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La gratuité des transports publics est-elle durable ?
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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31/03/2016

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En Belgique depuis juillet 2013, l’accès aux bus du TEC wallon pour les 65 ans et plus est de nouveau payant. Une contribution de 36 € par an est dorénavant demandée. Depuis le 1er septembre 2015, les seniors payent aussi 50 euros par an pour emprunter les transports en commun en Flandre. Hasselt a mis fin à son expérience pionnière et Mons s’apprête à rendre payantes de ses quatre lignes gratuites dès juillet 2016. A Bruxelles, cela a toujours été payant. En France, trente villes moyennes disposent de lignes de bus gratuites. Les cartes Emeraude et Améthyste, qui permettaient aux personnes âgées ou handicapées de se déplacer gratuitement sur le réseau ferré d’Ile-de-France, sont devenues payantes depuis novembre 2012. A Tallinn, on observe toujours la « ville verte » et on commence à mieux cerner le phénomène du transport gratuit. Les objectifs sont-ils atteints ? Tentative de réponse.

Avant tout un discours politique
La gratuité des choses existe bien entendu dans les relations humaines, à travers la charité, la solidarité personnelle, familiale ou communautaire. Mais il s’agit dans tous ces cas d’un acte volontaire, quasi philosophique, à l’image des nombreux bénévoles de l’Europe et du monde. En revanche, la gratuité artificielle est une démarche inverse : « on » décide de la gratuité d’un bien et on le fait payer par un tiers, sans lui demander son avis. La valeur morale de cette charité est sujette à caution, voire nulle. Elle est expressément politique, donc critiquable.

Le discours politique s’est donc emparé du sujet. Paul Ariès,  politologue, socio-économiste et rédacteur en chef de journaux militants de gauche, écrit ainsi : « La croissance est toujours génératrice d’inégalités sociales. Elle casse les cultures populaires et toutes les formes protosocialistes d’existence. Le grand combat c’est de (re)développer les biens communs, de redevenir des partageux. Les gauches antiproductivistes proposent pour cela de mettre la question de la gratuité (donc celle des communs) au cœur de nos réflexions mais aussi de nos combats. » Sortir les masses populaires de leur environnement et, en passant, s’emparer du thème de l’environnement pour « casser le système capitaliste basé sur l’auto et la consommation. » Le ton martial est donné. Et les arguments demeurent identiques d’un coin à l’autre de l’Europe, surtout à gauche de l’échiquier politique.

Ainsi à Niort, le président de l’agglomération explique le choix de la gratuité dès 2017 (qui) permettra « un gain de pouvoir d’achat pour tous avec des économies de carburant et de frais automobiles. Il favorisera également l’autonomie des jeunes ». Il s’agit aussi, évidemment, d’un enjeu environnemental : « On est à l’heure de la Cop 21. Dans toutes les grandes villes, dès qu’il y a un pic de pollution, les transports publics sont gratuits. La gratuité est une réponse claire aux problèmes environnementaux. » Depuis qu’elle existe, la gratuité des transports fait débat mais surtout, elle est de nos jours « analysable » à l’aune des expériences des uns et des autres.

Recettes et coûts d’exploitation
Les coûts du transport public : une vérité qui dérange. Et qui n’est pas uniforme. Exemple avec Metroshuttle, un système de bus gratuits qui opère dans le Grand Manchester. Le système a été introduit uniquement dans le centre-ville en 2002, avec trois lignes reliant les grandes artères et les gares de la ville avec les principaux quartiers commerciaux, financiers et culturels tout proches. Ce service gratuit coûte environ 1,2 millions de £ par an et ne semble pour l’instant pas faire l’objet de débats. 

L'un des bus du Metroshuttle de Manchester, à Aytoun Street (photo Mikey via flickr CC BY 2.0)

Mais ailleurs, comme l’écrit Olivier Razemon  sur son blog, on voit dans les villes de France des bus rapides, vides et chers. Le taux de couverture par les seules recettes, partout en Europe, est exécrable : entre 25 et 35%, rarement plus, la différence devant être compensé par le subside public. Selon un exemple chiffré de l’Union des transports publics (UTP), à Thionville, un bus roule à 23,2 km/h, mais chaque habitant n’effectue que 44 trajets par an, chacun de ces voyages étant subventionné par la collectivité à hauteur de 2,53 €. A Lyon, par comparaison, les bus ne dépassent pas 15,2 km/h, mais les habitants l’utilisent 328 fois par an, et la subvention ne dépasse pas 84 centimes par trajet. L’usage et le coût d’exploitation : une variable à ne pas prendre à la légère.

Pourtant, pour ses promoteurs, la gratuité permet notamment d’éviter les dépenses de billettique et de contrôle, qui ne représentent cependant qu’une faible part des recettes commerciales des entreprises de transport collectif.  La croissance de la fréquentation, très difficile à estimer avant l’adoption de la gratuité, est en général sous-estimée, selon une étude conjointe de la FNAUT et du GART (France) : on observe une saturation des véhicules rendant les bus ou trams très inconfortables, particulièrement pour la clientèle habituelle qui fait les frais de la cohue et du brouhaha. Cette situation peut bien-sûr être corrigée immédiatement par un renforcement des fréquences et donc d’achat de matériel supplémentaire, ou de matériel de plus grande capacité. Mais cela à un coût souvent non pris en compte par les municipalités candidates au « tout gratuit ». Le coût de la gratuité est ainsi généralement mal calculé au départ, estime l’étude précitée.

Tout cela n’est rien à côté des coûts d’exploitation, régulièrement indexés. Ainsi à Mons, le coût des quatre lignes gratuites du centre-ville sont passées de 372.000 € en 2013 à 477.000 € en 2016, soit +28% en trois années, complété par 1,1 million € provenant de la région wallonne, le tout pour quatre circuits de bus convoyant 6000 personnes par jour en moyenne. A Rotherham, agglomération anglaise de 255 000 habitants, on avait créé un service de bus gratuit en 2007. Sa survie, avec une fréquence de 20 minutes sur un parcours raccourci par rapport au projet initial, était assurée par…les propriétaires du centre commercial qu’il dessert ! Ce service a été supprimé en 2014 afin de récupérer quelques  8,3 millions £ de budget annuel, soit sept fois plus que le Metroshuttle de Manchester !

A Mons, les quatre lignes gratuites intra-muros deviennent payantes (photo Mediarail.be)

La perte de recettes commerciales due à la gratuité est aisément évaluée mais les économies (billetterie, contrôles) sont systématiquement surestimées, de même que le coût des investissements nécessaires pour faire face  à la croissance de la fréquentation induite par cette gratuité. D’aucuns estiment que la gratuité n’optimise pas la dépense publique, qu’au contraire elle monopolise des ressources qui pourraient être consacrées plus utilement aux investissements et au renforcement de l’offre de transport collectif, réclamée par une majorité de citadins. Ce fût l’argument de Mons et d’autres villes pour mettre fin au système : investir là où il le faut, là où les besoins sont les plus urgents.

Au royaume mondial du transport public,  un collectif de Genève a aussi pensé à la gratuité.  Elle aurait coûté au Canton pas loin de 155 millions d’euros par an. Une telle somme fût jugée prohibitive et devait être investie plutôt dans l’offre existante, seul moyen d'agir positivement sur la fréquentation, plutôt que d’offrir la gratuité. En février 2008, les Genevois devaient se prononcer sur l'initiative populaire lancée par le groupuscule des Communistes, des dissidents du parti du Travail. Et déposée grâce, notamment, au soutien significatif de l’extrême gauche locale, des syndicats, de l’Avivo, de la Société pédagogique genevoise et de Greenpeace ! L’initiative « Pour la gratuité des transports publics genevois » a ainsi encaissé une lourde défaite, avec 66 % de vote « contre » pour un taux de participation de 62 %. La totalité des communes ont aussi voté contre.

Le problème de la « clientèle captive »
Si la politique est omni présente dans ce débat, c’est avant tout par la clientèle captive supposée en bénéficier. La défense de la veuve et de l’orphelin, un des axes idéologiques de la gauche politique, indique clairement à qui s’adresse la gratuité. Et les réalités du terrain le confirment. A Tallinn,  ville en observation permanente pour sa « politique verte et sociale », les plus fortes hausses (+10 %) de l’usage du réseau public ont été observées dans les quartiers populaires éloignés du centre-ville, où la population russophone ou immigrée est importante et le taux de chômage élevé. Mais cette population est réputée venir au centre-ville sans vraiment dépenser dans les commerces, voire parfois en mendiant. Du coup, on s’interroge sur l’objectif : la gratuité sert-elle à tout le monde ou à « un public » particulier ?

A Tallinn, la gratuité n'a pas introduit les foules dans les bus ni diminué de manière drastique le trafic automobile (photo Guillaume Speurt via flickr CC BY SA 2.0)

Car le transport public, gratuit ou non, attire surtout des « captifs certifiés » du transport collectif, à savoir principalement une population urbaine effectuant des trajets courts (sur deux ou trois arrêts), plutôt que les automobilistes de la périphérie. Elle induit donc des déplacements inutiles en transport collectif parmi ces piétons et ces cyclistes urbains et, peut-être, parmi les non-actifs. A Châteauroux, la gratuité a ainsi séduit de nombreux piétons et des cyclistes, en contradiction avec la politique de santé publique et sans gain environnemental puisque les trajets courts relèvent de la marche et du vélo, et elle a attiré peu d’automobilistes (la part modale du transport collectif a augmenté, mais celle de la voiture a à peine diminué). Les Transports Publics Genevois, qui militaient contre l’initiative susmentionnée à Genève, n’ont pas manqué non plus cette cible : « Dans les quelques villes européennes qui ont tenté l’expérience de la gratuité, on a constaté que la fréquentation n’augmentait pas de manière significative, si ce n’est celle des piétons et des cyclistes qui,  sachant le bus gratuit, montent dedans pour s’économiser quelques centaines de mètres ». Moins de gens qui marchent et plus de gens qui courent attraper un bus... A Aubagne (France), Gilles, chauffeur de bus gratuit, a parfois l’impression de conduire un manège : « Il m’est arrivé souvent de voir des gens courir comme des dératés, comme si leur vie en dépendait. D’autres attendent 25 minutes le bus pour faire un arrêt. Merci la gratuité ! »

Pour faire court, la gratuité n’intéresse donc pas l’immense majorité des automobilistes qui campent sur leur mode de vie. Car gratuité ne rime pas nécessairement avec qualité et fréquence, comme en a fait l’amère expérience la ville de Bologne. A Mons, l’essentiel du commerce est maintenant situé derrière la gare, sur l’immense site des Grands-Prés jouxtant l’autoroute, alors que le centre-ville se désertifie doucement si ce n’est par le maintien de l’horeca, insuffisant pour maintenir un centre-ville de qualité.

Autre effet pervers prévisible de la gratuité : elle encouragerait certains ménages, confrontés dans certaines villes au coût excessif du logement, à s’installer plus loin en périphérie et à accepter des déplacements quotidiens plus longs et fatigants. Pour devoir in fine prendre le train, RER ou S-Bahn, qui, eux, ne sont jamais gratuits.

Objectifs atteints ?
Sans prendre de gants, beaucoup estiment que l’objectif social est atteint, mais seulement à court terme, ce qui sied parfaitement aux acteurs politiques,  qui sont à la fois des décideurs qui impriment leur politique et des « chasseurs » en perpétuelle campagne électorale. A Tallinn, le bilan d’un an de gratuité fût pour le moins mitigé, particulièrement si on le rapporte à son coût : la hausse de la fréquentation du réseau n’a été que de 3 %, dont 1,2 % seulement due à la gratuité. Certaines études ont montré que sur d’autres petites villes en Europe, on constate que la gratuité a surtout eu un impact sur une clientèle populaire, « habituellement  captive » car dépourvue de transport individuel, confirmant qu’en Europe, la gratuité améliore sensiblement la mobilité des citadins plutôt défavorisés, et pas le sort des populations aisées. Le paradoxe est grand dès lors que, si les classes moyennes ne se ruent pas sur le transport public, on peut difficilement affirmer que « l’objectif social est atteint ». Tout est une question de définition : le mot « social » serait-il associé, chez certains, à « précarité » ou « groupes faibles » ? Pour quelles raisons les classes moyennes et aisées devraient-elles demeurer en dehors du champ social ? Parce qu’elles votent différemment ? Ce n’est pas simple à analyser…

Paris, pic de pollution (photo WA SO via flickr CC BY NC ND 2.0)

L’autre objectif politique, environnemental celui-là, est aussi à remettre en perspective avec les réalités du terrain. Quoique pas vraiment comparable avec des villes moyennes, la gestion récente des pics de pollution en Île de France montre que l’instauration de la gratuité n’a eu qu’un effet marginal sur le comportement des automobilistes. Selon la Direction des Routes d’Ile-de-France,  le nombre de kilomètres de bouchons, de l’ordre de 200 km, aurait été même plus élevé les jours de pic que d’habitude. A Tallinn, selon des chercheurs de l’Institut Royal de Technologie de Stockholm,  la congestion et la pollution n’ont pas été réduites de manière assez perceptible. A Aubagne, agglomération dépassant les 100.000 habitants, Yves Vandranne, membre de l’association Ballon rouge, plutôt très à gauche, estime : « Si c’est pour pousser les gens à moins utiliser leur voiture, ça se défend, mais sinon je pense que chacun devrait payer selon ses moyens. La gratuité n’est pas l’aboutissement du progressisme dans tous les domaines. »

Bruno Marzloff, sociologue des déplacements  souligne dans un reportage le côté pervers de la mesure : « Elle pousse à consommer de la ville, dans une logique où l’Etat protecteur prend en charge son administré, sait ce qui est bon pour lui. Elle s’inscrit aussi dans une politique obsolète de l’offre et de l’infrastructure qui prévaut sur une politique innovante de la demande et des services. On en mesure les difficultés. (…) l’offre courra toujours après la demande. C’est une mesure au mieux angélique, au pire populiste, qui infantilise les gens et plombe les comptes (…) Surtout, elle ne répond pas aux vrais enjeux écologiques : la nécessité de moins se déplacer » précise-t-il.

In fine
Comme le rappelle Reporterre.net dans un article de 2014, il faut souligner le danger d’une tarification trop bon marché du transport, déjà mis en relief par Alfred Sauvy. Dans un ouvrage remarquable (Le socialisme en liberté, 1970), il dénonçait courageusement l’effet pervers de ce qu’on appelait alors l’abonnement ouvrier : « l’anti-économique est devenu, comme bien souvent, anti-social ». L’objectif social peut être atteint à moindre coût par des mesures catégorielles de gratuité ou l’adoption d’une tarification très basse pour certains groupes cibles. Pour inciter les automobilistes à utiliser le transport collectif, mieux vaut augmenter le coût d’usage de la voiture (carburant, stationnement) et introduire le péage urbain, là où c’est possible. A cela s’ajoute l’éternelle question de la localisation des emplois, des écoles et des domiciles privés, variables qui priment avant toutes les autres sur le choix modal.

L’autre argument tient à l’exploitation du transport public lui-même. La vitesse des véhicules, la cadence des dessertes, l’efficacité des correspondances, la propreté des lieux, la sécurité et, de préférence, les trajets directs, le maillage du territoire, sont autant de facteurs autrement plus décisifs que la gratuité. Une articulation entre tous les modes, ainsi qu’une fiscalité rénovée, comme le « paquet mobilité » demeurent les meilleures solutions à mettre en œuvre. Or, pour être durables, celles-ci appellent à être financée par les deniers publics là où ils sont disponibles, et ce au bénéfice de tous, pas uniquement à un public électoralement ciblé…




"On m'a dit que" : le ferroviaire décortiqué en petites phrases
Remerciements  : aux internautes toujours plus nombreux qui, par leurs commentaires, ont enrichi cette rubrique.


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SOCIÉTÉ / POLITIQUE

Il ne peut y avoir qu’un seul modèle de service public au niveau européen
Faux : les différences culturelles et organisationnelles historiques d’un pays à l’autre sont considérables. Service public en France : l’Etat est garant d’une bonne prestation pour un service qui doit être accessible à tous dans de bonnes conditions de continuité et de prix. La France présente la version la plus pure, associant service public au dogme de l'Etat. Daseinvorsorgen en Allemagne : les services sont décentralisés et conçus comme une prévoyance sociale. Public utilities en Grande-Bretagne : c’est à la régulation de permettre l’accès aux services de tous, sous un angle peut-être plus utilitariste. Services d’Etat dans les anciens pays communistes : on servait l’Etat en tant qu’appareil et pas les usagers, priés de se contenter de l’offre. La notion de service public a été engluée dans les sciences sociales et par-delà, dans la politique et l'idéologie.

Le chemin de fer est un service public
Vrai : ses coûts fixes énormes, particulièrement en infrastructure, ne peuvent qu’être soumis à un budget d’Etat, ou régional, car ces coûts sont incompatibles avec le rendement espéré dans une entreprise privée. Destiné à tous les publics, le chemin de fer offre certaines tarifications à caractère social ne pouvant être budgétisé que via les deniers de l’Etat.
Faux : lorsque certains affirment que le service public ne peut être gérer que par des « agents de service public ». Des agents peuvent être contractuels et parfaitement effectuer des tâches de service public pour lesquels ils sont payés (davantage de précisions plus loin).

Le chemin de fer est un service social
Vrai : si on considère quelques tarifications sociales accordées à certaines catégories d’usagers.
Faux : est « social » un service qui fournit des éléments de première nécessité, comme se loger, se chauffer et se nourrir. Le déplacement ne fait pas partie de cette catégorie « première nécessité » et le chemin de fer n’est donc pas à ce titre un service social.

Le chemin de fer appartient aux cheminots
Faux : tout personnel se sent certes investi dans son entreprise d’une manière ou d’une autre. Mais le chemin de fer n’est pas une machine destinée à faire tourner en priorité l’emploi cheminot, mais un outil de transport offert – contre paiement - à l’usage des citoyens qui en ont besoin. Cet outil doit comporter le personnel nécessaire et motivé à son bon fonctionnement, ce qui inclut bien évidemment de créer des conditions de travail attirantes, ce qui n'est pas toujours le cas aux chemins de fer.


Le chemin de fer est un circuit fermé
Vrai : par le passé, le chemin fournissait la totalité des services nécessaires à son propre fonctionnement, jusqu'à avoir ses propres fonderies pour ses boulons ou détenir son propre service médical ou mutualiste, à l'écart du droit commun. A ce titre, le chemin de fer de jadis a souvent été qualifié « d'Etat dans l'Etat ». C'est la fin de cette politique qui fait le débat houleux d'aujourd'hui.
Faux : il n'est plus possible de nos jours de vivre en circuit fermé, même au service de l'Etat. Par ailleurs, la justification d'appartenir « à un monde à part » rencontre de moins en moins d'échos dans une planète mondialisée et connectée de toute part.

Le chemin de fer doit rester neutre politiquement
Vrai : s’il est un service public, ce qui est le cas quasi partout, ce service aux citoyens doit rester politiquement neutre et ne peut servir de base à une quelconque idéologie.
Faux : une minorité considère le chemin de fer comme étant une « chose sociale », avec une tendance marquée à gauche de l’échiquier politique.

Le chemin de fer est une variable d’ajustement budgétaire des Etats nationaux
Vrai : les subventions et investissements se font au gré des élections et des « couleurs » gouvernementales. L'argent ne vient que s'il est disponible en fonction des accords de gouvernements, ce qui est néfaste pour les investissements à long terme.

La Commission européenne est très libérale
Vrai : si on considère comme anormal le transfert de compétences des nations vers l’Europe. Egalement vrai si on est heurté par la culture politique des autres Etats membres. Ainsi la gauche latine n’est pas comparable à la gauche nordique, et encore moins britannique. Aux dernières élections européennes du 25 mai 2014, l'ensemble des droites a atteint 44,4% des suffrages et les forces de gauche ont poursuivi leur recul avec 30,1% des voix. Est-ce un Parlement « libéral » ? A chacun de voir…
Faux : la balance gauche-droite ne signifie pas de facto la promotion d’une politique libérale de droite de la Commission. De plus, le Conseil de l’Union européenne, qui comporte tous les chefs d’Etat et de gouvernements élus en « national », peut refuser ou modifier certaines décisions de la Commission et du Parlement européen si cela remet en cause certaines convictions politiques ou si cela « va trop loin ».
Tout changement de société se veut-il de facto libéral ? A vous de voir…

L’Europe détruit les services publics
Vrai : car l’Europe s’y est pris très tard, les services publics n’ayant fait l’objet d’une définition qu’à partir de 1999 et du traité d’Amsterdam. Il y a eu depuis les années 80 une idéologie du tout au marché.
Faux : le traité de Lisbonne accorde un large pouvoir discrétionnaire aux autorités nationales, régionales et locales pour fournir des compensations financières aux entreprises assurant un service public. A cet égard, l’Union européenne n’a aucun pouvoir d’ordonner la privatisation d’une entreprise publique nationale.

Le transport privé est synonyme de précarité de l’emploi
Vrai : en ce qui concerne notamment le secteur routier, mais également la marine marchande qui utilise beaucoup de philippins, entre autres. Cela est dû au fait que les métiers du transport ne demandent pas de grandes qualifications scolaires, l’apprentissage se faisant « sur place ». Les travailleurs du transport sont donc généralement le « fond du panier ». 
Faux : lorsque les employés disposent d’une bonne formation et de salaires en conséquence. Les métiers du transport ne sont pas ceux qui paient le mieux mais ils offrent une bouée de sauvetage aux non-qualifiés qui peuvent ainsi échapper au chômage et à la vraie précarité.

Le service public n’a pas de prix
Faux : toute chose à un prix, même au niveau de l’Etat. L’Etat ou la Région doit en tout temps rechercher l’optimum entre la dépense fournie et le service rendu. Et c’est là qu’il y a débat : faut-il dépenser beaucoup de milliards pour peu de choses, pour peu de citoyens ? Qui faut-il privilégier ? Ou trouver les moyens de la dépense ? Le débat est passionnel et forcément politique. Rappelons qu’aux chemins de fer belges 60% des subventions partent dans les salaires…

La réforme du rail signifie « privatiser » les chemins de fer
Vrai : en Grande-Bretagne, les sociétés de transport sont toutes privées mais reçoivent des subventions pour les services à fournir. Le réseau est géré depuis 2004 par Network Rail, société d’Etat.
Faux : la privatisation a toujours trait à l’actionnariat dominant. Or, aux chemins de fer, l’actionnaire dominant est unique et est représenté par l’Etat. On confond « privatisation » avec « statut public » du personnel, ce qui n’a rien à voir. Les contractuels au sein du chemin de fer font le même boulot et doivent obéir aux mêmes procédures de travail. Ce personnel n’a cependant pas les mêmes avantages extra-légaux que les cheminots statutaires et c’est sur ce terrain – peu ferroviaire - que certains parlent de « privatisation ». Le terme est biaisé…

A l’avenir la concurrence est inévitable
Vrai : En Italie, l’arrivée d’un concurrent en grande vitesse - une première mondiale – a fait chuter les prix et a obligé Trenitalia a repositionner tout son marketing et sa tarification, ce qui n’aurait pas eu lieu en situation de monopole.
Faux : la concurrence n’est jamais une fin en soi. Elle est là pour stimuler et faire bouger les lignes. Ainsi, la simple évocation des Régions françaises « d’aller voir ailleurs en matière de TER » a obligé la SNCF à se mouiller et à offrir plus de transparence dans ses coûts, tout en restant un service public.

Il faut obliger les citoyens et les entreprises à utiliser le train
Faux : la mobilité contrainte sur une technologie choisie par l’Etat a déjà été expérimentée par le passé dans des régimes autoritaires. Le droit d’utilisation d’une technologie plutôt qu’une autre relève de la démocratie et de la vie privée. Tout au plus peut-on influencer, via l’outil fiscal par exemple.

En « filialisant », on veut diviser le monde cheminot
Vrai : c’est le dessein caché de quelques politiciens et la grande crainte du monde syndical, pour qui le rapport de force est essentiel dans leurs objectifs.
Faux : la filialisation permet de répondre à des groupes de clientèle qui n’ont pas les mêmes aspirations ni les mêmes demandes en transport. Il y a une différence entre un voyage local et un voyage international. De même qu’on ne gère pas le fret comme on gère des Inter-City interurbains.

MOBILITÉ
Le train est la réponse à la mobilité de demain
Faux : le train n’est qu’une partie de la mobilité. Il répond aujourd’hui et répondra demain à certaines formes de mobilité, comme le domicile-travail aux heures de pointe. Mais il n’est pas la réponse toute faite à d’autres mobilités, comme une soirée chez des amis ou certaines formes de voyages (caravaning…)

Le transport public reste le premier choix du citoyen
Vrai : pour les citoyens à faibles revenus, minoritaires, et ne disposant pas de moyen de locomotion privé
Faux : une toute grande majorité de citoyen n’utilisent les transports publics que par défaut, lorsque l’utilisation d’un véhicule privé est impossible ou trop contraint.

La baisse des prix est en contradiction avec le développement durable
Vrai : l’exemple de Ryanair en est le plus exemplaire. Des prix plancher pour utiliser le mode de transport le plus gourmand en énergie fossile.
Faux : les prix plancher permettent à tout le monde de voyager. Cet élargissement des clients « captifs » fait aussi partie du développement durable : tout le monde en profite.

La gratuité du transport public peut être généralisée
Vrai : lorsque la gratuité est gérée au niveau local, généralement sur réseau de petite taille ou sur un service particulier (navette hôtelière). En réalité, ce sont des services qui coûtent mais qui sont payés par l’ensemble de la communauté (ou de la clientèle), qu’elle soit utilisatrice ou pas.
Faux : la gratuité n’est pas gérable à grande échelle en dépit des économies d’échelle.

Prendre le train est un droit
Faux : on vous accorde en démocratie un droit de circulation illimité, sous réserve de la propriété privée et des zones sensibles. On ne vous accorde pas un droit d’utilisation d’une technologie plutôt qu’une autre. Cela reste une faculté payante, même à tarif minima.

Un transport public fort permet le développement durable de demain
Vrai : si on parle de la tutelle, qui doit avoir la main et fournir des objectifs clairs. Vrai si on tient compte de nombreux paramètres, comme la structure des coûts, la maîtrise des coûts et le mode d’exploitation retenu du service de transport.
Vrai : si on pratique une autre politique d’implantation de l’habitat et des emplois.
Faux : si la notion de service public « fort » c’est se contenter d’éponger les déficits sans moduler les paramètres d’exploitation ni avoir un droit de regard sur l’efficience du service rendu.

Plus il y aura des trains, moins il y aura de files sur les autoroutes
Vrai : particulièrement aux heures de pointe en semaine. Les grèves sont là pour le démontrer.
Faux : tout le monde n’a pas besoin du train car son utilisation est très dépendante de l’implantation du domicile et de l’emploi, de l’école des enfants et des lieux de vie du ménage (les proches, les magasins, les loisirs…).

Le rail est technologiquement bien placé face à ses concurrents
Vrai : dans certains cas, grâce avant tout à l’inventivité de ses constructeurs et industriels
Faux : car dans l’intervalle, aviation et automobile innovent en permanence, diminuent leur coûts d’utilisation et proposent des services adaptés aux nouvelles tendances de voyage des citoyens, et ce en un temps record.

GOUVERNANCE DU RAIL

Le chemin de fer occupe un segment à part dans le monde économique et industriel
Vrai : pour ce qui est de la culture historique du rail, souvent associée au monde de l’acier et du charbon, entraînant une image « à la Zola » et cristallisant un passé de luttes sociales.
Faux : le chemin de fer est un outil de transport possédant ses particularités propres mais qui doit s’insérer dans ses meilleurs créneaux, notamment s’agissant du transport de volume, où le rail excelle. Il n’est plus comme jadis l’instrument incontournable de l’économie et de l’industrie.

La puissance publique centralisée est garante du maintien du réseau
Faux : exemple avec la  création de la SNCF qui a conduit immédiatement dans les années 30 à de très nombreuses fermetures de lignes, suivies dans les 50 à 70 par d’autres vague. La puissance publique ajuste le réseau en fonction de ses finances...
Il n’y a pas assez d’investissements dans les lignes ferroviaires
Vrai : depuis la dernière guerre mondiale, les investissements pour l’entretien et le réaménagement des lignes ferroviaires l’ont été jusqu’au strict niveau de sécurité, plus rarement au-delà, en dehors de quelques lignes nouvelles, TGV ou non, ainsi que des ponts remplaçant les passages à niveau. Les profils de ligne et les courbes n’ont pas changé depuis leur création au XIXème siècle, alors que les vitesses et charges des trains ont quasi doublé.

Il est possible de faire aussi bien avec moins d’argent
Vrai : avec un réaménagement du service transport et des tâches, il est en effet possible de faire aussi bien avec moins d’argent ou davantage avec la même enveloppe. Ce phénomène est actuellement démontré avec les petites lignes rurales concédées, comme pratiqué aux Pays-Bas et en Allemagne.

Scinder l’infrastructure du transport est une catastrophe pour le chemin de fer
Vrai : lorsqu’on considère ce qu’on appelle les coûts de transaction à court terme, supérieur de 20 à 40% selon les formules et les Etats qui pratiquent la scission. Vrai aussi sur le terrain opérationnel lorsqu’il n’y a pas de directives claires sur le périmètre d’action de chacun. Vrai encore lorsqu’il faut déterminer la responsabilité des uns et des autres (transporteurs), en cas d’incident.
Faux : des études commencent à démontrer qu’un isolement de l’infrastructure permet de circonscrire les coûts d’entretien et d’investissements et d’avoir une idée claire des montants nécessaires en évitant les croisements de subsides au sein d’une entreprise unifiée, qui pratique le flou financier. Le résultat est identique si c’est une séparation en entreprise pure ou au sein d’une holding avec séparation claire et affirmée. Chose démontrée, à long terme, le gain d’efficience en vient à dépasser les surcoûts de transaction précédemment cités.

Seuls des agents de l’Etat peuvent gérer le chemin de fer
Vrai : si le chemin de fer était un pouvoir régalien, à l’égal de la police ou de l’armée.
Faux : car la conduite des trains et l’exploitation en général demandent le respect scrupuleux de procédures de travail par l’ensemble du personnel, quels que soient les avantages extra-légaux et le format de la fiche de paie…

Les cheminots sont des fainéants grassement payés
Faux : les salaires du rail ne sont pas mirobolants, loin s’en faut. Comme ailleurs dans la fonction publique, il y a des métiers très « actifs », et d’autres qui ressemblent davantage à un service de garde : on s’active au cas où. Les métiers de roulants sont évidemment les plus fatigants (nuit, pause, tôt matin,…) que ceux des bureaux de dessins ou des ateliers… C’est au niveau de la pension et des congés annuels que l’avantage d’avoir été cheminot se fait largement sentir.

Le statut a toujours été le garant de la qualité des services
Vrai : pour les heures d’ouverture au public des guichets, la recette des gares, le côté souvent « humain » du personnel d’accompagnement, le respect des procédures de travail.
Faux : quand le téléphone n’est plus décroché, quand on en vient à des procédures tatillonnes entraînant des retards, quand l’attente est longue et sans explications, quand un accompagnateur ne peut pas régler la clim ou le chauffage parce que « c’est réservé aux techniciens du matériel », quand le train est supprimé sans raison, etc…

Les directions du chemin de fer sont des « parachutés » politiques
Vrai : tant pour le CEO que dans la composition du comité exécutif de l’entreprise comprenant le « top des directeurs ». Le Conseil d’administration est quant à lui d’office politisé étant donné que la plupart des chemins de fer ont pour seul actionnaire l’Etat, qui doit être représenté.

LES SERVICES VOYAGEURS

En conservant les anciennes lignes ferrées, on aurait eu moins de voitures
Faux : l’utilisation d’un véhicule privé tient à de nombreux facteurs extérieurs à l’environnement ferroviaire, comme l’éloignement du domicile, les lieux de vie de l’habitant (écoles, travail, magasins) ainsi que tout simplement de la vie privée de chacun. On notera que les petites lignes de jadis traversent des contrées qui de nos jours sont toujours aussi peu habitées (Auvergne, Ardennes, Ecosse, montagnes….). Le chemin de fer ne peut pas offrir des solutions à l'ensemble de l'éventail des besoins de déplacements. Dans les régions à l'habitat très disséminé, il est pratiquement obligatoire d'avoir un véhicule privé pour les déplacements. Ne fusse qu'un vélo...

Les petites lignes peuvent être remises en service à moindre coût
Vrai : tout dépend néanmoins de l’ampleur des travaux. En Grande-Bretagne, de petites lignes oubliées par l’ancien British Railway renaissent autour de certaines villes. Gardons cependant à l’esprit la remarque précédente concernant les coûts de reconstruction de la voie ferrée.

Les trains ont une utilité sociale même s’ils ne sont pas très remplis
Vrai : mais c’est uniquement destiné à ceux qui sont supposés être sans véhicule, et qui composent un public captif très minoritaire, d’où la problématique des coûts et en rappelant que prendre le train n’est pas un droit, mais une faculté offerte par l’Etat moyennant paiement, même minimal.

Le voyageur est un usager
Vrai : si on considère qu’il y a usage d’un bien public. L’utilisation de ce terme vient du caractère public de la compétence exercée : les associations , la loi et les élus s’occupent des « usagers ». L’électeur n’est jamais très loin. Ainsi, on n’ « augmente pas les tarifs », on fait davantage contribuer l’usager. Le terme relève clairement le contexte étatique.

Le voyageur est un client
Vrai : si comme le dictionnaire Le Robert, un(e) client(e) serait « une personne qui reçoit d’une autre personne, d’une entreprise, contre paiement, des fournitures commerciales ou des services ». Le terme relève clairement le contexte commercial, mais pas nécessairement privé. Une entreprise publique peut parfaitement offrir une politique commerciale et ciblée.

Un usager est un usager, il n’y a pas de différence
Vrai : au plan des principes et au niveau de la loi.
Faux : lorsqu’on tient compte des spécificités de chaque groupe. Ainsi, les attentes des usagers locaux sont différents des usagers nationaux, grandes lignes ou internationaux. C’est la « segmentation » de la clientèle qui s’impose aujourd’hui.

Tout se dégrade avec moins de subsides
Vrai : il y a un plancher en dessous duquel les dégradations peuvent survenir, notamment des poubelles non vidées, le manque de nettoyage, le manque d'entretien courant.
Faux : la correction des procédures de travail ne demande pas plus d'argent mais plus de réactivité et d'audace, sans sacrifier à la sécurité. Pour l'entretien, d'autres méthodes de travail peuvent faire aussi bien avec moins d'argent. Il faut oser..

Du personnel présent dans toutes les gares renforcent la sécurité de celles-ci
Vrai : de manière momentanée, la présence d'un cheminot ou d'un vigile sur un quai peut éloigner ou dissuader l'un ou l'autre à commettre une bêtise, mais...
Faux : si la présence d’un agent rassure, cela n’empêche pas les dégradations nocturnes voire même en pleine journée. Les cheminots n’ont pas de pouvoir de police et n’iront jamais s’interposer face à un groupe mal intentionné. Tout au plus leur présence peut-il écarter en journée l’un ou l’autre indésirable. Cela n’empêche personne de traverser les voies ni de se promener dans les faisceaux…

Les nouvelles gares architecturales sont inutiles
Vrai : s’il s’agit uniquement d’un coup d’architecture urbaine, un coup de prestige politique…
Faux : les gares sont des actifs immobiliers « inertes », qui font des pertes et ne rapportent rien. De plus, la mentalité populaire veut qu’on ne s’attarde pas dans une gare, qu’on se presse de la quitter. Pour inverser cette tendance, on y a installé des commerces puis de l’horeca, pour attirer – et retarder – les clients. Dans certains cas, une reconstruction partielle ou totale s’avère nécessaire car le « beau attire », tandis que le « laid repousse ». Et cela déteint sur tout un quartier de gare, sur les quartiers environnants, sur la qualité du public qui la fréquente, même ceux ne prenant pas nécessairement le train. Les villes et communes veulent dorénavant des gares intégrées à la ville et pas un en espace repoussoir à l’écart de la ville.

LE FRET FERROVIAIRE

Le secteur du fret fonctionnerait mieux si c’était un service public
Faux : les marchandises n’ont rien à voir avec la chose publique. Si c’était le cas, les prix en magasin seraient inabordables et les rayons ne seraient pas remplis tous les jours. Le service public n’apporte pas plus de fraîcheur aux salades ni de meilleures couleurs aux textiles…

Si on maintient les gares de triages, il y aura davantage d’entreprises qui utiliseront le train
Faux : il faut d’abord que lesdites entreprises aient réellement besoin du train, sans quoi un environnement ferroviaire ne leur sera d’aucune utilité.

Si on maintient nos petites lignes, il y aura moins de camions sur nos routes
Faux : c’est la nature de nos industries qui détermine l’utilisation – ou non – du chemin de fer, de même que le circuit logistique. La flexibilité est très importante et si 100 camions font mieux en temps et en heure, le train restera à quai…

Il faut généraliser le transport combiné (rail/route)
Vrai : pour autant qu’il apporte une plus-value, non seulement financière, mais pour l’environnement. Le combiné peut être des caisses mobiles qui se transbordent du camion au train, mais tout cela a un coût non négligeable et prend du temps dans les opérations de transbordement. Or le facteur temps/trajet est parfois primordial dans certains secteurs.
Faux : la distance à parcourir et le circuit logistique sont importants. En France, la moyenne des trajets parcourus par camions de 150km. Elle tombe à 70-80km dans les pays du Benelux. Ce n’est envisageable que pour des trafics important allant d’un point A à un point B.

L’échec de l’ouverture à la concurrence dans le fret est patent
Faux : et les exemples allemand et néerlandais démontrent l’inverse. Le dynamisme est réel tout comme en Autriche ou au Royaume-Uni. La part de marché atteint le quart sur certains marchés et a obligé les réseaux historiques à revoir tout leur business model, avec une baisse des coûts et une augmentation de l’efficience.





Mobilité : le citoyen est-il écolo ? Oui, quand ça l'arrange 
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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04/09/2015


Tous le proclament sur les réseaux sociaux : ils sont adeptes de l’écologie et participent au mouvement pour une planète plus durable. Demain sera un autre monde, pour certains sans pétrole, sans capitalisme et plus humain. Qu’en est-il de la théorie à la pratique ? Petite ballade éclairante du côté de la mobilité.

L’écologie en poupe, le transport en accusation
La conscience écologique a très fortement progressé depuis trois décennies, au fur et à mesure qu’ont été dévoilés les ravages de notre hyperconsommation, et en particulier des conséquences sur la planète des gaz à effet de serre. Selon plusieurs études, les deux tiers de l’énergie finale consommée et la quasi-totalité de l’énergie nécessaire à la mobilité des personnes, sont aujourd’hui fournis par les énergies fossiles conventionnelles. En 2005, près de 890 millions de véhicules parcouraient la planète (CCFA, 2005). En 2007, le milliard était dépassé. D'après une étude du fournisseur d'info trafic Inrix, en 2013, les embouteillages auraient coûté 151 milliards d'euros à seulement 4 pays : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et le Etats-Unis. Dans les campagnes ou le périurbain de France, la voiture est utilisée pour les déplacements quotidiens à plus de 90%, contre 15% à Paris, 50 à 70% dans les grandes agglomérations, 75 à 85% dans les villes petites et moyennes (selon l’enquête Nationale Transports et Déplacements 2008), proportions qui n’ont pas dû fortement évoluées en 2015.

Tous ces chiffres alarmants nous demandent de changer le monde vers un univers plus durable. C’est en partie ce qui va se faire, mais pas vraiment comme le voudraient les radicaux.

Auto
Les résultats d’un baromètre de 2011 sur la mobilité durable démontrent la dépendance des Français, pour des raisons pratiques, à l’usage de leur véhicule personnel.  9 salariés sur 10 se rendent au travail en voiture, et 1 salarié sur 10 utilise un autre moyen de transport pour venir au travail. Selon une étude réalisée par l’Institut Ipsos sur les Français et la mobilité électrique en 2013,  « plus d'un tiers des personnes interrogées considèrent que les facteurs économiques et les améliorations de l'offre de déplacements alternatifs ne suffiront pas à modifier leur mobilité quotidienne ». Posséder son propre véhicule est toujours d’actualité dans l’esprit de 86% des Français. En 1985, plus de 70 % des voitures étaient utilisées tous les jours contre presque 72 % en 2013 selon l'Insee. Le taux de ménages sans voitures était de 29,2 % en 1980, il n’est plus aujourd’hui que de 16,5 %. Le Belge aussi est attaché à sa voiture : 77% l’utilisent pour les trajets les plus importants, selon une étude de 2014. Un tiers à peine serait prêt à en réduire l’usage. Tout cela suite à une dégradation de l’offre en transport public, ou suite à l’augmentation de la qualité des routes ? Les études ne le disent pas précisément.

Quand on demande aux belges ce qu’il faudrait faire en priorité avec les 15 milliards de taxes collectées chez les automobilistes, la réponse est sans nuance: « l’entretien et l’optimisation des routes existantes La mobilité individuelle conserve donc toute son importance au sein du public, en dépit de ses inquiétudes grandissantes sur les rejets de particules fines. Les grandes incantations concernant un abandon possible de la voiture ne concernent en réalité que les urbains. Ces derniers participent d’ailleurs quotidiennement au concept de densification de l’habitat, un autre critère écologique. Les « provinciaux » sont plus dispersés, ce qui ne signifie pas que les préoccupations environnementales soient absentes hors ville. Selon un sondage réalisé pour Ford, plus d’un Européen sur trois se dit prêt à investir plus pour l’achat d’une voiture plus respectueuse de l’environnement. Tout démontre que vie privée et portemonnaie sont les premiers motifs du choix modal : l’implantation des écoles et des emplois, ainsi que l’accès aux loisirs restent la priorité des citoyens. Message bien compris par tous les constructeurs qui, loin de baisser pavillon, savent s’adapter aux mœurs ambiantes et dépensent des milliards en recherche technologique pour satisfaire ce nouvel éco-automobiliste qui sommeille en nous. Le modèle automobile donc, avec ses Smart et ses véhicules électriques, va perpétuer le mode de vie individuel et hypermobile, mais dans une version plus « durable », ce qui ne fait pas l’affaire de l’écologie radicale, qui prône au contraire la sédentarisation.

Covoiturage
Le principal avantage reconnu au covoiturage est avant tout celui lié à l’aspect financier, et dans certains cas, au lien social tant vanté, si on excepte la psychologie des conducteurs que relate avec un humour grinçant le site Topito (1) ou Rue89 (2). Les témoignages d’adeptes ravis se sont multipliés sur la toile et le public capté grossit à vue d’œil. Mais les avantages pécuniers peuvent ici se heurter à l'écologie dans son ensemble : s'il vaut mieux être à plusieurs que seul, le voyage utilise toujours l'énergie fossile, et l'entraide entre citoyens se mue chez certains conducteurs en juteux fins de mois. Du côté pratique, comme le rappelle le site educarriere (3), les soucis majeurs avec le covoiturage sont le retard de certains « covoitureurs » et la gestion des horaires (de départ et/ou d’arrivée), car si le lien social semble être le graal pour beaucoup, tout le monde n’a pas la même vie ni les mêmes horaires, même si on habite le même village. Selon une étude de l'Ademe de septembre 2015, si la voiture personnelle est qualifiée de « polluante », elle devient « écologique » dès qu'elle est partagée. Pourtant, rien n'a changé au niveau motorisation....

Le covoiturage est un instrument qui se veut sympathique et plus durable, mais il n’a pas fait disparaître le modèle capitaliste qu’exècrent les radicaux. « Le covoiturage, c'est tout bénef' pour Blablacar qui perçoit un minimum de 2 euro par reservation » rappelle goguenard un internaute attentif à la question. Le Parisien annonçait en 2014 que la plateforme avait levé 73 million d'euros auprès de nouveaux investisseurs. Bien loin de l’écologie sociétale à laquelle croient pourtant tous ses adeptes. Comme le dénonce le site Alchimy (4), l’écocitoyen de 2008 s’est rapidement mué en “éco”-nomique 2015. Le site Comptoir.org (5) est encore plus dynamitant : « Derrière Blablacar pourtant, un fonds d’investissement pas du tout solidaire et prêt à tout pour faire raquer un peu plus l’utilisateur, des règles sécuritaires contraignantes qui ne laissent plus aucune place à la confiance entre les membres et des conducteurs qui, eux-mêmes, ont fait foin de l’esprit communautaire de base de la structure pour mieux renouer avec le tout-profit. Au royaume de l’économie collaborative de Blablacar, l’argent est resté roi. » Quand la réalité du terrain fait mal aux idéologies auto-proclamées....

Frédéric Mazzella, le co-fondateur de Blablacar ( photo de Official Leweb Photo via flickr CC BY 2.0)
S’envoyer en l’air pour pas cher
L’avion à bas prix est celui qui frappe frontalement les meilleures consciences écologiques. Comme l’écrivait à merveille le journal suédois Sydsvenskan en août 2013 (6),  Ryanair est devenu une des illustrations les plus frappantes d’un vaste changement de paradigme. Lequel ? C’est une entreprise privée très libérale qui fait voyager les fauchés à travers toute l’Europe, pas le service public. Un choc ! Et elle répond parfaitement à l'air du temps : je vote écolo anti-capitaliste mais j’ai une copine à Milan que je peux revoir deux fois par mois. Le journal questionne : « il est difficile de comprendre comment quelqu’un qui se dit “de gauche” peut faire la queue devant un guichet Ryanair sans rougir. Dans l’histoire récente, aucune autre entreprise n’a, à la fois directement et indirectement – par la force de l’exemple – autant contribué à saper les fondements sociaux que la “gauche”. » Le journaliste de poursuivre : « Quatre-vingts millions de passagers peuvent-ils avoir tort ? Oui. Et je m’étonne qu’ils ne soient pas plus nombreux à en prendre conscience. Autant que je sache, bon nombre de passagers Ryanair sont des jeunes gens instruits et sensibles aux thématiques sociales ». Les réactions à l’article ne sont pas fait attendre, comme cet allemand qui rétorque : « Cette personne (ndlr : le journaliste) a choisi de ne pas voler avec Ryanair et attend des autres qu'ils fassent comme lui. » Le même poursuit la discussion : « un voyage en train ou en voiture à travers la moitié de l'Europe non seulement coûte plus d'argent mais surtout, prend aussi une éternité et c'est épuisant. »   Un internaute anglais renchérit : « Si l'auteur de cet article a eu un minimum de sens de la réalité, il saurait que le choix de beaucoup de gens n'est pas entre voler avec Ryanair ou avec une autre compagnie, mais entre voler ou ne pas voler du tout.» Noblesse des valeurs contre nécessité de la vie, mobilité contre autarcie, le low-cost face aux consciences politiques, c’est un très beau sujet de sociologie.

Le marché du low-cost confirme son attrait auprès des fauchés, et pas que...(photo de Aero Icarus via flickr CC BY-SA 2.0)
In fine…
Ces exemples partiels montrent que la pratique de l'écologie est multiple et contradictoire. Croire en la fin de l'auto, du pétrole et du mode de vie occidental, c'est oublier les formidables capacités de l'industrie et du capitalisme à se régénérer, quitte à changer d'habits. Ils sont aidés, en cela, par les attitudes du citoyen qui, épris de développement durable, n'en reste pas moins attentif à des solutions de mobilité conformes à ses finances personnelles, tournant le dos, s'il le faut, à ses convictions sociétales. Le citoyen n'est écolo que quand cela l'arrange.

A la veille de COP21, on assiste toujours à la divergence très nette de deux écoles de l’écologie : celle prônant l’autarcie villageoise et la fin du déplacement, et celle prônant le changement de société par la technologie et le partage. Le premier cas concerne l’école des perdants et des illusionnistes sur lequel on ne s’attardera pas davantage. Le deuxième cas est celui où la propriété privée, avec ses objets et ses moyens de transports sous-utilisés, devient un enjeu de création de valeur, perpétuant le modèle capitaliste sous une nouvelle forme, celle de l’économie collaborative.  Cette école semble gagner son pari et réussit même à entrer chez les plus réfractaires, comme on l’a démontré plus haut. En définitive, la mobilité future ne sera pas uniquement faite de voitures propres, d’hydrogène, de moteur électrique, de voitures partagées, de transports en commun, de trains écolos, de vélos, de marche à pied ou d’internet mobile. Aucune de ces initiatives prises isolément n'apportera « LA » solution, mais c’est la combinaison de toutes ces initiatives qui peut promouvoir une planète durable pour demain. Et cela, sans devoir créer un apartheid technico-idéologique comme on le lit trop souvent avec le train et le bus…

(2) Témoignage de Rue89 (mars 2015)
(5) Le comptoir (mai 2015)
(6) A lire dans Vox Europ : A bas le low-cost à tout prix par Sydsvenskan (août 2013)