L’analyse de Mediarail.be
On le
sait, avec l’arrivée le 30 janvier 2013 du 4e paquet ferroviaire, la
gouvernance ferroviaire prenait encore le dessus de l’actualité ferroviaire,
agrémenté de l’avis officiel de la Cour européenne de Justice du 28 février sur
la compatibilité de la structure en holding du chemin de fer allemand. Depuis l’automne
dernier, les débats ont vu apparaître tout un tas de comparaisons audacieuses
et peu rigoureuses. Ainsi la Belgique, qui fut agitée par une réorganisation de
sa structure ferroviaire, presse, élus de gauche et syndicats s’épanchaient sur
le modèle suisse dit « intégré », faisant fit des réalités politiques
et de la structure institutionnelle en vigueur dans la Confédération (à relire ici). En France, « on » avait trouvé un autre trésor : la
structure « intégrée » allemande, sous forme de holding, qui recevait
les faveurs de tous et de la gauche au pouvoir.
Faux-semblants
Les
forces vives du rail français le répètent à l’envi : l’actuel système
SNCF/RFF ne fonctionne pas et on a suffisamment écrit sur le sujet que pour y
revenir. L’idée du holding devient alors la solution toute trouvée pour
rapatrier RFF au sein « d’un pôle ferroviaire unifié ». Cette
traduction française de la holding laisse déjà entrevoir que de sérieuses
contorsions sémantiques vont devoir être utilisées pour maquiller la vieille dame. L’occasion de décortiquer le système en
vigueur outre-Rhin afin d’éviter les comparaisons hasardeuses.
Pourquoi une holding ?
L’Allemagne
géographique se distincte très nettement de la France par un maillage plus
serré des villes et de l’industrie, avec une dispersion plus ou moins
équilibrée. Cela favorise davantage le trafic voyageur de proximité et le
trafic marchandise. L’histoire toute récente de la première puissante d’Europe
nous montre aussi une nation plutôt riche qui a pu avaler dès juillet
1992 un pays tout entier, à savoir l’ex-Allemagne de l’Est. Le chemin de fer de
ce satellite soviétique est dans un état piteux et comptait 4 fois plus de
personnel par kilomètre que sa consœur de l’Ouest, pour une qualité proche de
zéro.
La
réunification des deux entités ferrées posait par ailleurs un problème
concernant la dette abyssale du rail allemand, alors que l’Europe s’agitait
déjà avec ses premières actions législatives (résumées ici). Un deal est alors
trouvé, et il faut être allemand pour proposé cela. Berlin propose l’absorption
complète de la dette par l’Etat en échange de deux obligations révolutionnaires :
la fin du cheminot statutaire pour les nouveaux engagés et l’ouverture totale
du réseau à tous les prétendants fret et régionaux. On n’ose pas imaginer un
instant cette réalité ailleurs en Europe latine…
En pratique
Concernant
le statut des cheminots d’avant 1994, c’est le BundesEisenbahnVermögen (BEV) qui
a pris en charge l’administration des dettes et les surcoûts du personnel
relevant du statut de fonctionnaire. Vous avez bien lu : on y parle bien
de « surcoût »,
prouvant par là que le service public à…un coût supérieur à la normale, et
posant le débat de qui doit payer pour renflouer ce surcoût. Le Gouvernement
fédéral est chargé de l’extension et de la conservation du réseau ferroviaire
de la Fédération et finance ainsi les investissements d’infrastructure à taux
zéro, le contribuable se chargeant des intérêts.
De l’administration d’Etat à la holding
La DB AG comportait à l’origine quatre
divisions dans la plus pure tradition d’administration d’Etat : DB Reise & Touristik AG (voyageurs grandes lignes),
DB Regio AG (régional voyageurs), DB Netz AG (infrastructures) et DB Cargo AG (fret).
Une cinquième division « gares de voyageurs » (DB Station & Service AG) fût
aussi créée en 1997. En 1999, une étape décisive est franchie sous la houlette
du célèbre Hartmut Mehdorn, patron libéral du rail teuton de 1999 à 2009. Il
transforma ces unités en sociétés anonymes (filiales) faisant partie d’une holding
DB AG et en fusionnant les deux unités de passagers (DB Reise & Touristik
AG et DB Regio AG). En réalité, la holding DB intègre deux branches : Deutsche
Bahn AG qui détient 100% de l’infrastructure. Et une branche DB Mobility
Logistics AG qui est détenue à 75% par la branche Infra et le reste par de l’actionnariat
privé (voir infographie). A ce stade, toute comparaison entre cette
architecture avec les « divisions »
de structures intégrées (CFF, SNCF, SNCB...) n’a déjà plus lieu d’être : c’est
le jour et la nuit…
Flux financiers
Une remarque importante s’impose ici : la
tradition fédérale, due à l’histoire des villes-états, a fortement joué sur la
structuration des rapports Etat-chemin de fer. Les Länder reçoivent ainsi annuellement
7 milliards d’euros qu’ils utilisent librement pour des services de trains ou…de
bus, car là-bas le débat rail/bus est posé différemment. A cela s’ajoute une
convention couvrant les quatre années de 2009 à 2013 entre l’Etat fédéral et la
DB : 2,5 milliards € sont consacrés annuellement aux opérations de
renouvellement de l’infrastructure par l’Etat, s’ajoutant au 1,47 milliards € en
maintenance par la seule DBAG. Tout cela est écrit noir sur blanc et il n’est
procédé à aucun transfert de fond de l’infra vers le transporteur, comme c’est
encore la coutume ailleurs.
L’organisation du
transport ferré
Au-delà des Länder, il existe 27 autorités
responsables qui définissent elles-mêmes le périmètre et le volume du trafic
régional estimés nécessaires au maintient du service public. Elles peuvent
choisir le transporteur de leur choix et n’ont aucune obligation vis-à-vis de
la DB. C’est ainsi qu’une bonne dizaine d’intervenants, dont Veolia, Arriva ou
Abellio proposent leurs services pour un marché en confrontation directe avec
la grande maison : 24% des liaisons régionales étaient ainsi gérés par la
concurrence en 2011. Dans le fret ferroviaire, la part de marché de la
concurrence grimpe à 27% ce dont a très largement profité la SNCF, dont la
croissance fret est uniquement due à l’ouverture du marché allemand !
Rüdiger Grube faisait d’ailleurs malicieusement remarquer que ces 27% de la
concurrence totalisaient l’ensemble du fret ferroviaire français (1).
La régulation du rail
L’Allemagne dispose de deux institutions de
régulation : la Bundesnetzagentur pour ce qui concerne toute l’industrie
du rail, y inclus les privés. Et l’Eisenbahn-Bundesamt, la fameuse EBA, chargée
de la sécurité ferroviaire et de garantir l’indépendance des fonctions
essentielles (sillons, certificats,…). L’EBA avait mis en difficulté la
locomotive Prima d’Alstom lors de ses tests sous 15kV il y a quelques années. Cette
dernière institution semble encore posé problème selon le prisme par lequel on
regarde.
La « muraille de chine » instaurée
entre l’infrastructure et la branche DB Mobility Logistics AG fait l’objet de
critiques. Pas seulement de la Commission Européenne mais aussi de la part de l’association
des entreprises ferroviaires privées qui dénoncent des lourdeurs et des transferts
de charges d’infrastructure. Il est en effet reproché à DB Netz de faire
baisser volontairement les charges du « frère » DB Mobility, et de
les transférer sur les péages de la concurrence, ce qu’un tribunal devra
démontrer (2). Un reproche identique avait été formulé en 2010 en Italie (à relire ici). Le modèle n’est donc pas parfait et la notion de « muraille de chine »
n’est pas encore bétonnée juridiquement.
En définitive
Faire la promotion du système allemand oblige à
dépasser le simple fait de détenir le graphique des circulations, comme on le
veut pour la DCF au sein de la SNCF. La DBAG a une obligation vis-à-vis de l’Etat
quant à l’ouverture des voies à la concurrence et ne se présente pas comme un mastodonte
à maintenir coûte que coûte dans le formole. Le service public est ici vu au service des clients avant d'être un instrument au service de l'emploi statutaire. Il n'y a évidemment pas en Allemagne une idéologie de la puissance de l'Etat, au sens napoléonien du terme. L’enjeu en définitive est de
remonter les parts de marché du train, peu importe la gouvernance. En Suisse,
pays de l’intégration absolue, le fret international est en liberté totale et
CFF Cargo a perdu 50% de son trafic de transit. Et ceci dans un calme social
absolu. Il est vrai que sur ce terrain là, Rüdiger Grübe peut voir les choses plus
positivement que Guillaume Pépy….
(1) Revue Générale du
chemin de Fer - avril 2012 page 57
(2) Le système de tarification « TPS 1998 » en vigueur outre-Rhin permettait à DB Regio de supporter une redevance de 25 % à 40 % plus faible que celle acquittée par ses concurrents.
(2) Le système de tarification « TPS 1998 » en vigueur outre-Rhin permettait à DB Regio de supporter une redevance de 25 % à 40 % plus faible que celle acquittée par ses concurrents.