et des confirmations – se sont fait jour au fil du temps. La part de marché du rail est à 6% de l’ensemble des déplacements dans l’Union, et deux citoyens sur trois ne prennent même jamais le train, confirmant un mode de vie largement détourné du rail (2)(3)(4). Très clairement, les actions législatives de l’Union ne videront pas les autoroutes mais sans elles, pourrions-nous encore parler de trains aujourd’hui ?  Beaucoup pointent l’absence d’Europe sociale, mais tous savent que cela passerait par une linéarisation culturelle. Il semble acquit de laisser cette utopie au rang des rêveries : quel français ou belge voudrait-il devenir Allemand, Suisse ou Finlandais, et inversement ? Et qui irait défendre les acquis du voisin ?

Il sera donc intéressant de voir qui défend quoi, les travailleurs d’abord, les usagers après, ou l’inverse. Nul doute que pour atteindre les 10% de part de marché, certains errements de la Commission devront être corrigés, et certains pouvoirs renforcés. Mais à ceux qui prônent la peur du changement et génèrent les slogans faciles, objectons que le chemin de fer d’hier n’est clairement pas plus celui de demain. 


(1) Railway Gazette International 01/13 pg 31
(2) A lire : trains et vacances, les ratés du transfert modal 
(3) A lire : mobilité domicile-travail : entre rêves et réalité 
(4) A lire : le train en mode survie 
(5) A lire : entre technique et éthique (EN) Intermodale24-rail

Le train en mode survie ?


L'analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation  
Rien de tel que cet extrait d’un internaute pour débuter cette chronique : « Si vous allez acheter un billet a la gare, il faut s'y prendre tôt car les files d'attente sont longues et de nombreux guichetiers sont fort désagréables. Les renseignements donnes sont souvent incomplets ou incorrects et le prix supérieur a celui d'Internet. Quant à demander des renseignements par téléphone, il y a longtemps que ce n'est plus possible. Sur Internet, vous avez le temps de regarder les offres et de changer les dates ou destinations. Souvent, les offres sur Internet ne sont pas valides en guichet et on ne peut pas vous renseigner sur des correspondances avec le reste de l'Europe. La SNCF a favorise l'achat par Internet au détriment de la relation humaine. Par contre, une fois de plus, ce sont les personnes âgées et ceux qui n'ont pas Internet qui vont souffrir de ces changements » Certes on trouve de tout sur la toile mais il faut se rendre à l’évidence : ce sont bien des gens qui écrivent cela qui remplissent – ou non – les trains ! Sans client, que serait le chemin de fer de nos jours ?

Or je dois me rendre à l’évidence : de nombreuses chroniques ferroviaires associées à des plumes averties nous revendent à tour de bras le chemin de fer des années 70. Comme si rien ne devait changer ! Peut-on exploiter un mode de transport devenu mineur en ignorant les desideratas de ses clients potentiels ? Où préfère-t-on éviter l’horrible évidence que le chemin de fer ne répond plus du tout aux modes de vie et de déplacements de l’homo XXIème siècle ? Une récente communication de l'Union Européenne avançait des chiffres édifiants : la part de marché dans le transport voyageurs n'atteint péniblement que les 6% et 59% des européens ne prennent jamais un train local ou régional !

Le chemin de fer est aujourd’hui, comme hier, en mode survie. Un ballon d’oxygène lui fut attribué dans les années 80 lorsqu’arriva le TGV, démontrant que le train avait encore quelques atouts en poche. Puis vinrent Ryannair et Easy Jet, en pleine période de folie libérale, et qui parvinrent à démontrer aux plus endurcis des écolos militants que l’avion pour 30-40 euros, c’était possible et accessible à tous. Et dès qu’il est question d’argent, le peuple suit comme un seul homme. Mediarail a déjà pondu des chroniques expliquant le déclin de l’industrie, mais surtout la folle dispersion de celle-ci et surtout celle des habitants, ce qui fait que pour aller d’un point A à un point B, la voiture – ou le vélo - demeure l’option la plus simple (1). 

Au cas où….
Au boulot en voiture, même au pays roi du transort public, la Suisse...
Force est de constater que le rail n’est utilisé qu’en deuxième – voire troisième – recours : au cas où c’est l’embouteillage tous les jours, au cas où j’ai mon bureau juste à côté de la gare ou du métro. Au cas temporaire où j’ai pas de voiture. C’est bien peu pour refaire du chemin de fer un mode dominant. Pour les vacances en famille, la question ne se pose même plus : débarquer à Avignon ou Florence, alors que le lieu de séjour se situe à 40km, là-bas, dans un petit village tranquille. Quid des bagages encombrants, des enfants sous un soleil de plomb (2). Pour les sorties le soir au resto ou « en boîte », la question ne se pose plus non plus. Pour les visites du dimanche, même scénario. Et quant l’école puis le lieu de travail se trouvent bien loin des gares, on a vite fait d’oublier le train. Dans ce contexte, est-il étonnant que le chemin de fer se soit retrouvé à 10, ou 8, ou 12 %, peu importe, des chiffres très très mineurs. 

La voie facile 
C’est presque une leçon de morale qui pourrait expliquer notre monde d’aujourd’hui. Il existe encore des gens  qui croient que c’est la déficience des services publics qui a jeté les gens sur les routes. Ce n’est pas faux mais ne serait-ce pas plutôt la facilité et la liberté de circulation qui a détourné les gens du transport public ? Qui veut encore revivre une attente sous pluie, pour un train avec banquettes en bois qui crachote de la fumée ? A côté de la voie ferrée, une route vous invite à vous rendre rapidement – sans ATTENDRE – à votre destination (photo ci-contre). Elle
Prendre le train : parfois c'est sportif ( 70023venus2009 - cc Flickr)
est là la leçon de morale, la leçon de vie : attendre, prendre le temps, ne faire qu’une seule chose dans une journée. Tel n’est sûrement plus le mode de vie d’aujourd’hui, mais bien celui des années 50-60. Aujourd’hui, les gens ont choisi la voie la plus facile : celle de ne pas attendre et de partir sans horaire minuté.  Cela rompt avec le passé, dont les rythmes étaient identiques pour tous, car on n’avait pas d’autres choix, procurant un semblant de socialisation. Aujourd’hui, nos rythmes sont différenciés, nous ne vivons pas la même réalité que le voisin. C’est l’individualisme, le consumérisme qui nous le permet. Malheureusement, ce mode de vie équivaut à une pollution de grande ampleur et aux risques accrus d’accidents. De temps à autre, là où il y a du monde, des « noctambus » viennent ramener les fêtards « chez eux », c’est à dire pour ceux que ça arrange et qui n’habitent pas trop loin d’un arrêt… 

Très chers transfrontaliers… 
Récemment, et comme prévu, des critiques furent largement émises sur l’arrivée du Fyra. Clairement, personne ne s’attendait à ce que le matériel d’Ansaldo Breda puisse un jour fonctionné sans encombre, tant les essais de mise au point furent longs. Et les débuts du Fyra V250 furent effectivement laborieux, entraînant sa traditionnelle cohorte de non-dits et d’imprécisions. Sauf que ce fut parfois l’infrastructure néerlandaise – et non le train – qui mit en cause le service. Mais les critiques sont aussi ailleurs : celle de la réservation des places, qui équivaut pour certains à de la contrainte. C’est vrai si on compare une fois encore avec l’auto, où la contrainte n’existe pas. Mais curieusement on l’accepte pour Ryannair ou les concerts rocks (3). D’autres critiques se fondent sur le  trafic transfrontalier. Herman Welter affirme ainsi que les anciens trains Benelux « faisaient  le plein ». Mon expérience personnelle a surtout permit de constater que c’était plein de Bruxelles à Anvers et de Roosendaal à Amsterdam. En revanche, sur l’unique tronçon « international », ça se vidait fameusement. Idem sur les Ostende-Cologne : dotés de voitures VSE I6 à compartiments, on y voyageait debout en pointe du matin de Brugge à Bruxelles, puis ça se vidait drastiquement au-delà de Liège pour se re-remplir à nouveau à Aix la Chapelle. Les trains étaient donc bien vides entre Roosendaal et Anvers, ainsi qu’entre Liège et Aix. Pour ces trains, il s’agissait davantage d’un « collage » de deux services intérieurs plutôt que d’un vrai service international. Démonstration toujours d’actualité avec le Thalys d’aujourd’hui sur Cologne : le taux de remplissage est loin d’être mirobolant et on ne voit pas de cohorte de touristes allemands débarquer à Liège. La faute aux tarifs ? Non, c’est culturel : Cologne et surtout Liège sont bien peu touristiques comparé à Amsterdam, et puis le public préfère de loin Disneyland à Liège ou l’Allemagne… 

Logistique vs industrie
© Wilfried Sieberg
Les usines elles-mêmes ne sont plus des usines : fini les grandes industries d’antan où les marchandises étaient charriées par milliers de tonnes et où grouillaient dans une grande camaraderie des ouvriers par centaines (photo-ci contre). Dorénavant, place à la logistique et au flux tendu. Ce sont des entreprises, souvent petites, ne produisant que de petites quantités chaque jour. Le soir, un seul camion suffit pour la production d’une journée. Un train, c’est trop… La desserte d’une PME se fait avec un seul camion et un seul chauffeur. La desserte par wagon se fait avec une lourde loco diesel et…deux personnes – service public oblige : une pour conduire, une pour dételer-atteler. Coûts supplémentaires donc, même si le coûts de la pollution par camion est rarement pris en compte. Mais une loco diesel de 80 tonnes, ça pollue aussi… 

Les coûts du rail 
Reste le gros morceau de ce que coûte de nos jours le chemin de fer. Sur ce terrain hautement miné, les partis politiques s’affrontent à coup d’études interposées, savamment « fuitées » dans les médias. Le rail  a  le malheur  de
Nouvelle route contre vieille ligne ferrée...
disposer d’énormes coûts fixes, pas seulement en matériel, mais surtout en infrastructure. Or les dépenses de ces quarante dernières années ont consisté à acheter de beaux trains que l’on faisait rouler sur des voies pourries. Nous payons aujourd’hui largement cette gabegie de l’époque de nos parents. Souvenons-nous qu’après la guerre, l’urgence fut de reconstruire un chemin de fer vapeur à l’identique des années 30. En parallèle, on construisait un réseau routier, novateur lui ! (photo ci-contre à gauche). Le peuple a suivi et ça nous ramène aux paragraphes précédents. Pour contrer le phénomène, l’Europe tente l’expérience de l’Open Access, qu’elle a du imposer à coup de directives tant les résistances cheminotes furent élevées. But du jeu : tenter de voir comment des entrepreneurs privés peuvent se débrouiller pour revitaliser le rail…avec l’argent des banques, et non pas celui du contribuable. Marchera, marchera pas, affaires à suivre (4).

Le top management n’est pas en reste et voit le chemin de fer d’un autre œil que celui des clients On se rappellera les tentatives – mainte fois repoussées puis abandonnées – de la DBAG de s’introduire en bourse. « Heureusement » 2008 est passé par là et a enterré pour un bon moment cette funeste idée…Reste que le grand public est maintenant hypnotisé par le « pas cher.com » : telecom, last minute, promos en cascade et surtout, l’aviation libéralisée. Avec Ryannair, on atteint le summum en matière communication et le plus redoutable des militants anti-capitaliste a été emporté par le virus du « pas cher ». Sauf que pour arriver à un tel résultat, il fallait forcément adopter des manières de travailler « novatrices », épongeant tout un personnel à des salaires minimum pour des tâches maximales. Les chemins de fer sont encore exemptés de ces manières de faire mais pour combien de temps ? La vérité des coûts tient aujourd’hui lieu de slogan : c’est à celui qui aura le meilleur produit d’appel. Dans cette farce, personne ne veut voir que 80% des passagers paieront leur vol 3 à 10 fois plus cher que l’heureux gagnant qui empoche le même à 30 euros. Et combien ceux qui comptent le coût réel de l’auto – autre que le carburant et les péages ?

Ces quelques énoncés nous permettent donc de voir que le rail doit – et devra – encore se battre pour sa survie. L’option française du tout TGV n’en est plus une, les autoroutes que l’on rêvait de vider sont toujours bien remplies. Les gens de 2013 ne font pas une mais dix choses par jour, ce qui implique une mobilité exponentielle et sans limites. Autant s’en rendre compte avant de nous rabattre le chemin de fer des années 60….

Mes meilleurs vœux ferroviaires à tous pour l’année 2013.
 A lire : une opinion d'Herman Welter (en néérlandais)