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Une nouvelle SNCF pour la France
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01/01/2015

Voir aussi : RFF – SNCF, qui décide du rail en France ? - Réforme SNCF : les réalités et les motifs

Voilà, c’est fait. La nouvelle SNCF est née ce 1er janvier 2015. Pour rappel, la structure actuelle est issue d’un vote intervenu le 23 juillet 2014 et officiellement promulguée par la Loi du 4 août 2014, en dépit des protestations du mois de juin qui avaient valus une dizaine de jours de grève en plein bac estudiantin. Très mal vu du public au point que la CGT s’en est pris contre des médias selon eux  « orientés et désinformants ». Chacun appréciera…

De quoi s’agit-il ?
D’une suite logique des Assises Ferroviaires initiées à l’époque Sarkozy par Nathalie Kosciusko-Morizet, à l’automne 2011. Après de nombreux remous, la solution définitive nous montre une « coupole » appelée SNCF qui regroupe deux « filles » : SNCF Réseau (de l’ex RFF) et SNCF Mobilités. Exit donc le gestionnaire indépendant du réseau ferré qui devait passer par le « transporteur SNCF » pour effectuer ses propres travaux de voie. Le but serait d’améliorer l’efficacité du système ferroviaire et de supprimer les doublons et les incohérences, au rang desquelles les lignes TGV sans rationalité économique et le manque d’entretien du réseau classique.



L’organigramme surprise
Le site Mobilettre créait à la mi-décembre 2014 des remous avec la publication – reprise ci-dessus – d’un organigramme définitif tranchant nettement, selon le site, avec ce qu’avait prévu la Loi. Dans cet organigramme, le réseau devient une simple branche, et non plus un département séparé. La patte de Guillaume Pépy ? On sait l’homme rusé et communicateur, mais derrière lui tout un staff faisait pression pour en revenir à la « SNCF forte et indivisible ». Le patron de l’opérateur a d’ailleurs trouvé un solide allié en la personne de Jacques Rapoport, l’ex-président de RFF. On se rappellera que ce dernier a remplacé fin 2012 Hubert du Mesnil, qui avait entamé – et perdu – un bras de fer sur la réforme du système ferroviaire français. Guillaume Pépy a gagné et la suite est connue.

On remarquera qu'il n'est nullement question ici de « holding » tel qu'on peut l'entendre dans la structure de gouvernance du voisin allemand, probablement pour affirmer haut et fort le caractère étatique et institutionnel du chemin de fer français. C’est qu’en France, on ne badine pas avec les fondements de la République. La SNCF, en dépit d’une relation d’amour/haine paradoxale avec le peuple, reste ce « Grand Corps d’Etat » qu’affectionne l’Hexagone. Pour preuve, ce commentaire de haut vol du président de la désormais SNCF Réseau, Jacques Rapoport : « Notre nouveau bloc‐marque traduit notre appartenance résolue à la SNCF. Nous portons avec fierté le nom SNCF, nous portons les couleurs SNCF ». Une conception unique de la chose publique qu’on ne retrouve pas dans les autres Etats de l’Europe, et d'ailleurs le président du Directoire délégué le justifie sans ambages.

Retour à l’ordre ancien ?
Non, rétorque Thierry Marty, membre UNSA du CA de la grande maison, dans un débat sur LinkedIn : « Le caractère indissociable et solidaire du groupe public ferroviaire est entièrement compatible avec l'indépendance des missions d'accès à l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, comprenant la répartition des capacités et la tarification de cette infrastructure qui sont assurées par SNCF Réseau. Cette indépendance conforme à la la réglementation européenne est garantie par l'ARAF, autorité de régulation dont les compétences sont renforcées par la loi du 4 août 2014. Il n'y a donc aucun retour à l'ordre ancien ». Ce n’est pas l’avis de l’ARAF, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, qui se montrait déjà très critique dès septembre 2014. L’organigramme, en effet, ne montre pas non plus d’autonomie de Gares & Connexions, qui fait partie de ce qu’on appelle les « facilités essentielles », à l’image d’un aéroport où tout le monde est accueilli sans discrimination.

L'Europe, oui, mais hors de France
Ce n’est un secret pour personne : la France n’a jamais été d’un enthousiasme débordant pour la remise à flot de l’écosystème ferroviaire selon les principes de l’Europe. La Belgique et le Luxembourg non plus ! Nul doute que la SNCF ne souhaite pas se voir imposer une autorité supérieure qui lui fasse de l’ombre. Elle laissera l'ARAF jouer son rôle mais s'en servira comme paravent contre de futures plaintes. Au-delà, la politique prendra le relais. Elle entend redevenir maître du jeu chez elle et s'empresse de faire ses emplettes ailleurs – via Keolis – sur le vaste terrain européen dont elle profite ardemment, et elle a raison . Simplement, cela n’a pas échappé aux députés italiens et allemands qui ont malicieusement introduits une clause de réciprocité dans le quatrième paquet ferroviaire, histoire de rappeler qu'un match de niveau européen ne se joue pas en solo et de façon unilatérale. La bagarre est aussi nationale, quand les Régions se fâchent et demandent des comptes clarifiés, sous peine « d’aller voir ailleurs », ce que permettrait l'Europe dans un futur que la SNCF espère de plus en plus retardé, voire annulé....

Concrètement, on sent une opposition franche et feutrée d’ouvrir le réseau à de nouveaux entrants susceptibles de casser les convictions françaises et de ranimer le volcan social. Sauf peut-être pour le fret ferroviaire, où SNCF semble ne plus trop y croire. Il y a aussi en parallèle une volonté de rapprocher les salariés du privé vers le très onéreux statut public, rendant dès lors inutile toute forme de concurrence. C'est un peu ce qui est recherché par certains, même si personne ne l'avouera face caméra. Les routiers ont de l’avenir…

Le nouveau groupe jouera-t-il le jeu ? Restons optimistes. En attendant, les opérateurs européens de fret ferroviaire préfèrent arriver à Bâle via la rive droite du Rhin, en délaissant l'Alsace. On oublie pour le moment la Catalogne en dépit de Perpignan-Figueras, construit à grand frais pour des prunes. Les mètres cubes de rapports produits en 20 ans sur le fret ferroviaire sont bons pour un joli feu de cheminée, c'est de saison. Alors ? A la question posée en juillet 2012, on sait maintenant qui décide du rail en France...


Un bon résumé des faits dans cet article des Echos


Eurostar fête ses vingt ans : bon anniversaire !
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11/11/2014

14 novembre 1994 : les premiers Eurostar s’élancent de Bruxelles, Londres et Paris. Direction, chacune des trois capitales, l’ensemble via le tunnel sous la Manche. Londres reliée en moins de trois heures, un rêve et une page d’histoire qui se tournait. Evocation.

Le TGV-Nord Europe
Une définition importante s’impose quand on parle d’Eurostar : il s’agit bien du train à grande vitesse n’ayant rien à voir avec Eurotunnel. Certes le train passe bien dans le célèbre tunnel bi-tube de 50 km, mais en tant que client et en versant de nos jours près de 289 millions d'euros de redevances chaque années. A l’origine, le TGV-Nord Europe ne concernait pas Londres. Ce n’est qu’en 1986, avec la signature définitive du tracé et du choix du tunnel sous la Manche, un choix ferroviaire, et non routier, que la partie britannique fût intégrée au projet : il était en effet possible de rallier l’Angleterre par train, et tant qu’on y était, de le faire par TGV.

TMST
Comme seule la France, et Alstom, disposait du savoir-faire en matière de train à grande vitesse, c’est très logiquement un TGV « à la française » qui fût proposé par un consortium emmené par ce qui s’appelait à l’époque GEC-Alsthom (avec « H »). La commande formelle fût signée à Bruxelles le 18 janvier 1989 pour 30 rames dites « TMST » (Trans Manche Super Train), complétée dans le courant de l'année d'une supplémentaire et de 7 autres à 14 remorques, pour les services North OLondon, un service qui devait contourner Londres pour rejoindre Birmingham et Manchester. La conception reprend l’architecture TGV, avec un bogie supportant deux caisses. Différence cependant : une longueur de 387,18m comportant 2 rames miroir de 9 remorques chacune – soit 18 remorques – et deux motrices, permettant la sécabilité imposée par les durs critères de sécurité de la traversée du tunnel sous la Manche. En clair : une demi-rame devait pouvoir faire demi-tour en ayant préalablement pris en charge les voyageurs évacués de l’autre demi-rame. Un cas de figure qui n’eut jamais lieu si ce n’est pour les tests. On trouvera ici les détails techniques de ces rames…

Dépôt de Bruxelles-Forest (photo Mediarail.be)
La société Eurostar tri-nationale
L’ensemble du service Eurostar est exploité par ma société du même nom. A l’origine, il s’agissait d’une sorte de joint-venture, comme toujours aux chemins de fer. On y trouvait donc la SNCF en France, la SNCB en Belgique et European Passenger Services (EPS) de British Railways, cette dernière étant revendue à  London and Continental Railways (L&CR) lors de la privatisation des BR en 1996. Les rames étaient entretenues dans trois dépôts, au Landy (Paris), à Forest (Bruxelles) et North Pole (Londres), dans la grande tradition du partage entre entreprises publiques nationales. En 1999, l’entreprise Eurostar Group Ltd de droit britannique est créée avec dorénavant pour siège social Londres, dans le but de placer la gestion commerciale dans les mains d'une direction unique. 

Le 1er September 2010, Eurostar devenait une entité unique au nom d’Eurostar International Limited (EIL), remplaçant la joint-venture SNCF, SNCB et EUKL. La désormais société est toujours détenue par la SNCF (55%), la LCR (40%) et la SNCB (5%). Les dépôts susmentionnés ont toujours la tâche de l’entretien mais celui de Londres est désormais basé à Stratford.

Le service Eurostar
En novembre 1994, Eurostar propose deux allers-retours par jour, suivi bien évidemment d’une montée en puissance rapide au fil des années. Les gares atteintes en régulier sont celles de Paris-Nord, Lille-Europe et Calais-Fréthun en France et Bruxelles-Midi en Belgique. En Grande-Bretagne, les gares atteintes se sont modifiées au fil de la construction de la ligne TGV dite « CTRL1 ». Avant 2003, Eurostar se faufilait sur la ligne classique Folkestone-Londres, munie du célèbre troisième rail latéral fournissant les 750V, comme pour un métro. De 2003 à  2007, Eurostar peut enfin bénéficier d’un petit morceau de LGV et une gare à Ashford. A partir de fin 2007, l’entièreté de la LGV fût construite mais mena au nord de la capitale, via des nouvelles gares régionales de Ebbsfleet et Stratford-International, pour aboutir finalement à la gare de St Pancras, voisine immédiate de celle de King-Cross et pas très loin non plus de celle d’Euston. Le trajet de Londres descend à 2h15 pour Paris et 1h53 pour Bruxelles. Le TGV-Nord Europe est alors intégralement terminé (si on excepte la HSL-Zuid hollandaise ouverte en 2009).



Dans l’intervalle, la compagnie poussait ses clients vers la neige (Bourg St Maurice), puis vers le soleil méditerranéen (Avignon) avec des Eurostar saisonniers, sans oublier les spéciaux destinés à Eurodisney Marne-la-Vallée. Le projet de TGV « Nord de Londres » avec ces rames à 14 caisses n’eut jamais lieu, les études de marché démontrant à l’avance le peu d’intérêt au-delà de la capitale britannique. C’est la SNCF qui fait rouler les rames excédentaires sur sa liaison intérieure Paris-Lille.

Le trafic
De deux, on passa rapidement à 6, 8, 10 aller-retours puis davantage. Le cap des 10 millions de passagers annuels ne fût cependant atteint qu’en 2012, et démentait ainsi les projections mirobolantes présentées au début des années 90. Il faut dire que deux guerres du Golfe et leurs crises successives sont passées par là. Toujours est-il que la part de marché atteint tout de même les 65 à 70% tant sur Londres-Paris que sur Bruxelles-Paris. En revanche, Bruxelles, carrefour de l’Europe, siège des institutions européennes et « hub TGV » proclamé, n’atteint que 2 millions de voyageurs Eurostar (près de 7 pour le seul Thalys).

Depuis toujours, la question de dépasser Bruxelles est sur la table avec la particularité britannique concernant la douane. Le pays n’est en effet pas en zone Schengen et oblige au contrôle douanier dans le sens Continent-Londres. Du coup, il faut des voies « isolées » du reste de la gare pour effectuer les opérations douanières et de sécurisation, notamment le scannage des bagages. Ce fût possible dans les gares décrites à ce lien. Le marché, autrefois pas mûr pour ces liaisons vers le nord, semblerait prêt...

Le futur
Dépasser Londres n’est toujours pas à l’ordre du jour, mais dépasser Bruxelles, oui. Eurostar compte rallier Londres à Amsterdam dès la fin de 2016. Et Cologne ? C’est un concurrent, la DBAG, qui devrait s’en charger si leur projet tient le cap. Et ceci avec l’aide d’un nouveau TGV, de Siemens cette fois, le Velaro e320 UK, emportant, à longueur quasi égale, 900 passagers au lieu des 750 dans le TMST class 373. Celui-ci est en cours de test depuis juillet 2013 en Belgique dans sa version Eurostar, la version DBAG étant aussi de passage plus furtivement. Le Velaro a déjà rallié la France et est même passé le tunnel pour d’autres tests, démontrant au passage l’exigence longtemps réclamée d’une accélération et d’une globalisation des tests de matériels roulant.

En attendant, les 40% détenus par les anglais ont été mis en vente et le futur acquéreur devrait être connu dans le courant du premier trimestre 2015. Bon anniversaire Eurostar….

A lire : notre dossier complet consacré à Eurostar





SNCF : le modèle TGV durement égratigné par la Cour des Comptes
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27/10/2014
Voilà ce qu’on appelle un brulot :  la sortie le 23 octobre passé d’un rapport de la Cour des Comptes intitulé « La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence » égratigne comme jamais le modèle du tout TGV en vigueur à la SNCF depuis plus de trente ans. Justifié ? Analyse…
La bataille du CO2
Les 50 pages du premier chapitre taclent toute une série d’arguments que l’on entend souvent prononcer dans les cénacles politiques. Y sont passés en revue le modèle français, les exemples étrangers, la part du TGV dans les déplacements et le bilan économique et environnemental. Ce dernier point cristallise une opposition des points de vue puisque le CEO de la SNCF fait remarquer (p.159) qu’il lui parait que « les points de vue exprimés dans le rapport ne reposent pas sur des études et des méthodologies d’analyse suffisamment documentées et solides ». Il est exact que l’affirmation (p.41) qu’une LGV est un projet peu efficient pour l’environnement, a de quoi interpeller ! Donnerait-on là des gages à la route ? Comme le débat sur le CO2 induit directement des actions de politiques gouvernementales (taxation, péage, écotaxe…), on ne s’étonne guère de la passe d’arme qui agite cette thématique au plus haut niveau…
Les chiffres ? Secret défense…
En revanche, le rapport confirme une évidence soigneusement occultée quant à la fréquentation, le public visé et les motifs de déplacements. D’une part, le rapport pointe le manque de données disponibles, objet d’une interprétation différenciée entre la SNCF et la tutelle étatique car la divulgation des chiffres toucherait le cœur confidentiel de la société ferroviaire dès l’instant où n’existe pas, dit-elle, un cadre de protection des données suffisamment robuste, surtout avec la perspective d’une éventuelle concurrence future. On doit donc se contenter de ce qu’il y a de global, où le rapport nous apprend que le TGV ne concerne que 7% des voyageurs mais tout de même 61% des voyageurs-kilomètres. On y apprend aussi que le parcours moyen est descendu de 600 à 450km en une quinzaine d’années, du fait de la multiplication des dessertes et des gares touchées.
Un paragraphe revient aussi sur l’apport du TGV sur l’économie régionale, une des grandes unanimités qui soude le monde politique. Cet apport est mis à mal et avait déjà été commenté à cet article, au niveau universitaire, et la Cour ne fait ici que confirmer.

(photo Next generation _via Flickr_CC BY-NC-ND 2.0)


Coûteux TGV sur ligne classique
Ce qui nous mène à un constat qui va faire du bruit : les dessertes à rallonge sur le réseau classique où la SNCF paie un péage important alors que les rames se vident, par exemple sur le réseau breton ou en Languedoc-Roussillon. Les rames de TGV desserviraient ainsi 230 destinations et passeraient 40% de leur temps en moyenne sur les lignes classiques. Or on touche là au cœur du système TGV : il roule à grande vitesse sur infrastructure propre mais aussi sur ligne classique à vitesse… « classique ». C’est un point essentiel de la politique commerciale de la SNCF, le « train direct » sans rupture de charge, chère à toute une clientèle bardée de bagages et d’habitudes. La correspondance avec un TER, fusse-t-il climatisé et rapide, respire encore toute l’horreur chez beaucoup de clients, très méfiants. Et certaines associations d'usager reprennent en cœur ce credo.
« Le confort d’un trajet sans rupture de charge doit être mis en balance avec des taux d’occupation plus faibles et la mobilisation d’un parc important de rames coûteuses dès lors qu’elles ne sont pas utilisées à plein et à pleine vitesse sur l’ensemble de leur parcours » rappelle la Cour. Qui présente l’exemple japonais où le Shinkansen ne roule qu’en navette sur des liaisons dédiées, offrant un service à haut débit. C’est un peu ce que fait le Thalys sur Paris-Bruxelles ou les TGV cadencés sur Paris-Marseille.
En parlant des clients, le rapport semble se rapprocher du raisonnement du Ministre Emmanuel Macron qui avait maladroitement déclaré début octobre que « grâce aux autocars, les pauvres voyageront plus facilement ». Le TGV serait-il une affaire de riche ? Tout dépend de l’interprétation de ce qualificatif, sujet à polémique comme il se doit. Toujours est-il que les nouvelles modes sociétales comme le covoiturage ou le regain du bus longue distance ne sont pas à prendre par-dessus la jambe. Elles extirpent annuellement plusieurs millions d’euros tant à la SNCF qu’à la DB voisinne…

Qui détermine quoi ?
C’est le chapitre 2 qui nous définit les méthodes d’évaluation d’une LGV : approche à critère unique (monétaire) ou approche multicritères (englobant d’autres aspects comme la politique des transports…). On y apprend que la valeur monétaire du temps – gagné ou perdu – repose sur une étude du comportement des individus qu’il est difficile de synthétiser. Donc on prend une moyenne du coût d’opportunité du temps et on fait avec. Comme de plus la SNCF ne diffuse pas ses données de trafic…
A un autre niveau, le rapport fait état du phénomène « d’éviction », les ressources absorbées par une LGV n’étant ainsi plus disponible en suffisance pour le réseau classique. Cette politique du « tout TGV » est l’inverse de celle établie en Allemagne, dans des circonstances différentes il est vrai. La DB a toujours cru au réseau classique, d’autant bien que le trafic marchandise et régional y est fort abondant. Les lignes nouvelles germaniques n'ont donc été construites que là où ce fut strictement nécessaire. Et puis comparaison n’est pas toujours raison, comme entre la géographie des deux pays, sensiblement différente.

(photo Guy Buchmann via Flickr_CC BY-NC-ND 2.0)

L’emballement politique a conduit, dit le rapport, les toulousains à soutenir la LGV Tours-Bordeaux à condition de réaliser « sans délais » Bordeaux-Toulouse, avec appui réciproque des Aquitains. Cela a abouti à la signature de quatre protocoles d’accord ou d’intention entre l’Etat, RFF et les collectivités concernant le financement. Un point que dénonce la Cour pour qui « le processus décisionnel ne répond déjà que très peu à une rationalité économique ». Voilà qui va ravir les amateurs de débats sans fin et sans fond…

Les conclusions
En vrac : mieux intégrer la grande vitesse à la mobilité des Français, restreindre le nombre d’arrêts sur les LGV et les dessertes, faire prévaloir l’évaluation socio-économique des projets de LGV, concentrer en priorité les moyens financiers sur l’entretien du réseau, éviter les projets non rentables, prévoir un financement durable et un endettement stable dans le temps, etc.

Le rapport laisse sceptique sur certains points, comme l’empreinte carbone de la construction des LGV et le cantonnement des TGV sur les seules lignes à grandes vitesses, sans poursuivre au-delà vers de la desserte fine. Le remplacement par des bus sur certaines liaisons parce que les tarifs ferroviaires sont chers laissent tout de même songeur. cela a fait dire à Mediapart que la Cour avait pondu un rapport « biaisé » au bon moment pour briser de nouveaux tabous, prônant des recommandations « orientées », autrement dit libérales. Pour un média qui est tout sauf neutre, on passera…
Plus sérieusement, retenons comme l’a écrit Marc Fressoz, que ce sont les élus qui sont davantage pointé du doigt tandis que le nouveau message de la SNCF y est par contre encouragé. Lequel ? Celui d’actionner le frein au développement du TGV jusqu’aux confins de la France, un message qui passe forcément très mal auprès des Régions non desservies. Et pourtant, la dégradation des chiffres TGV ne permet plus toutes les illusions. Jusqu’ici, la SNCF a bénéficié des restrictions législatives qui s'appliquent aux autres transports concurrents, notamment les bus « grandes lignes ». Mais le vent tourne, et c’est l’argent et la concurrence modale qui dicteront demain l’architecture future du réseau.

A vrai dire, le retour des gains d’efficience et de productivité seront probablement aussi à trouver en interne, du côté de l’exploitation du système et de ses coûts de production, considérés comme élevés. L’expérience « Ouigo », pour l’instant encourageante mais toujours pas promise à grande échelle, semble montrer la (bonne) voie. On pourra ainsi atténuer l’effet « d’éviction » et réinvestir dans le réseau classique.

Le rapport de la Cour des Comptes en ligne à ce lien 

A relire : la proximité plutôt que la grande vitesse

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Réforme SNCF : les réalités et les motifs
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24/06/2014


Tout ça pour ça : près de 10-12 jours de perturbations sur les rails français. C’est leur manière d’agir : la grève « préalable » à toute discussion avec la direction du rail. Mais cette fois, la donne différait des « grandes actions » précédentes. D’une part la volonté du boss de confirmer que la négociation paie, entraînant l’adhésion des syndicats réformistes. D’autres part, la confirmation d’une érosion des syndicats contestataires aux dernières élections sociales. Une agitation donc plus idéologique pour tenter le coup de force : reconstruire la SNCF des années 70 et empêcher le projet de réforme du gouvernement Valls. Les usagers n’ont pas compris grand-chose à un sujet qui leur est totalement étranger. Décryptage.

SNCF + RFF
Rappelons la naissance de l’EPIC SNCF en 1982, sous l’ère Mitterrandienne. Les dispositions sociales de 1938 restent globalement en vigueur. La dette grandissante mais surtout l’arrivée de la première directive européenne 91/440 oblige l’Etat français à revoir l’architecture du rail. En 1997 naît ainsi Réseau Ferré de France, juste avant que n’arrive le ministre communiste Gayssot (gouvernement Jospin 1997-2002). RFF a une particularité : elle est liée à une convention de gestion avec la SNCF et ne dispose pas de moyens humains sur le terrain. La SNCF n’était ainsi pas « démembrée » et l’architecture globale ne comprenait pas de branches séparées vivant comme d’authentiques sociétés. Ce fût une version minimaliste des prescrits européens pour rassurer avant tout la vision « romantique » de la famille cheminote, qui fait corps. On voit cependant poindre, petit à petit, l’émergence d’une nouvelle expertise ferroviaire qui mettait fin – et c’est là un aspect bien plus important qu’annoncé – à la « pensée unique » SNCF et une certaine technocratie des ingénieurs du Pont, dont le penchant « TGViste » n’était plus à démontrer (1).

(par JPC24M via flickr_ CC BY-SA 2.0)
La SNCF s’obstinait à la multiplication des LGV et de sa vitrine roulante, le TGV d’Alstom, export oblige. Mais le vent tourne. Les relations de plus en plus exécrables entre RFF et la SNCF et les divergences de vue sur la consistance du réseau mettent largement en péril l’architecture française. Plus grave, en interne, la SNCF constate qu’un plafond est atteint concernant la clientèle TGV et que son étoile semble pâlir : les bénéfices ne sont plus au rendez-vous avec le grand bolide, les clients pratiquant de plus en plus d’autres mobilités moins chères (2). Les Régions, en charge de leurs TER, demande de « vrais comptes » à la grande maison. Enfin, l’absence d’investissement dans le réseau classique n’est plus une lubie de contestataire : Brétigny l’a dramatiquement rappelé en juillet 2013…

La dette et les raisons de la réforme de 2014
En octobre 2012, le gouvernement Ayrault annonce une réforme de la SNCF, faisant suite aux conclusions de 2011 des fameuses « Assises Ferroviaires » de l’ère Sarkozy. Car depuis peu, Guillaume Pépy a pu s'attirer les grâce de la gauche au pouvoir, en plaçant des hommes clés chez les ministres Cuvillier et Bathot. Exit dès lors Hubert du Mesnil, l'ex-patron de RFF qui perdait manifestement son bras de fer avec le boss de la SNCF. A Bruxelles, les paquets ferroviaires se suivent mais l’orientation dite « libérale » de l’Europe n’a jamais été du goût de l’Hexagone, qui s’écarte des orientations de l’Europe du Nord « protestante ». Il y a bien quelques nouveaux entrants sur le réseau depuis 2007 qui tentent de démontrer, en trafic marchandise, que de nouvelles manières d’exploiter le rail sont possibles (Veolia, VLFI, ECR…). Dans le sérail des acteurs du rail, des associations, des politiques, l’avenir du fret passe – à l’inverse de l’époque Gayssot – par la mise en valeur des « PME ferroviaires » que sont les Opérateurs Fret de Proximité. La plupart des acteurs intègrent peu à peu la libéralisation comme du développement durable et adaptent leurs discours en conséquence. Il est possible de faire mieux avec moins ! Un danger pour la gauche radicale…

Au niveau financier la problématique de la dette des deux entités prend de l’ampleur :  7,4 milliards pour la SNCF, 33,7 milliards pour RFF. Comme le rappelle l’Expansion : «  Si elle était intégrée à la dette publique, elle éloignerait encore plus la France des critères de Maastricht » et, partant, entraînerait une décote du pays et des hausses de taux d’intérêt pour chaque crédit de la population. Intenable politiquement. Sous couvert d’une future libéralisation des services TER, sous forme de concessions ou délégation de service public, il est décidé de réformé l’architecture du rail français en remettant les deux entités côte à côte. RFF, qui deviendrait SNCF Réseau, reprendrait alors ce qui lui a toujours manqué : les 50.000 cheminots de l’Infra, ceux du terrain, ainsi que la direction des horaires. A l’Assemblée nationale, la gauche caviar a obtenu des garanties confirmant que le groupe SNCF est « l'employeur des agents et des salariés des trois Epic ».  C’était à cela que se sont opposés les syndicats contestataires, exigeants l’impensable : le retour à la SNCF « des belles années »…

Le futur
Il est une fois encore à l’Europe, quoiqu’on veuille. En mars 2014, il y a bien eu des angles arrondis au niveau de la première lecture du quatrième paquet ferroviaire (3). Mais 80% de la réglementation des transports arrivent tout droit de Bruxelles, et les acteurs concernés le savent fort bien. Ils en profitent même, à l’instar de la SNCF et de ses bras armés Keolis et Captrain, présent sur tous les marchés d’Europe (4). Mais les eurodéputés sortants ont réservé une petite surprise lors du vote du 26 février 2014 : la clause de réciprocité. Cette clause, que certains n'ont pas manqué de baptiser «anti-Keolis», interdit en effet à un transporteur ferroviaire européen en situation de monopole pour les lignes intérieures (TGV, Intercités, TER), de conquérir des marchés dans un autre pays de l'Union l'Etat membre concerné peut ainsi invoquer l'absence de réciprocité, demander une enquête à Bruxelles, et saisir la cour de justice européenne. « Les modalités de cette clause sont discutables, elle permettrait à n'importe quelle autorité organisatrice d'exclure un candidat dans un appel d'offres si 50% au moins de ses franchises ferroviaires n'étaient pas ouvertes à la concurrence», peste Sophie Boissard, la numéro 2 de la SNCF. Toujours est-il que les ultras bataillent pour une cause perdue d’avance en voulant interdire purement et simplement toute forme de concurrence. Car derrière cela, ce sont les confortables RH077 et 677 qui sont en jeu !

Certaines régions pourraient bien s’inspirer de leur « liberté » pour demander un devis transport à un autre opérateur, au travers d’une délégation de service public déjà présente dans les bus et les trams. Le simple énoncé de cette éventualité a déjà provoqué une reconsidération des choses de la part de la SNCF. En soi, c’est déjà une victoire de la libéralisation : faire bouger les lignes, faire trembler Goliath. Pour le reste, les connaisseurs du langage politique et institutionnel savent fort bien que dans une formule, l’interprétation compte pour beaucoup. Des évolutions de l’EPIC de tête demeurent possibles, de même qu’un renforcement de l’ARAF que ne manquerait pas de mettre en chantier un changement de coalition gouvernementale. Y aura-t-il le grand retournement tant espéré par la gauche au niveau de l’Europe ? C’est peu probable au vu des résultats du 25 mai dernier. Des ajustements, tout au plus…

En définitive
En dehors de ces péripéties constitutionnelles et communicationnelles, force est de constater la résistance farouche des adeptes du monopole. Croire en une transformation de la « pensée SNCF »  et des ingénieurs X-Ponts du ferroviaire est un leurre : la SNCF n’a jamais admis que « d’autres »  s’occupent d’infrastructure et de conception de réseau. Elle s’est toujours considérée comme détentrice du service universel et comme autorité organisatrice, une fonction qui ne lui appartient pas. C’est en effet le rôle de l’Etat et des Régions que de définir le périmètre et les moyens disponibles, pas à une société publique en solo. Or on constate que d’autres types d’exploitations, plus légères et réactives, peuvent convenir tout à la fois aux finances et à la sécurité des personnes, permettant à une autorité organisatrice si cela lui convient de ressusciter des trafics qui n’intéressent plus la grande maison. A ceci près qu’une règle prudentielle a été introduite par le député PS Gilles Savary pour l’avenir : tout projet d’infrastructure décidé politiquement, mais qui ne pourrait pas être équilibré par les péages versés pour la circulation des trains, devra être pris à sa charge par celui qui le demande, Etat ou région. Une bonne chose…


Ce qui est crucial dans ce dossier, c’est de voir des trains rouler et de manger la croissance des transports dans l’optique du report modal de demain. Et pour cela, peu importe le  logo estampillé sur les wagons…





20 ans déjà : bon anniversaire Eurotunnel !
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04/05/2014

Ce mardi , nous célébrons les 20 ans de Eurotunnel. Un rêve de 200 années est devenu une réalité, le 6 mai 1994, avec l'ouverture officielle du tunnel sous la Manche par la Reine Elisabeth et le président français François Mitterrand. La Reine a pris le premier train à grande vitesse britannique qui utilisa le tunnel et est arrivée à Calais en même temps que le train du président français en provenance de Paris. Cette inauguration mettait fin à l'insularité de la Grande-Bretagne, bien que les Britanniques ne ressentent pas du tout les choses de cette manière.

Nous avons parcouru un long chemin ! Le premier projet imaginé en 1802 par l'ingénieur français Albert Mathieu- Favier mettait en avant la première conception d'un lien fixe transmanche basé sur le principe d'un tunnel à deux niveaux. Le véritable premier projet a été tenté en 1973 : la construction et le démarrage du creusement d'un tunnel ferroviaire sous la Manche est enfin lancé à Chequers par Edward Heath, Premier ministre britannique, et Georges Pompidou, le président français, alors qu'un traité de tunnel sous la Manche franco-britannique venait d'être signé. Mais en 1975, Harold Wilson, ministre britannique, annonçait l'arrêt du projet et son retrait pour des raisons financières et en particulier les raisons de la crise pétrolière. Mais la vérité était ailleurs. Comme le reportait récemment l' Express.co.uk
« Une île est une île et ne doit pas être violé, aurait écrit la ministre du Travail Barbara Castle, lorsque le projet fût abandonné ».
 
Le projet a été relancé au début des années 80 quand Mme Thatcher est arrivée au pouvoir en 1979 à la tête d'un nouveau gouvernement conservateur. Une étude menée en 1984 par un groupe de banques britanniques et françaises avait statué sur la viabilité économique du projet, en dépit de sa taille énorme. Thatcher voulait un tunnel routier, Mitterrand un tunnel ferroviaire en raison de la sécurité. En 1986, Margaret Thatcher et François Mitterrand annoncent à Lille que l'offre d' Eurotunnel présenté par le consortium franco-britannique «
France-Manche-Channel Tunnel Group » était sélectionné. Le tunnel sous la Manche sera un tunnel ferroviaire (exigence française), mais sa construction sera issue exclusivement d'un financement privé (exigence britannique). Eurotunnel, qui gère et exploite le tunnel sous la Manche, détient la concession jusqu'en 2086.

Conception
Il y a deux tunnels ferroviaires de 7,6 mètres de diamètre, un par direction, plus un tunnel central de service et de sécurité. Le tunnel
« Sud » passe de France à l'Angleterre, le tunnel « Nord » en sens inverse. La longueur du tunnel est d'exactement 50,5 km entre les portails de Beussingue et Castle Hill, mais la longueur exacte sous la mer n'est que de 37,9 kilomètres. L'électrification des voies se fait par une caténaire 25 kV 50 Hz, et la protection des trains est assurée par le système français TVM430 avec signalisation en cabine de conduite (utilisé sur les TGV français), donnant des informations directement aux conducteurs de train sur un écran d'affichage à bord. Deux centres de contrôle gèrent le trafic ferroviaire des deux côtés de la Manche, un britannique et un français, où l'on trouve aussi de vastes installations terminales ainsi que des gares de triage, à Frethun en France et à Folkestone au Royaume-Uni, comme le montre l'image ci-dessous.

Le terminal de Folkestone, et le départ d'une navette camions (par Ed Clayton via Flickr CC BY 2.0)
Opérations
Beaucoup de gens confondent encore Eurotunnel et Eurostar ! Eurotunnel est un service de navette ferroviaire pour le transport routier : voitures, camions et bus sont chargés dans une navette spéciale via une installation terminale. Le service n'est disponible qu'entre Calais-Fréthun et Folkestone (soit 50 km). Il n'y a aucune navette de Londres ou de Paris ! Eurostar est en revanche une entreprise ferroviaire de voyageurs qui ne fournit aucun services de navette, mais bien un service de chemin de fer par train à grande vitesse entre les « trois capitales
», Paris , Bruxelles et Londres, et, à l'avenir, de et vers Amsterdam (2016). Il y a donc trois différents trafics dans le tunnel : les navettes routières d'Eurotunnel, les TGV internationaux voyageurs d'Eurostar et les trains de marchandises, mais à de bien faibles quantités.

Embarquement sur une navette autos (par dvdbramhall via Flickr CC BY-NC-ND 2.0)
Les finances : une histoire mouvementée
C'était la condition sine qua non de Thatcher : pas un sou public pour le tunnel. Le résultat fut que le 6 mai 1994, le coût final du plus grand tunnel du monde était de 80 % supérieur au budget initial de près de 5 milliards £
. Les coûts de financement se révélèrent 140 % plus élevé que prévu à cause des frais d'intérêt sur ​​sa lourde dette de 8 milliards £. La situation financière devînt le principal sujet de conversation pour les dix premières années d'ouverture. Le trafic des Eurostar et plus spécialement les services de fret se révéla largement surestimé. Les revenus furent bien en deça que prévu : la question de la dette et de la relation avec les créanciers devinrent très critiques. Les pertes subies par de nombreux petits actionnaires rendirent la vie insupportable pour Eurotunnel. En 2004, un groupe d'actionnaires dissidents réussit à prendre le contrôle du conseil d'administration et, en 2005, le français Jacques Gounon prit le contrôle complet en devenant le CEO d'Eurotunnel. 

Malgré un accord voté par les actionnaires en 2006, la justice française plaça Eurotunnel sous la protection de la faillite. Comme le rapporte Wikipedia en mai 2007, un nouveau plan de restructuration fût approuvé par les actionnaires où Deutsche Bank, Goldman Sachs et Citigroup acceptaient de fournir 2,8 milliards de livres de financement à long terme, le solde de la dette étant transformé en titres de participation. Les actionnaires décident de renoncer aux voyages illimités et autres plantureux avantages dont ils bénéficiaient. Suite à cette restructuration, Eurotunnel a finalement été en mesure d'annoncer son premier mais petit bénéfice net en 2007 et le retour à la santé financière a permis à la société d'annoncer en 2009 le rachat volontaire anticipé de certains de ses titres de créance convertibles. L'histoire financière semble maintenant naviguer vers des eaux plus sereines...

Aujourd’hui
Eurotunnel fait état d'un trafic atteignant 10 millions de passagers par ses navettes de voitures et de bus, ainsi que de 17,7 Mi tonnes de fret transportées par ses navettes de camions. Son principal client Eurostar a annoncé pour la première fois plus de 10 millions de passagers annuels entre les trois capitales, ce qui nous fait plus de 20 millions de passagers par an dans le tunnel. En moyenne, seuls 7 trains de marchandises traversent le tunnel quotidiennement, laissant encore 43% de capacités non utilisées. Seuls 1,3 Mi tonnes de marchandises sont transportées par d'autres sociétés de chemin de fer, ce qui nous fait une part de marché de seulement 15% pour le transport ferroviaire, contre 85% pour les camions…

Depuis quelques temps Eurotunnel prend les choses en main pour le trafic de fret. En 2009 fût créée la société Europorte avec des filiales au Royaume-Uni et en France. 
Europorte en action en France (par rino54 via Flickr CC BY-NC-ND 2.0)
En 2012, Eurotunnel a acquis trois ferries de la déclinante société Sea France qui ont été affrétés pour mettre en route la compagnie de ferry MyFerryLink. Cette opération sur mer dépend cependant d'une décision des autorités britanniques de la concurrence qui auraient l'intention de renouveler l’interdiction des navires de l’ex-SeaFrance d’accoster dans les ports du Kent dans le courant de cette année.  

Les derniers soubresauts sont le différend apparu entre Eurotunnel et Eurostar l'été dernier. La compagnie de chemin de fer a été accusée en juin 2013 de la diffusion d'informations "totalement faux" sur les frais d'accès au tunnel. Eurostar déclarait que les redevances d'utilisation représentaient 25% du coût du ticket passagers. Plus tôt en mai, la Commission européenne avait appelé à une réduction jusqu'à 50% des tarifs d'accès, considérés comme excessifs. Elle menaçait la France et le Royaume-Uni, qui réglementent Eurotunnel, d'une action en justice si elles agissaient pas dans les deux mois pour réduire les coûts du tunnel. En fin de compte le 28 avril 2014, Eurotunnel annonça une réduction de ses frais d'accès aux installations de 25% (1).

Comme l'écrivait Benoît Brogan dans The Thelegraph : « le tunnel sous la Manche s'est rapidement avéré lui-même être un succès économique qui a facilité le commerce et a fourni de plus grandes opportunités aux entreprises britanniques pour leurs affaires commerciales vers l'Europe ». Et il conclut: « le tunnel sous la Manche marquera non seulement notre lien avec le continent, mais combien il est difficile de le briser ». Bon anniversaire ...

(1) Détail ici, en anglais

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Siemens/Alstom : prolongation et fin du suspense
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29/04/2014

Le énième Monopoly planétaire dans lequel l’industrie ferroviaire a été aspirée – à son insu – depuis le vendredi 25 avril, est finalement prolongé pour quelques semaines, selon Le Monde. Bien qu’un rapprochement Siemens-Alstom soit épisodiquement évoqué pour certains marchés, notamment la grande vitesse mondiale, on pouvait douter que les ennemis historiques d’hier deviennent frères demain, en dépit des logiques du business qui peuvent parfois bousculer les meilleures certitudes…

(photo de mattingham via Flickr CC BY-NC-ND 2.0)
Le business mondial, nécessaire pour le matériel ferroviaire souvent fort coûteux, s’accommode mal des petites tailles critiques. Le CEO de Siemens justifiait ainsi sa proposition d’échange d’activités avec Alstom : « Nous voulons créer deux champions européens, l'un dans l'énergie, l'autre dans le transport », ajoutant que : « s'il n'est pas consolidé, le pôle transport d'Alstom n'est pas taillé pour résister à la mondialisation ».

Un TGV Duplex qui ne se vend pas, un AGV cantonné à 30 exemplaires chez le privé italien NTV-Italo et qui n’intéresse pas la SNCF, une locomotive Prima II que l’on voit très rarement hors de l’Hexagone (davantage au Maroc…), les produits ferroviaires d’Alstom ont beaucoup de mal à s’intégrer dans la mondialisation, les métros, trams et produits de service faisant heureusement exception. Ce graphique issu de la grande maison est éloquent : les meilleurs revenus proviennent, et proviendront, des infrastructures et services (en rose-rouge), les trains étant largement minoritaires (en gris).



En face, Siemens vend ses ICE III de l’Espagne à la Chine en passant par la Russie. Sa dernière création, le Velaro, a certes des problèmes de mise en route et des retards inquiétants, mais ce sont surtout les certifications nationales qui font la pluie et le beau temps et qui créent beaucoup d’incertitudes, dénoncées de longue date. Côté locomotives, le programme « Vectron » du géant bavarois semble prometteur et les commandes affluent à bonne cadence. On ne joue donc pas dans la même cour ni avec la même vision.

Comme toujours, ces petits jeux entre amis ont des justifications fondées. Ainsi, GE dispose de près de 60 milliards € de liquidités qu’elle cherche à placer en Europe pour échapper aux 35% d’imposition en cas de rapatriement aux Etats-Unis. Et la complémentarité industrielle GE-Alstom apparait plus clairement en matière d’équipements. Doté d'une part de marché réduite sur le segment des centrales à gaz ou pétrole (2,9% en 2013), Alstom voit d'un bon œil une alliance avec GE, qui bénéficie d'un leadership écrasant (48% du marché).

(par StefoF via Flickr CC BY-NC-SA 2.0)
On retiendra de tout cela le business très  caractéristique du « made in France ». Les équipes d'Arnaud Montebourg et l'Agence des participations de l'État planchaient depuis longtemps sur l'avenir d'Alstom, alors que l’Etat n’y est plus actionnaire suite aux 21 % cédés en 2006 à Martin Bouygues (exceptés les 0,99 % de la Caisse des dépôts). Le dernier acte GE/Siemens/Alstom a vu l’Etat « s’inviter » de force dans le débat, et même à jouer les arbitre au plus haut niveau. Pour la planète finance, c’est « un retour à la France de l'après-guerre », comme l’estimait le Wall Street Journal, rapporté par le Hunffington Post, qui a encore en mémoire l'interventionnisme de Montebourg lorsque Yahoo a voulu racheter Dailymotion. Une reprise en main salutaire du politique sur l’économique, rétorquent les groupes parlementaires. Une division nucléaire « forcément » du ressort gouvernemental lorsqu’il y a vente à l’étranger, renchérissent les experts. M. Hollande a également insisté sur « l'indépendance énergétique » de la France, que les deux prétendants devront garantir.

Fin de clap
C’est avec davantage de calme que ce dossier typique de la mondialisation devait être traité. Finalement, un scénario typiquement français se dessine le 20 juin : l'État choisit General Electric et va entrer au capital du champion national. Fin de partie…

A lire aussi : TGV du futur, les interrogations se multiplient (Les Echos)
La carte des usines d'Alstom, Siemens et GE en France
20 juin 2014 : l'Etat préfère General Electric et entre au capital d'Alstom (Le Figaro)

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Juillet noir sur le rail : place au discernement !

L'analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation (mise à jour 28 juillet 2013)
D'autres infos, en français et en anglais, sur la page facebook de Mediarail.be
Pour les amateurs de mysticisme, on dira que 2013 porte malheureusement bien son chiffre : deux tragédies ferroviaires en quinze jours, pour un total dépassant les 80 victimes. Faut-il en rajouter une couche ? Certainement pas sur le plan du fait divers, la grande presse ayant largement participé au catastrophisme aigu que doit subir de facto le monde cheminot en ces moments pénibles.  Aucun point commun possible entre Brétigny et Saint Jacques de Compostelle : une éclisse pour le premier (peut-être), une vitesse folle pour le second (probable). Et on agitera immédiatement le fanion orange car tant que les enquêtes ne seront pas terminées dans leur globalité, on ne pourra se rassasier que de supputations de pseudo-connaisseurs. Et tant pis si cela ne fait pas vendre…

Remises en question ?
On jette bien évidemment au bac toutes les supputations pseudo-politiques de néo-libéralisme par-ci, de gouvernance bicéphale par-là, de structure à réunifier et on en passe. Les prometteurs de beaux jours sont toujours là pour s’engouffrer dans les raccourcis véreux et distiller leur chemin de fer de droite ou chemin de fer de gauche. Passons. Le cas Brétigny nous ramène – sous réserve d’enquête – à la maintenance de l’infrastructure ferroviaire classique. On sait qu’en France le propriétaire RFF n’a jamais eu la main et devait de facto passer par la SNCF Infra. Seuls les idéologues pourront affirmer – sans preuves – que la SNCF à l’ancienne n’aurait pas commis la même erreur. Rappelons que seules les enquêtes – et non les bric-à-brac idéologiques – confirmeront ou infirmeront cette thèse. En revanche, une régénération profonde de plusieurs portions du réseau RFF n’est plus un mystère, c’est une nécessité.



La tragédie de l’Essonne le rappelle avec fracas : après le tout TGV, place, nous dit-on, aux trains du quotidien et au réseau classique. Stop au TGV à tout crin, et les récents choix de juin 2013 de la Commission 21, un organisme chargé de faire le tri dans les 245 milliards de travaux prévu dans le SNIT, donne la mesure du désamour TGV. C’est bien mais plus que l’infra, c’est le transporteur SNCF qu’il faut secouer : les TEOZ et autres versions corail intercités sont à bout de souffle et s’écartent excessivement des standards de confort et de tarification du TGV. Du coup, les accusations de « trains à deux vitesses » ne sont plus vraiment une lubie de militant, mais une réalité française. Les autrichiens ont pu montrer la voie du non-TGV par le biais de leur Railjet, des rames classiques dotées de voitures aptes à 230 km/h et qui roulent sur toutes les infrastructures, à la vitesse permise. En Italie, des compositions analogues avec motrices TAV circulent sur les lignes classiques. Dans les deux cas : un confort proche respectivement des ICE allemands ou de Frecciarossa italiens. Mais dans ces pays, le réseau classique à continuer d’être normalement maintenu, du moins en partie, la grande vitesse étant un « plus », et non un réseau devant se substituer à l’autre comme on a cru un moment vouloir le faire en France. La réalité est donc le processus d'entretien de la voie, et peu importe sous quelle gouvernance : le travail doit être fait dans les règles de l'art.

Ligne nouvelle et ligne nouvelle
La substitution : telle serait en revanche la politique espagnole. Il faut dire que le réseau ibérique revient de loin : il y a vingt-cinq ans, la RENFE était encore une administration publique des années 50, les Talgos étant la seule touche de modernité d’un chemin de fer très en retard sur ses voisins. Les gouvernements successifs ont alors entrepris de renouveler l’infrastructure, et tant qu’à faire, de le construire à grande vitesse, et on vient encore d’inaugurer il y a quelques semaines le tronçon Albacete-Alicante.


La tragédie espagnole nous ramène ainsi dans le périmètre des lignes nouvelles. Dans le langage commun, il n’est pas rare de qualifier une ligne nouvelle de « ligne TGV » ! Erreur grossière car est « nouvelle » toute ligne…nouvellement construite. La Betuwelijn néerlandaise est ainsi une ligne nouvelle marchandise limitée à 160km/h, et aucun TGV ou ICE ne la parcourt. Dans le cas de Saint Jacques de Compostelle, il s’agit d’une ligne TGV bien rectiligne au bout de laquelle s’égrènent deux courbes serrées. La ligne à grande vitesse est couverte par l’ETCS2 alors que les deux courbes le sont par le système national espagnol ASFA (1). La transition ETCS2 / ASFA est identique à ce qui se passe partout ailleurs, que ce soit à Gonesse (Paris-Nord) ou Lembeek (Bruxelles) depuis maintenant 16 ans. Là où le TGV se connecte sur réseau classique, les voies ont pu être réaménagées pour dissocier et fluidifier les trafics de trains. C’était le cas de Saint Jacques, c’est le cas de Lembeek à Bruxelles-Midi, sur 14 kilomètres mis à quatre en voies dans les années 90.

En clair, tout est neuf, tant sur le TGV que sur réseau classique. On ne peut donc proférer, dans le cas espagnol, une accusation de tout TGV puisque les accès ferrés aux gares ont été réaménagés. On peut même dire que sans le TGV, il n’y aurait peut-être jamais eu de réaménagement des voies. Va-t-on dès lors, comme on a pu le lire cà et là, incriminé les composantes de la grande vitesse espagnole ? Ce serait franchir une ligne idéologique…

On notera par ailleurs qu'il est nettement plus "facile" d'exécuter une ligne nouvelle que de régénérer des voies existantes. Ceux qui connaissent le chemin de fer savent ô combien il est extrêmement difficile de concilier travaux et maintient du trafic quotidien. Et les coûts peuvent parfois être plus élevés sur l'existant que sur un tronçon neuf. L'allongement des travaux du RER de Bruxelles est là pour le rappeler...

C’était mieux avant ?

Chaque catastrophe ferroviaire engage dans les médias un questionnement sur la machine ferroviaire. Parfois ca dérape sur le n’importe quoi, parfois des mesures drastiques et concrètes sont prises en matière de sécurité ou de conduite. La tentation est grande pour certains de vanter « leur » chemin de fer d’antant, totalement fermé dans le pré-carré cheminot, à l'abris des regards du citoyen. Ceux-là devront expliquer pourquoi, à l’époque des grandes administrations monolithiques, on n’a pas pu éviter d’autres catastrophes, comme Argenton-sur-Creuse ou Pécrot (BE) ou Thionville (une faute des CFL…). Il est commode d’incriminer le monde d'aujourd’hui, mais ce n’est pas avec les sauces périmées d’hier que l’on fera les meilleurs plats de demain. Si le chemin de fer veut vraiment se hisser à une meilleure place, cela passera par une autre façon de faire du train. Mais le veut-on vraiment ?


(1) A voir, la video du trajet normal sur ce tronçon