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Clin d'oeil : le chemin de fer belge des Ecolos


Dans la fièvre actuelle qui agite le petit monde ferroviaire belge, le parti Ecolo avait pris le gouvernement à contre-pied début octobre en soutenant la thèse syndicale d’une entreprise unifiée comme avant 2005, plutôt qu’une structure bicéphale. On peut comprendre le parti : d’une part l’approche des élections communales du 14 octobre, et d’autre part le programme politique des Verts en matière de transport.

Ce qui intéresse avant tout les Verts, c’est le transport et son côté « service social ». Inversement, ils ont toujours été très réticents à la technique, qui concerne davantage Infrabel.  Les Verts en effet considèrent que plutôt que de dépenser des milliards en travaux, il est plus opportun de rénover l’existant à moindre frais et de dépenser pour un transport « plus social ».

Illustration concrète vers 1990 : Ecolo avait toujours été opposé au TGV, non pas le train, mais bien les lignes, au motif de dégradation du paysage, d’expropriation de bonnes terres agricoles et de coûts faramineux. Ils avaient proposé de faire passer les 80 TGV actuels via Mons, par la ligne classique réaménagée, sans plus de détails techniques.

Autre illustration plus récente : les Verts proposaient un RER bruxellois sans béton à quelques coups de pinceaux, afin de ne pas dégrader l’environnement et surtout de contenir une éventuelle fuite des classes moyennes vers nos vertes provinces, diminuant la mixité tant espérée de la capitale.

Avec une SNCB forte et unifiée, Ecolo dispose d’une arme pour freiner les dépenses d’infrastructure et mettre en œuvre la politique sociale dont rêve le parti depuis toujours. Avec une structure bicéphale, Ecolo craint comme la peste des subventions « moins sociales » dirigées en priorité vers des travaux.

Faire rouler quantité de trains à tarifs sociaux sur une infrastructure minimale, voilà l’essentiel de la position d’Ecolo. Serait-ce là un modèle durable pour le rail... 

Compagnies ferroviaires : holding, séparées ou intégrées ?


L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 
D'autres infos, en français et en anglais, sur la page facebook de Mediarail.be
Légère euphorie pour les tenants d’une holding intégrée en matière ferroviaire : l’avocat général Niilo Jääskinen, membre de la Cour de justice de l'Union européenne, a jugé irrecevable ce jeudi 6 septembre 2012 la plainte de l’Union Européenne à l’encontre de l’Allemagne et l’Autriche. Cette dernière faisait valoir que (sic) « … les directives ne permettent pas aux États membres d'intégrer le gestionnaire indépendant dans le cadre d'une société holding à laquelle appartiennent également les entreprises ferroviaires, sauf s'ils prévoient des mesures supplémentaires pour garantir l'indépendance de la gestion ». Selon Niilo Jääskinen, la directive 91/440, relative au développement de chemins de fer communautaires, « n'oblige pas les États membres à réaliser une séparation institutionnelle entre le gestionnaire indépendant et l'opérateur historique » (sic). Une belle divergence d’interprétation qui fait débat alors que se tient les négociations sur le 4e paquet ferroviaire.

Il est curieux que  Niilo Jääskinen se base encore sur la 91/440, car, comme le mentionne opportunément le site Mobilicité (1) (sic) « les recommandations sont conformes au droit européen tel qu'il était au moment de la plainte, en 2010….Or les textes ont fait l'objet d'une refonte en juillet 2012 qui renforce l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure et qui va être traduite dans les législations nationales au plus tard en 2015 ». De manière générale, les juges de Luxembourg tiennent compte de 80% des recommandations – car c’est de cela qu’il s’agit – de leur avocat général. Or recommandation ne signifie pas contrainte réglementaire. Et selon l’association CER, qui regroupe les compagnies dites « historiques », chaque pays peut choisir son modèle, ce qui ajoutera à la confusion. Tentons de voir plus clair.

Indépendance de gestion
C’est l’indépendance de gestion qui est le cœur de la polémique : la garantie, au sein d’une holding, qu’il n’y ait pas de favoritisme envers « le grand frère transporteur » est sujette à des interprétations les plus diverses, comme toujours en matière de droit. Rappelons l’exemple italien où les FS avaient protesté sur les arrêts intermédiaires des Euro-City allemands Munich-Vérone, arguant que cela faussait le marché du trafic régional transalpin, ressortant opportunément de son chapeau une règle européenne donnant la primauté du trafic intérieur de service public par rapport au trafic international. Le même raisonnement fut agité lorsqu’Arenaways lança ses trains sur Turin-Milan (voir la chronique l'Italie, berceau de la libéralisation durail). Or c’est RFI, le gestionnaire italien, qui déposa la plainte. Sous demande du grand frère ? Cet exemple « d’interdépendance » à peine voilée est pointée du doigt par les nouveaux entrants, notamment dans ce rapport du Sénat Français de 2005 où l’on lit, en page 16, que « les opérateurs (ndlr privés) reprochent globalement au système français une organisation tournée à leurs yeux essentiellement vers les besoins de la SNCF et un certain manque de souplesse ». Plus grave, le rapport émet des craintes sur la confidentialité des données (re-sic) : «  (les nouveaux entrants, ndlr) doutent, du fait de la participation du gestionnaire délégué à l'instruction des demandes, que la confidentialité des informations soit parfaitement garantie » (2). Car c’est là aussi un argument impératif : la demande de sillons, et la fréquence demandée, traduit toute la politique commerciale d’un nouvel entrant, et donc dévoile des données sensibles à l’opérateur historique en cas de gestion intégrée au travers d’une holding. L’opacité juridique qui règne – parfois de manière voulue – dans les interprétations de divers pays laisse augurer de belles passes d’arme.

L’Infrastructure, ce monstre qui fait peur
(Figueres-Vilafant, août 2012, photo Mediarail)
Rien ne vaut mieux que ce résumé de Ronny Balcaen, (Ecolo). Dans un entretien à La Libre Belgique, il s’inquiétait en juin 2012 – en cas de structure à deux - de l’éventuelle montée en puissance d’Infrabel, le gestionnaire ferré belge (sic) : «dans la nouvelle répartition des compétences, Infrabel s’en sort admirablement bien. La SNCB n’aura plus aucune vue sur les gares, elle perd toute la question de la gestion des opérations à quai (départs des trains, etc.). Tout cela va passer de la SNCB vers Infrabel. Et on ne sait toujours pas quel sera le rôle des accompagnateurs de trains dans ce schéma. Le gestionnaire de l’infrastructure va devenir hyperpuissant ». Une crainte largement partagée ailleurs en Europe, et pas seulement par le pouvoir politique. Pourtant, en Espagne, on a franchi le pas puisque les logos de l’ADIF sont désormais placardés sur toutes les faces des gares importantes, le « transporteur national » devenant du coup moins visible (voir ci-contre, gare de Figures-Vilafant). Une horreur pour certains réseaux comme la SNCF ou la SNCB qui craignent pour leur influence publique et politique. Ce qui n’est pas faux : le chemin de fer séparé étant de toute manière « deux » services publics, dans certaines circonstances politiques précises, on pourrait même voir la droite favorisé l’un, et la gauche l’autre. Avec de solides batailles concernant les subventions et les nominations.

Subventions croisées, droite et gauche s’étripent
Il s’agit là d’un sujet de pure politique. En pratique : les secteurs d’une holding les plus rentables renflouent les canards boiteux. Si c’est parfaitement concevable au sein d’une holding privée, où seul le grand patron décide, l’argument ne tient plus au niveau de l’Etat, où la démocratie impose des arbitrages…politiques, et donc partisans. La Suisse, modèle ferroviaire mais aussi chantre du « tout intégré », s’interroge ainsi sur le bien-fondé de son système, où une fracture politique gauche-droite apparaît au grand jour (3). Mutualiser les recettes pour les redistribuer est une idée bien à gauche, mais on en vient alors à ce que des secteurs bien portants renflouent des déficits d’ailleurs. Dans le cas ferroviaire, ces dernières quarante années ont vu les budgets s’en aller davantage vers le matériel roulant que vers l’infrastructure, peu porteuse électoralement. En clair : ca revient à faire rouler des BMW sur des routes à pavés ! Mais quand l’Etat le voulait, on réduisait le budget rail pour mieux financer l’armée ou renflouer la sidérurgie. Principe de solidarité essentiel selon la gauche, subventions partisanes et risque de gaspillages rétorque la droite. Sauf que se passer de quelques années de sous-investissement en matériel roulant peut encore passer la rampe à un public « qui s’habitue aux vieilles choses » dans lequel il s’assied. Mais il ne voit pas en revanche l’état pitoyable de l’infrastructure, car nul doute que ce jeu politicien peut devenir dangereux et engendrer des baisses de vitesse chroniques voire des accidents dû à la qualité de la signalisation (Godinne en Belgique).

L’interrogation principale est de savoir s’il est normal que l’infrastructure subventionne les services voyageurs, ou l’inverse. Dès l’instant où l’Etat exige des politiques sociales, il est acquit que le déficit devient la pierre angulaire de toute politique de transport par rail. Faut-il rogner les budgets sur l’infra plutôt que sur les trains ? Sur ce point, droite et gauche s’étripent comme pas deux. La séparation en deux entités, pourrait peut-être calmer le jeu. Alors, pour ou contre les subventions croisées, le débat – animé – n’est certainement pas clos.

Le graphique horaire
La clé de l’exploitation ferroviaire, c’est bien entendu le graphique horaire puisque la circulation de tout train doit préalablement être « prévue » sur papier. On a pu déjà voir un épique débat avec le transfert de la « Direction des Circulations Ferroviaires » de la SNCF vers RFF, ou promise comme telle pour 2012-2013 (voir la chronique RFF-SNCF, qui décide du rail en France). En Suisse, les CFF remettent tous les deux ans leur projet d’horaire annuel à l’OFT (voir la chronique sur la Suisse ). Le droit de regard de l’Etat sur la quantité de trains exploités est on ne peut plus variable d’un pays à l’autre, souveraineté nationale oblige. Un élément de réponse pourrait être la création d’une Direction des Circulation Ferroviaire au sein d’un ministère puissant. Les quantités de train à exploiter, ainsi que la longueur du réseau à entretenir, devraient être notifié noir sur blanc dans un contrat de gestion de 4 à 5 ans. Le graphique horaire serait conçu pour favoriser tous les trafics, en mettant les « régionaux et express » au premier plan entre lesquels se faufilent des circulations fret SANS les faire arrêter tous les quinze kilomètres sur une voie de garage. La nuit, elle, reviendrait entièrement au fret et aux entretiens de voies. Difficile ? Politiquement, il parait que oui…

(2) Rapport sur ce lien
(3) A titre purement illustratif, le rapport sur les infrastructures d’économie suisse publié en juillet 2012 et les commentaires de Jean-Christophe Schwaab, conseiller PS vaudois.

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Chemin de fer : gouvernance, coûts et politique

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 

Deuxième partie
Les volontés de Bruxelles
Crise financière des années 80, déglingue de l’industrie lourde, nouvelles pratiques sociales déclenchent un mouvement où l’Europe prend de plus en plus de place : dès 1986 avec la signature de l’Acte Unique, puis surtout avec le Traité de Maastricht de 1992. Ce dernier offre à la Commission et au Parlement des pouvoirs étendus. Les directives adoptées ont force de loi et la transposition dans les législations nationales est obligatoire pour tous les signataires. Ceux qui n’en veulent pas restent à l’écart de l’Europe, comme la Suisse et la Norvège. Animée d’une réelle volonté d’intégration européenne pour les uns, ou « polluée » par le dogme libéral pour d’autres, toujours est-il que les volontés de Bruxelles de changer le rail et de dénoncer les monopoles vont profondément remanier un paysage longtemps figé. Une fois de plus c’est l’industrie qui démarre la farandole (voir ici notre chronique). La construction ferroviaire fait ses comptes, élimine les doublons, regroupe, remanie et modernise toute la filière, pour ne faire émerger que trois grands groupes et l’un ou l’autre challenger. On ne fabrique plus pour maintenir l’emploi national mais bien pour vendre des produits là où il y a des clients. Une méthode que d’aucun à Bruxelles voudrait bien voir venir au sein du chemin de fer. Reniant la définition des industries de réseau évoquée en première partie, les théoriciens de la Commission parièrent sur une dose de concurrence pour réveiller l’esprit compétitif du rail.

La concurrence pour développer la créativité ?
Entre la théorie et la pratique, les idéologies politiques font souvent le grand écart. Si la concurrence stimule effectivement à « faire mieux que le voisin », la pratique révèle un paysage bien différent. La dérégulation voulue par des théories libérales a surtout bénéficié aux « investisseurs », qui ne sont rien d’autres que des filiales de banques. Celles-ci voyaient dans le transport un marché nouveau dans lequel il y avait de quoi « se faire de l’argent ». Quelques rares experts éclairés ont tenté de démontrer une évidence : le secteur des transports, à l’inverse de la publicité ou de la chimie, rapporte très peu d’argent en regard des investissements à consentir. C’est donc pour tenter de pomper un maximum que le secteur financier sorti toutes ses grandes recettes économiques dans lesquelles figurent en bonne place la dérégulation. En matière ferroviaire, il ne s’attendait pas à un mur… Du côté de l’industrie en revanche, la créativité a explosé, comme en témoigne tous les deux ans le fameux salon berlinois Innotrans (ci-contre, photo bahnonline.ch). La concurrence fait rage et l’ensemble de l’industrie décline le meilleur pour vendre autorails, engins d’entretien ou locomotives. Y aurait-il eu une TRAXX européenne sans la concurrence ? On en doute. Le renouveau annoncé de la signalisation engendre déjà un juteux marché qui fait vivre toute une filière spécialisée, et ce au niveau européen. Donc toujoues bon pour l'emploi....




Tous coupables ?

Mais il serait trop facile de charger Bruxelles et le monde financier. Car les déficits monstrueux accumulés ne servaient-ils pas qu’à entretenir un mode transport à l’utilisation de plus en plus marginale ? Les culpabilités sur ce thème sont nombreuses. De l’Etat d’abord, obligé de louvoyer entre rigueur budgétaire et volcan social sans vouloir mettre toutes les cartes sur la table. Des directions ferroviaires ensuite dont les tops managers, venus du privé pour certains, firent comme bon leur semble des subsides du contribuable, promouvant le TGV à tout crin pour les uns, bâtissant de grands groupes logistiques pour d’autres, tel l’éphémère ABX en Belgique. Des syndicats encore, anesthésiés par une perte de crédibilité en cas de remaniement du statut, voient dans le corps cheminot l’un des derniers exemplaires de mobilisation à l’ancienne, reniant le fait que le chemin de fer n’est pas une affaire de lutte mais bien un moyen de transport au service de la collectivité.
Cette collectivité enfin, notamment en souscrivant au « sauvetage de la planète » par l’écologie tout en empruntant les voies du « pas cher point com ». Exemple flagrant avec les compagnies aériennes low-cost, offrant l’avion à un public traditionnellement fauché. Prix minimum pour pollution maximum, les paradoxes n’ont pas l’air de gêner grand monde de nos jours…

Désintégration
Tout cela a donc fait que Bruxelles voulu remettre l’église au milieu du village. Mais elle se heurta à un mur : pour passer les frontières, il fallait changer certaines techniques. Il aura fallu 15 ans de législation et trois paquets de directives pour tenter de trouver une solution à cette équation sans fin. Les résultats en 2012 ne semblaient toujours pas à la hauteur des espérances de leurs promoteurs puisqu’un quatrième volet devait réformer…les réformes déjà engagées.

Toujours est-il que de directives en directives, le paysage institutionnel a radicalement changé. La concurrence a boosté les esprits et on en veut pour preuve les nouveaux organigrammes qui fleurissent par activités au sein de toutes les entreprises ferroviaires. La SNCF ainsi s’est constituée vers 2010 de « branches » aux noms parfois évocateurs comme « Gares et Connexions » ou « Services de Proximité ». Toutes les anciennes administration d’Europe sont passées par ce renouveau de la structure.

Premiers diagnotiques
Parmi les points faibles : la séparation juridique de l’infrastructure qui a engendré des interprétations diverses. Elle n’a pas garanti à 100% le libre accès non discriminatoire et coûte plus cher au contribuable. Il y a en effet dans chaque pays « deux » sociétés ferroviaires - l’infra et le transporteur national – de sorte que les frais ont été multipliés. De plus, ainsi séparées, les entités entretiennent entre elles un système complexe de facturation alourdissant l’administration et multipliant les problèmes, dont les plus graves ne trouvent une solution que devant les tribunaux. Le thème de l’intégration ou de la séparation a fait en 2012 l’objet d’intenses débats entre partisans et opposants. Depuis les années 2000, la séparation de l’infrastructure n’a engendré la concurrence que sur la seule Europe du Nord, l’Allemagne et les Pays-Bas en particulier. Dans l’Europe latine, le barrage aux nouveaux entrants fut tenace et n’empêcha pas l’effondrement des trafics en marchandises dans des sociétés encore unitaires. En Italie, une première tentative de trains grandes lignes échoua avec la bénédiction de Trenitalia qui fit pression sur RFI pour lui interdire les grandes gares de Turin et Milan. Le genre de pression interdite par l’Europe. Mais en avril 2012, un autre candidat soutenu par la SNCF, NTV, vint directement concurrencer la grande vitesse nationale cette fois sans pression.

Pression aussi à la DBAG malgré son statut de holding : nombreuses sont les affaires qui ont atterri devant les tribunaux allemands. Mieux : le grand mastodonte est même en litige avec son propre régulateur ! Des clauses annulées par ce dernier comme le déni de la DBAG Netz de tenir compte des remarques des transporteurs. Ou pire le refus de rembourser la moins value en cas de travaux ou fermeture de dernière minute. Voilà donc le résultat de l’intégration et de la soi-disant impartialité de l’infrastructure intégrée en holding. Sur ce sujet, la cour de Justice européenne donnera un avis courant 2012.

La séparation n’a pas non plus mit fin à la guerre des chefs et des services qui sévissait déjà auparavant, contrairement à la « grande camaraderie » souvent évoquée. Elle a revanche mit le doigt sur les lignes à peu près rentables et celles qui ne le seront jamais, sur les services plus très utiles alors qu’ailleurs ont crie à la surchauffe, donnant lieu à de nouveaux débats enflammés sur la place du rail dans une mobilité multiple et durable. Ainsi en Belgique, seul le gestionnaire Infrabel produit quelques bénéfices : à l’époque de l’unitaire, ceux-ci auraient tôt fait de disparaître dans les déficits du transporteur national, la SNCB. En Allemagne, la DBAG a carrément refusé de donné à l’Autorité Fédérale la ventilation d’utilisation  de 3 milliards de fonds publics. Le tribunal de Leipzig est saisi de l’affaire…

Fortement décrié, le fait que transporteur(s) et gestionnaire d’infrastructure ne communiquent plus entre eux, engendrant des disfonctionnement. On peut s’interroger là si la volonté existe « de se parler » ou si certains profiteraient de la situation pour démontrer « que rien ne va ». Il est en tout cas aberrant que seul le transport ferroviaire soit encore incapable d’entretenir des conversations normales en exploitation. On n’ose pas imaginer cela dans le secteur maritime ou pire, l’aérien ! Ci-contre ; une rame Syntus aux Pays-Bas (photo mijngelderland.nl )

La fonction statutaire des cheminots reste un volcan en ébullition permanente. En refusant de filialiser le fret et certaines fonction, en focalisant les luttes sur les seuls travailleurs, et non pour la clientèle, les syndicats font montre d’un combat d’arrière garde. L’infrastructure, dont on a expliqué en première partie qu’elle n’intéresse pas le marché vu ses coûts, ne pourra jamais être qu’un service public géré par des agents statutaires. Tout au plus certains travaux ponctuels et spécialisés peuvent-ils être entrepris par le secteur privé.

La question très technique de la signalisation a revanche pris une tournure un peu plus positive. Le travail technique fut tellement titanesque qu’il fut confié à une agence européenne spécialement créée :  l’ERA, sise à Valenciennes. Cette dernière a pour mission de valider un nouveau concept de signalisation et de contrôle commande des trains, l’ERTMS, dont la pierre angulaire, l’ETCS, doit permettre de « lire » les autorisation de circulation à bord du train, selon un concept enfin uniformisé pour toute l’Europe (voir a chronique sur l'ETCS à ce sujet). Une fois encore, il s’agit ici de rattraper 50 ans de sous investissement en infrastructure. Les prix d’implantation de l’ETCS, s’ils ravissent évidemment l’industrie pour ce juteux marché, n’enchantent guère les réseaux dont certains ne voient pas la plus-value du système et craignent même cet afflux espéré de nouveaux entrants qui risquerait de saturer  rapidement leur réseau.


Quelques suggestions 
L’interdépendance rail-roue n’empêche pas le dialogue : un conducteur doit impérativement alerter un centre de contrôle en cas de pépin, ce que font tous les pilotes et autres commandants de bord de navires. Les tergiversations sur qui détient quoi n’ont aucune raison d’être : gares, débords, parking, accès et bien sûr les voies doivent être gérées par un gestionnaire d’infrastructure. Celui-ci est le seul habilité à tracer les horaires et les proposer sur demandes des clients.

Les transporteurs peuvent être des entreprises nationales ou régionales. Elles payent un usage de l’infrastructure et occupent, dans les gares, les locaux dont elles ont besoin. L’Etat peut imposer une priorité là où des devoirs sont demandés. Là où une structure s’avère trop lourde, il peut être fait appel à un concessionnaire privé à la gestion plus légère en tenant compte des souhaits horaires du citoyen et de la sécurité des transports.

Enfin, une seule autorité par Etat surveille l’ensemble et demande des comptes, dans le style de l’OFT suisse. L’Etat – ou une région - intervient dans la tarification destinée à un public fragilisé ou jeune. Elle remet annuellement un projet de sillons disponibles, en fonction des travaux et d’autres contraintes ponctuelles de tous les acteurs. Les agents, garant de l’impartialité, sont tous personnel d’Etat.

Seule une volonté politique adéquate et la compréhension de tous que plus rien ne sera comme avant permettra d’avoir un chemin de fer actif plutôt que défensif dans la mobilité plurielle d’aujourd’hui. Prêche-t-on dans le désert ?

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Chemin de fer : gouvernance, coûts et politique

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 

Première partie
Les années 2012 et 2013 offrent une période intéressante à plus d’un titre car elles coïncident avec une actualité chaude au niveau de la gouvernance du ferroviaire. La première partie se concentre sur la définition et l’état de l’industrie ferroviaire à l’aube des années 90. La seconde partie met en balance le pour et le contre de la nouvelle gouvernance voulue par les décideurs.

Une histoire en mouvement
Le site Wikipedia résume plutôt bien les vingt dernières années législatives du rail. En 2012, un quatrième paquet était en préparation au niveau de l’Europe pour réformer…certaines réformes de l’Europe ferroviaire, sur fond de tension quant à la structure de gouvernance à adopter : les uns ne jurent que par l’entreprise étatique intégrée, maître de son territoire au nom de la souveraineté nationale, les autres prônent une séparation juridique entre l’infrastructure et le(s) transporteur(s) pour clarifier les subsides et promouvoir une meilleure efficacité via la concurrence. Partisans et opposants de l’une ou l’autre option s’affrontent par études et médias interposés pour des motifs qui leur sont propre : motifs politiques pour beaucoup, argumentation technique et économique pour d’autres. Tentons d’y voir clair.

L’industrie de réseau : des cas particuliers


Les industries de réseaux se distinguent  du reste de l’économie par la présence d’un actif physique très lourd : le réseau de transport. Celui-ci n’est géré que par une seule entreprise, que ce soit en gaz, eau, électricité ou téléphonie fixe. D’aucuns y ont rajouté le chemin de fer, argumentant sur la grande dépendance entre le rail et la roue. La téléphonie ou l’électricité offrent cependant la possibilité de se fournir auprès de plusieurs fournisseurs tout en se branchant sur un même câble. En téléphonie, le client ne captera via un préfixe que les signaux qui lui sont dû. En eau, gaz et électricité, le client « se sert » au passage dans un grand mélange où plusieurs fournisseurs utilisent - via une redevance d’usage - un seul et même réseau de câble ou tuyaux. Ce réseau unique n’est alors géré que par une seule entreprise régionale ou nationale selon les Etats : il y a donc ici bel et bien séparation entre la fourniture et le transport.

La transposition d’un tel modèle aux chemins de fer semble beaucoup plus difficile et moins pratique : fourniture de service et transport se confondent car le client n’est pas chez lui mais en déplacement. Il ne se « sert pas au passage » mais demande une offre complète de transport de A vers B. Dans le cas du rail, cette offre comprend  non seulement le réseau, mais également le mobile roulant nécessaire au déplacement : rails et trains ne font qu'un.

Caractéristique commune à ces industries : la lourdeur des investissements en fonction de l’étendue du réseau. Les coûts de construction y sont astronomiques et « irrécupérables », et les extensions souhaitées ne peuvent se concevoir qu’à long terme. Voilà pourquoi il est fait usage du monopole – souvent étatique - pour la gestion d’un réseau car le marché est myope pour le long terme étant donné qu’il ne peut satisfaire un retour rapide sur investissement comme l’exigent les investisseurs privés. En dehors de certaines concessions telles Eurotunnel, il n’existe que fort peu d’exemples mondiaux d’infrastructures privées, si ce n’est quelques ouvrages d’art payants.

Les coûts, le juste prix et l’endettement
Sujet polémique s’il en est, la fixation des prix de fourniture de transport et d’énergie est un acte hautement politique qui met en perspective le tarif octroyé face aux coûts de production. En transport, ces derniers se sont toujours révélé bien supérieurs à ce que peut dignement payer l’usager, ce qui implique une politique de subventions où intervient doublement le portefeuille du contribuable : une première fois via les impôts, une seconde fois à la consommation. Les politiques de fixation des prix par l’Etat ont l’avantage majeur d’ignorer les soubresauts du marché et les coûts de production de sorte que ceux-ci ne peuvent être couverts que par l’endettement collectif. Les partis de la gauche radicale semblent être les seuls à considérer que cet endettement se doit d'être illimité ! Les autres se montrent nettement plus sceptiques…
On peut les comprendre : l’envolée des déficits dans les années 70 a signifié une hausse des taux d’emprunt, conjugué à une taxation très importante d’un public cible de plus en plus élargis au fur et à mesure des dérapages des finances publiques. Le mécontentement a rapidement gagné l’ensemble de l’électorat avec des conséquences que nous évoquerons dans la deuxième partie.

Une administration, des roulants et l’infra 
Tous nationalisés, les chemins de fer entament l’après-guerre sous un régime d’économie administrée, très en vogue en cette époque keynésienne. Véritable entité d’Etat, le rail ne devait sa subsistance que par les seules subventions dont le ratio variait au gré des partis au pouvoir. La fixation des tarifs évoquée plus haut ne permettait aucune marge de manœuvre pour faire rentrer les recettes : il ne s’agissait pas d’attirer le client mais « d’espérer » que l’usager …fasse usage du chemin de fer. En haut lieu, lors des douloureux arbitrages annuels, c’était toujours l’infrastructure qui faisait les frais de l’économie vus les coûts astronomiques évoqués précédemment. On préférait alors produire des « BMW du rail » - comme les Trans Europ Express – quitte à les faire rouler sur un réseau désuet et des gares d’un autre âge. Un indice qui ne trompe pas : la presse spécialisée glorifiait à tour de bras les progrès en traction et matériel, et ne produisait que rarement quelques écrits sur l’infrastructure, confirmant cette catégorisation toujours actuelle du « conducteur » face à « ceux d’en bas, de l’infra ». La séparation, déjà, vue d’un angle interne.
  
La solidarité par les subventions croisées
Au sein des directions, nombreux furent avalisés les vases communicants permettant à un secteur de renflouer l’autre. Justifiables sur le plan de la solidarité interne, ces croisements amenaient parfois les dirigeants à masquer les réalités et à embellir les rapports annuels destinés à la tutelle. La tentation était grande de noyer la comptabilité dans un vaste flou avec l’espoir de faire adopter des subventions à la hausse sans poser trop de questions. Un fait qui sera mis à mal dès les années 80 quand les parlementaires quémanderont enfin une ventilation des dépenses et recettes par branche, dans le but de clarifier les comptes et d’adopter les budgets. La désintégration commence…

Le corps cheminot
Le cheminot, l’homme du chemin de fer, n’est jamais absent de la question sociale. Au XIXè siècle, ce corps était vu comme un fleuron de l’ascension sociale pour tout une cohorte de paysans voulant fuir la grande misère des campagnes. Comme l’exprime si bien Henri Scaillet (1), le travail du cheminot ne peut se concevoir sans esprit d’équipe, de camaraderie. Certaine catégories de cheminot avaient même un pouvoir de police judiciaire ! Ainsi s’est forgé, au cours des décennies, l’esprit cheminot sur le terrain avec en appoint, un grand corps de techniciens et d’ingénieurs. L’ensemble se veut extrêmement hiérarchisé et dévoué à la mission confiée par l’Etat. Il reste cependant souvent associé à l’esprit ouvrier  et à l’industrie lourde qu’il a accompagné, de par ses nombreuses luttes sociales qui auront marqué toute l’histoire du chemin de fer. Cela s’en ressent encore de nos jours, où chaque changement des règles acquises engendre une adrénaline parfois savamment entretenue comme contrepoids politique (nous y revenons dans une autre chronique).

L’ère du changement
Dans l’intervalle, mai 68 est passé par-là et paradoxalement, en faisant valser les choses acquises, le grondement du peuple accoucha d’un citoyen plus individualiste et moins réceptif à la grandeur de l’Etat. Le respect s’essouffle et les exigences de qualité montent en puissance, contredisant toute la tradition cheminote où naguère, le citoyen se contentait de ce qu’on lui offrait. Désormais il réclame des comptes aux élus, qui le répercutent notamment sur le rail. En parallèle, la chute de l’industrie lourde fait place à la logistique où le train ne devient soudainement plus obligatoire pour le transport (voir la chronique particulière à ce sujet).  Cette remise en cause de l’Etat-Providence, du corps cheminot et des subventions croisées recentre le débat sur une nouvelle gouvernance du rail. Elle est l’objet de notre seconde partie.

(1) Henri Scaillet : "L'histoire des Chemins de Fer" - PFTTSP 2006

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Jacques Cornet répond à Médiarail

Mediarail.be - Technicien signalisation 

A la suite de l'analyse de Mediarail concernant l'article de La Libre Belgique paru le 27 mars 2012, Monsieur Jacques Cornet a tenu à nous répondre et je vous livre ci-dessous ses précisions.

Je viens de prendre connaissance des différents articles que vous publiez sur le sujet. Loin de moi toute polémique mais à la lecture de votre analyse sur ma proposition je crois devoir préciser ce qui suit :

-          Il n’y a pas d’impasse à l’égard des relations Confédération/CFF/SBB/FFS. Ma référence « suisse » est strictement limitée à la gouvernance de l’entreprise ferroviaire et les relations Etat/Entreprise Publique doivent faire l’objet d’un contrat de gestion (Belgique) et de prestations pour la CH. C’est un autre chapitre.
-          - Dans SNCB/Quater l’autonomie des entreprises publiques n’est pas remise en question par l’instauration d’une OAR qui en raison de sa nécessaire neutralité doit être rattachée au SPF. L’autonomie ce n’est pas un chèque en blanc surtout quand l’Etat possède 98% du capital et désigne les administrateurs.  
-          - L’organisation tricéphale est née avec la bonne excuse des « desideratas » de la CE et surtout une opportunité pour se répartir des mandats à tour de bras, en d’autres termes, cela arrangeait tout le monde.  
-          - Peut-on vraiment minorer l’importance du personnel 37.000 dans une entreprise industriel comme c’est le cas pour une entreprise ferroviaire.
-          - Je vous laisse le soin de qualifier la gestion financière du temps de l’entreprise « unitaire » de manipulations et d avoir englué les comptes dans une opacité voulue. Je note que ni le Collège des Commissaires ni la Cour des Comptes n’ont détectés de telles manipulations.
-         - L’OAR donne toutes les garanties voulues au nouveaux entrants pour l’usage de l’infrastructure (sillons & tarification) – l’accès aux facilités essentiels.
-          - Dans le cadre de SNCB/Quater il y a une répartition saine et très claire entre la Direction exploitation (SNCB) et la direction  de l’infrastructure (Infrabel).
-          - SNCB exploite exclusivement l’offre ferroviaire (voyageurs et marchandises) avec contrat de gestion. Son matériel roulant (tractions & véhicules) sont entretenus dans les ateliers SNCB.
-          - Infrabel reçoit toutes les autres installations fixes y compris le personnel (les chefs de gare lui sont rattachés) ceci sera de nature à améliorer la gestion du trafic qui échappe totalement à la SNCB qui sera traitée comme un nouvel entrant cad sans privilèges comme vous le craignez erronément.
-          - Toutes ces questions seront traitées dans des contrats de gestion qui fixeront droits et obligations dans le cadre du service publique et entre les Directions de l’Entreprise.

On ne tourne pas en rond.

Jacques CORNET
Chevalier de l'Ordre National du Mérite
Directeur Général Adjoint Hre  SNCB/UIC

Mediarail :  je remercie infiniment Monsieur Cornet d'avoir pris la peine de répondre et de préciser ainsi sa pensée.


Fret : la grande mue de l’industrie, fatale au rail ?
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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09/06/2012

L’après-guerre avait vu la reconstruction de l’Europe se répandre sous le modèle économique keynésien (de John Stuart Keynes, économiste de renom). Dans ce modèle, les usines fournissaient à la chaîne les quantités nationales suffisantes en volume pour remplir tout un train ou une péniche : c’était la période de « l’offre », où l’on espérait tout vendre. Mais dans leur quête du toujours moins cher, les industriels inversèrent peu à peu le rapport : désormais la fabrication sera tirée « par la demande » ce qui signifie une influence sur les quantités de fabrication. La notion de volume s’effrite alors dangereusement car on ne fabrique dorénavant que ce qui est sûr d’être vendu, quitte à ne transporter au jour le jour que des petites quantités. Le mot est lâché : petite quantité est l’antithèse du chemin de fer, son pire ennemi. C’est dans les années 70 et 80 que le modèle keynésien perd peu à peu de son influence et fait place alors à une spécialisation par usine. Ainsi, on ne fabrique plus un même produit pour un seul pays, mais une seule usine se consacre à un seul produit pour toute l’Europe voire un pan entier de la planète.
Comme le consommateur devient très exigeant et demande davantage de références, cette spécialisation des usines prend une ampleur sans précédent dans les années 80 tout en s’accompagnant d’une large financiarisation de l’industrie. Dans l’intervalle s’annonce une ère nouvelle avec un curseur se déplaçant plus à droite de l’échiquier politique et tournant le dos à l’Etat-Providence des années 60 et 70. Ce décor planté explique pour partie les raisons du déclin du fret ferroviaire.

La multiplication des références a fait exploser les voyages en petits lots par pallette (photo Alternate.com) 

Il ne s’agit donc plus d’écouler des quantités pour maintenir le plein emploi, mais de ne fabriquer que ce qui est nécessaire. Les marchés nationaux devenant du coup « trop petits », les industriels quémandèrent plus de facilités pour passer les frontières et racheter – ou créer - dans un seul espace, des sociétés là où ils le veulent : l’Europe économique était née. Pour arriver à une masse critique rentabilisant une usine, fut mis sur pied tout un réseau d’entreprises interconnectées entre elles. Chaque usine fournit un ou des composants et l’ensemble est assemblé dans une seule entreprise de montage en bout de chaîne : le flux tendu était né et avec lui, la taille des usines de composants diminua drastiquement pour ne laisser qu’un vaste tissu de PME ou d’entreprises de moins de 500 travailleurs. Ce fut clairement un changement radical comparé  à la grosse industrie des années 30 à 50, et ce ne fut pas sans répercussion sur le tissu social et syndical comme on le sait, mais il s’agit là d’un autre débat…

Parcellisation et flux tendus
Cette nouvelle méthode d’industrialisation fut fatale aux chemins de fer : des petites quantités, heure par heure, ne suffisaient plus à remplir un train, comme le montre l'exemple ci-contre où l'on voit que même la palette n'occupe pas toute la hauteur ! (photo Livraisons franpounais). Pire, la demande fluctuant chaque semaine, il fallait souvent adapter les capacités de transport au jour le jour. Or qui mieux que le camion s’adapte à cette fluctuation ? Les chemins de fer ne vivent que sur la prévisibilité des trafics, au mieux trois mois à l’avance, ce qui lui interdisait toute forme d’adaptation, si ce n’est vers le bas (moins de trafic). Comme l’Etat était justement occupé, dans les années 50 à 80, à s’équiper d’un réseau (auto)routier performant, le chemin de fer et ses lourdeurs furent rapidement mis en minorité et le transport routier rafla la majorité des contrats de transports industriels. C’est l’aboutissement au monde tel que nous le connaissons aujourd’hui avec ses files interminables de camions et un bilan CO2 abominable (photo ci-dessous Cargoblog).

Dans le même temps, la vieille industrie du XIX siècle qui fit jadis la gloire du rail – le charbon et l’acier – était promise au déclin du fait des conditions de travail devenues inacceptables dans les mines à charbon, et surtout par la transition du charbon vers le pétrole pour les besoins énergétiques de tous. Ce même pétrole qui donna naissance à l’industrie du plastique pour remplacer peu à peu tous les éléments « fer » qui faisaient le quotidien de nos grands-parents, déstructurant davantage la filière fer-fonte-acier. Légèreté, petits lots, éparpillement, surveillance des ventes, calcul de rentabilité à la pièce, connexion inter-entreprises, tout a été fait pour promouvoir chaque jour des millions de petits transports aux quatre coins de l’Europe, au détriment du rail.

Du côté législatif, cette logique industrielle ne fut possible que par la fin des douanes et des contraintes étatiques. L’Europe politique pris à bras le corps le relais des industriels et s’attela, pour y arriver, à une vaste déréglementation des transports à commencer par le plus facile et le plus rapidement modifiable : le secteur routier. En moins de quinze ans, celui-ci passa du contingentement  et de la tarification obligatoire, au cabotage libre sans restriction dans tout l’espace européen, Royaume-Uni inclus ! Un traitement analogue fut administré au secteur aérien provoquant l’apparition des géants du colis que son Fedex, UPS ou DHL, renvoyant au musée les poussiéreux services « colis » d’un chemin de fer laissé pour compte… Une tentative de déréglementation du rail eu bien lieu mais tardivement et fort timidement, en 1991 avec la directive 91/440, alors que toutes les pièces du puzzle industriel moderne étaient déjà en place. Il était donc trop tard….

Du côté social enfin, l’ère post Etat-providence ne s’accommodait plus de l’emploi garanti et hiérarchisé, pierre angulaire de l’époque keynésienne fortement soutenu - pour ses généreux acquis - par l’ensemble de la gauche et du syndicalisme européen. Or la fluctuation des demandes de transport s’accommode  très mal des choses figées ce qui obligea tout le secteur, tant routier qu’aérien, à faire appel à la seule main d’œuvre privée, nettement plus modulable sur les temps et période de travail. A cela s'ajoute une utilisation très poussée des technologies de l'information et du scanning comme le montre le cliché ci-dessus (photo Sciencephoto). Cette modulation du personnel a bien sûr provoqué l'ire des partenaires sociaux qui parlent fréquement de dumping. Certains pays ont vu dans le même temps leur secteur routier se différencier : le Nord de l’Europe dispose de grosses sociétés de camionnage très offensives alors que l’Europe latine concentre une myriade de petits indépendants « qui n’ont pour seules tartines » que leur propre camion. Cette dichotomie aura une influence considérable…sur le rail, dans le secteur intermodal, et nous y reviendrons dans une autre chronique.

Des méthodes à revoir
Marginalisé dans ce monde nouveau, le chemin de fer n’est plus en odeur de sainteté auprès des industriels et de leur relais politique. Ses méthodes ne seraient plus, dit-on, dans l’ère du temps. Alors qu’il ne faut que quelques heures pour trouver un ou deux transporteurs routiers, 2 à 3 jours sont encore nécessaires pour « trouver le bon wagon » et presque autant de temps pour l’amener chez le client, pour autant que ce dernier dispose de sa propre voie d’accès, ce qui devient de plus en plus rare dès l’instant où toutes les entreprises s’installent maintenant dans des zonings voisins de l’autoroute, avec la bienveillance de l’Etat. De plus le réseau routier gracieusement mis à disposition est disponible partout et à toute heure, ce qui est loin d’être le cas du réseau ferré dont certaines petites lignes sont fermées la nuit. Pour enfoncer le clou, l’acheminement d’un seul wagon mobilise deux hommes et une loco diesel dont le bilan carbone explose face à un camion unique qui ne mobilise que son seul chauffeur (photo en haut Flickr en Suisse) ! Ce dernier ne fonctionne pas – ou peu – à « l’horaire minuté » et peut s’affranchir de toutes les contraintes inhérentes au service public, gage de fiabilité et de disponibilité. D’aucun critiquent sans discernement les fermetures de lignes largement entamées dès les années 50. C’est ignorer ce que desservait jadis ce réseau démantelé : des campagnes champêtres et des forêts entières pour les seuls besoins des ruraux, bien à l’écart des poumons industriels et des grands axes de transit. Le maintien de ces lignes peut coûter une fortune au contribuable, pour un effet Co2 pas toujours justifiable, comme le montre cet exemple en Allemagne (photo ci-dessous ytimg.com). Raser ce paysage pour y installer des champs de PME modernes provoquerait aujourd’hui les meilleures tempêtes écologiques bien dans l’air du temps ! Ils sont devenus inexistants, ces petits agriculteurs qui embarquaient dans l’omnibus poussif avec toute leur marchandise pour la vendre vingt kilomètres plus loin sur un marché local. Le monde a changé, les pratiques sociales aussi….

Conclusions provisoires
Avec tout ce qui précède, fallait-il s’étonner de la chute des trafics et de la fuite des chargeurs vers d’autres cieux aux meilleures conditions ? D’aucun souhaiterait secrètement -  voire ouvertement – le grand retour de l’Etat pour réguler plus sévèrement le secteur routier au même tarif – et acquis sociaux - que le service public. Ils verraient aussi bien une action plus dirigiste obligeant les entreprises à s’installer ici plutôt que là et, au passage, emprunter obligatoirement le chemin de fer quelqu’en soit la qualité fournie. Cette forme de politique a déjà été expérimentée durant quarante ans à l’est de l’Europe, avec le « succès » que l’on sait. Il n’est donc plus question de cela aujourd’hui et la liberté d’entreprise et d’usage des transports  - sujet très sensible en Occident - ne permet plus aucun retour en arrière. C’est donc aux chemins de fer à s’adapter et non l’inverse, le citoyen ne tolérant plus les exceptions non justifiées qu’il doit par ailleurs payer de sa poche. Certains exemples de ces dix dernières années, notamment dans un renouveau ferroviaire qui émerge doucement, démontrent que le rail dispose encore de vastes atouts. Les industriels commencent à le savoir, les politiques aussi. L’espoir fait vivre…

A voir aussi : Chemin de fer : gouvernance, coûts et politique

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