L'analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation
La France du TGV célèbrait fin janvier 2013 ses deux milliards de voyageurs transportés, une bien belle performance
depuis son lancement en septembre 1981. Gageons qu'un succès en toute
proportion est également de mise en Allemagne, en Italie et en Espagne. Depuis
la mise "en TGV" de Bruxelles-Paris, le trafic a été multiplié par
trois. Les tarifs aussi...
L'occasion de se pencher sur ce
qu'apporte le TGV à la société, aux villes, aux gens. Car une tendance perpétuelle
poursuit les promoteurs du train à grande vitesse : celle de systématiquement
embellir la mariée, lorsqu'on la promet à de nouvelles villes de France ou
d'ailleurs. Avec trente années de recul, un petit bilan s'imposait.
Les effets structurants
« Le TGV dynamise un territoire
à travers l’image positive qu’il véhicule » ; « La présence du TGV
impacte nos vies, nos pratiques, notre image.»; « Les villes équipées
d’une desserte TGV jouissent d’une image positive contribuant à renforcer leur
attractivité ». Voilà en vrac un extrait de la brochure rémoise
"Paroles d’Acteurs" de mai 2012.
Le TGV a Strasbourg, une image revitalisée ? (Cha già José) |
Un colloque de l'ASRDLF en 2012
précisait : « les villes desservies doivent présenter des opportunités pour
passer d’une meilleure accessibilité à une meilleure attractivité. Le
renforcement de l’accessibilité n’étant pas suffisant, notamment pour les
villes petites et moyennes ne présentant pas une forte demande de mobilité,
celles-ci doivent être avant tout être attractives pour bénéficier
économiquement de ces dessertes ». La quasi totalité des acteurs de terrain
sont d'accord sur ce point. Les chercheurs aussi. A Reims, « le TGV-Est une
condition nécessaire mais non suffisante pour réussir le développement
économique d’un territoire » note un professionnel, alors qu'il apparait
certain que le TGV n’est pas à lui seul un élément justifiant le développement
local mais « c’est un facilitateur », dit un autre (in Paroles d’Acteurs
mai 2012).
Voilà qui remet au goût du jour le
slogan selon lequel le TGV désenclave une région. Une erreur : il faut que la
région en question ait déjà des atouts et les valorise encore davantage. Le cas
de Genève, ville moyenne mais très internationale est exemplaire par rapport à
Liège, bien placée mais sans atouts.
Un atout pour les entreprises ?
Partons à l'Ouest : cette société
parisienne de technologie du vent est venue s'implanter au Mans. « le TGV a
joué un rôle décisif pour notre implantation au Mans » souligne son
directeur général. Il pointe que la ville est la seule agglomération qui permet
d'être à moins d'une heure de Paris et en liaison directe avec les grandes
villes de France et de l'étranger, via CDG, ce qui souligne l'importance de la
connexion TGV-Air.
Le Mans renouvelle son quartier de gare avec des bureaux (IngolfBLN) |
Ailleurs, le cas des gares de
Vendôme (TGV-A), ou encore de Macon ou Montchanin (TGV-PSE) montrent que
l’effet TGV au niveau de l’implantation d’activités autour des gares excentrées
n'a pas eu lieu, pas plus d'ailleurs que sur le TGV-Nord et sa fameuse
"gare des betteraves".
Avec le TGV-Est, des constats
similaires apparaissent cinq années après son inauguration. Dans le nouveau
quartier d'affaire de Reims-Clairmarais, derrière la gare, sur 50 entreprises
installées, 70 % étaient déjà sur le territoire. A Reims, le TGV a généré une
offre en immobilier de bureaux ainsi que la présence de nouveaux opérateurs.
Dans les études de la professeure Marie Delaplace, lorsqu'il est demandé
pourquoi elles se sont implantées ici, ces entreprises locales invoquent une
offre immobilière nouvelle mais ne pointe que très rarement le TGV.
Plus loin, dans les communes du Vernois, un chargé du développement économique
de la collectivité précise : « Nous sommes très bien desservis par les
autoroutes, à quelques kilomètres de la gare Lorraine-TGV et de l'aéroport.
Mais jamais, dans notre réflexion, le TGV n'est entré en ligne de compte. La
route reste le point numéro un pour les entrepreneurs qui se sont installés
chez nous ». Plus bas, à Nancy, on évoque un effet TGV autour de la gare
mais avec surtout un recentrage des entreprises locales auparavant plus
dispersées. Comme à Reims...
Des caractéristiques socio-professionnelles type TGV ?
Elles font
aussi partie de la réussite - ou non - d'une LGV. On parle ici de cette
vieille complainte qui veut que le TGV est réservé à une certaine classe sociale. Et si
il répondait tout simplement à une demande non satisfaite ?
A Lille, il
fut constaté dès 1994 une pratique qui est celle des navettes quotidiennes
entre Lille et Paris, tant dans un sens que dans l’autre. On trouve certains
cadres et dirigeants parisiens qui viennent régulièrement, voire
quotidiennement, à Lille et, inversement, des Lillois qui préfèrent effectuer
la navette plutôt que d’emménager à Paris, pour des raisons de coût et de cadre
de vie. La contraction de l'espace-temps par le TGV permet cela : avec le TGV,
une heure de trajet, c'est 250km ! En banlieue parisienne, une heure, c'est 30km...
A Reims,
certains estiment que le TGV jouera sur la sociologie de la ville, sur la
formation d’une élite. Il est positif pour les entreprises employant des
personnes à qualification élevée et mobiles. Marie Delagarde confirme que
souvent, les dessertes à grande vitesse sont utilisées par les cadres ou
assimilés, et que ce type de profil socio-économique favorise la desserte par
TGV. En revanche, s’il s’agit d’emplois industriels plus "ouvrier",
la voiture sera davantage privilégiée. Une réflexion dont devrait s'inspirer Liège, ville très industrielle.
En dépit d'une attraction pour le voyage d'affaire, le TGV-Est n'a engendré que très peu de migrations professionnelles entre
Reims et les grandes villes du Nord-est de la France aujourd’hui desservies (colloque de l'ASRDLF en 2012). Vider les autoroutes ? Assurément, c'est pas pour demain....
Venir et vite repartir : l'atout majeur du TGV (Matthew Black) |
Le
TGV favorise-t-il l’attractivité résidentielle ?
Le TGV a pu avoir un petit effet sur le choix
résidentiel pour des Franciliens natifs de la province et désireux de se rapprocher
de leur famille. Lille étant à 38 minutes de Bruxelles, nombreux sont les picards venant travailler à Bruxelles. A Bruxelles-Midi, le quartier végète encore dans sa bonne gestion "à la belge", entre bureaux et logements de gamme supérieur que l'on tente de construire tout autour de la gare.
Le TGV ne répond clairement pas aux populations locales qui, pour le cas Bruxellois ou Liégeois, sont majoritairement précarisées et peu diplômées. Sur ce point, le TGV permet cyniquement de "nettoyer" les pourtours de gare de leur image de pauvreté qu'on lui a toujours collé. Une tentation qui dans certaines villes a même viré au rasage d'anciens quartiers et à la transformation des gares en "aéroports" avec commerces et autres. Cela a bien évidemment été dénoncé par une quantité d'associations de quartier qui n'expliquent pas pourquoi diable l'environnement ferroviaire urbain doit-il être de facto sale et précarisé ?
Le TGV ne répond clairement pas aux populations locales qui, pour le cas Bruxellois ou Liégeois, sont majoritairement précarisées et peu diplômées. Sur ce point, le TGV permet cyniquement de "nettoyer" les pourtours de gare de leur image de pauvreté qu'on lui a toujours collé. Une tentation qui dans certaines villes a même viré au rasage d'anciens quartiers et à la transformation des gares en "aéroports" avec commerces et autres. Cela a bien évidemment été dénoncé par une quantité d'associations de quartier qui n'expliquent pas pourquoi diable l'environnement ferroviaire urbain doit-il être de facto sale et précarisé ?
Liège : une belle gare, le TGV mais peu d'atouts (stef_dit_pat) |
Contrairement à l'Allemagne, la France a fait le pari des gares hors agglomération, comme en Provence ou en Franche-Comté. Comme l'a déjà souvent relaté Mediarail.be, il est acquit que les populations aisées ou "de classe moyenne" ne vivent pas toutes en ville mais plutôt à l'extérieur de celle-ci, en maison quatre façades tant décriées par les milieux écologistes. Pour cette clientèle là, la gare TGV hors-ville est une aubaine. Sauf si les tarifs de parking atteignent les 10 euros la journée, comme à Auxon (Besançon-TGV) ! Reste que comme l'explique cette professionnelle de Reims : «
Je ne suis pas encore convaincue d’un effet du TGV sur l’attractivité du
territoire. Nous pensions que Reims constituerait un
choix résidentiel pour les Franciliens. Toutefois, nous avons vite constaté
qu’il n’en était rien, hormis des Franciliens qui avaient des attaches
rémoises. »
Le TGV pour quel tourisme ?
Le colloque de l'ASRDLF l'a pointé sans ambiguité : les
atouts spécifiques que possède chaque ville, de nature patrimoniale, littorale,
culturelle, événementielle ou de tourisme vert, sont un préalable au développement
du tourisme. Toutefois ce préalable n’est pas suffisant pour qu’une desserte
TGV génère des flux supplémentaires de clientèles ; seuls les tourismes urbains
et d’affaires semblent pouvoir être directement impactés par une desserte TGV. Une gifle pour la Provence ou l'Aquitaine ?
Côte de Beaune : bien loin de la gare TGV...(cpakmoi) |
C'est qu'on va rarement en vacances à Marseille, Barcelone ou Munich, mais plutôt dans les parages. Sur ce thème, le TGV sans sa location de voiture est un leurre, en dépit de l'affirmation claironnée à tout va que le train rapide "vous emmène au coeur des villes". C'est exact mais pour quoi faire ? Les sports d'hiver sont les seuls à pouvoir être pratiqué sans voiture : cette dernière n'est d'aucune utilité si on a la chance d'avoir un logement au pied du télésiège. Et à condition d'avoir magasins et restaurants à proximité immédiate...Les vacances d'été, c'est bernique car la priorité est précisémment de fuir le béton et de se promener. Sur l'arc méditerranéen, sans auto, il faut oublier ou opter pour des vacances de sédentaires (voir notre précédente chronique sur ce thème).
Les villes qui peuvent
espérer profiter le plus d’une hausse de l’activité touristique doivent au
préalable être dotées de ressources touristiques initiales suffisantes et
adaptées à l’usage du train. Des régions comme Reims ou Beaune en savent quelque chose : on y vient pas pour la ville, mais pour les vignobles et la gastronomie. Et le colloque de l'ASRDLF de poursuivre : sans service d’acheminement
des touristes venus en train sur les sites du vignoble, la combinaison de différentes
visites et donc la constitution du « panier touristique » devient très difficile. Le TGV est, ici, d'aucune utilité...
Gorges de l'Ardèche : cherchez le train...(cpakmoi) |
Alors de quel tourisme parle-t-on ? Du tourisme urbain et occassionnel, les "city-trips". Ce tourisme là a la cote et enregistre de fréquentes hausses. N'en bénéficient réellement que les villes phares bien dotées d'un patrimoine ou d'une renommée internationale. Tous les professionnels du secteur s'accordent à dire que le TGV a accéléré ici la croissance et renforcé les grandes places existantes : Amsterdam et surtout Londres en savent quelque chose. Tout comme Paris...
La professeure Delaplace résume plutôt bien le constat : « le TGV
peut favoriser un tourisme de destination (quand on reste dans la même
ville sans avoir besoin de se déplacer) et d'affaires. Bref, du tourisme de
court séjour parce que par définition, on peut arriver et repartir plus vite.
Pour le tourisme d'affaires, il faut que les infrastructures, l'équipement
hôtelier, les centres de congrès suivent. Quand on veut rester plus longtemps,
visiter les villes voisines, les villages, se balader à la campagne, et d'autant plus si on
est en famille, on prend sa voiture. »
Conclusions provisoires
Le TGV a donné l'impulsion du renouveau ferroviaire dans les années 80 alors que le chemin de fer était promis au déclin. Il a rapproché une quantité de villes de Paris sans pour autant dynamiser de fond en comble les régions desservies. L'obsession de la SNCF reste bien de connecter en priorité Paris à la France et à l'Europe, et renforce ainsi les places fortes. Les atouts locaux restent primodiaux et on se rend compte que les Alpes étaient tout aussi fréquentées autrefois qu'avec le TGV aujourd'hui. Il apparait clair que le TGV est un atout pour voyager plus rapidement, d'un point A vers un point B. Il a mangé une partie de la croissance du transport qui, sans le TGV, aurait bénéficié à l'avion ou l'autoroute et ce phénomène est particulièrement présent sur le triangle d'or Paris-Londres-Bruxelles, qui obtient les meilleures parts de marché. Dans le questionnement actuel sur l'intérêt - ou non - de poursuivre le réseau de LGV, il importe à la lumière du passé de bien doser le possible impact d'un TGV sur une région donnée. Pour le moment, les touristes n'affluent pas par millions à Liège, Besançon ou Arras...
A lire : Pourquoi le TGV n'est plus la poule aux oeufs d'or de la SNCF (Challenges, 21/12/2013)
A lire : Pourquoi le TGV n'est plus la poule aux oeufs d'or de la SNCF (Challenges, 21/12/2013)