Anno "Uno" pour NTV-Italo
L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation
Sur le site de
news ilsitodifirenze.it, le
journaliste Domenico Rosa terminait dimanche dernier son article en faisant
part de son étonnement : « dans
une Italie plongée dans le marécage, il y a encore un train qui roule vers
l’avenir ». De quoi parle-t-il ? Du train NTV-Italo qui célèbre
sa première année d’existence. Italo ? C’est cette compagnie qui se frotte
à Trenitalia depuis avril 2012 en offrant un service TGV – ou plutôt AGV –
entre Milan/Turin/Venise et les villes du sud, vers Florence, Rome, Naples et
Salerno. Rétroacte.L’analyse de Mediarail.be
Bataille du rail
autour de l’Open Access
Dans une
audition à l’Assemblée Nationale française le 19 mars 2013, le patron du rail français Guillaume Pépy indiquait malicieusement qu’un
quart du chiffre d’affaire de la SNCF était réalisé à l’exportation. Quel lien
avec l’Italo ? C’est que la grande maison française a su profiter d'une loi italienne de 2003, mettant fin au monopole des anciens FS, aujourd'hui Trenitalia. La SNCF détient 20% du capital
du nouveau privé italien, ce qui la met en concurrence frontale avec Trenitalia, l’autre
acteur historique et public de la grande vitesse de la Péninsule. Une concurrence en Open Access telle que
l’aime l’Europe et contre laquelle la SNCF bataille ferme…sur son territoire.
L’arrivée de NTV fin avril 2012 ne fût pas un long fleuve tranquille : le
gestionnaire du réseau RFI, très intégré avec l’opérateur public historique, a
multiplié les entraves à l’installation du nouveau concurrent, modifiant les
conditions d’accès au réseau au dernier moment, lui interdisant les grandes
gares principales comme Milano-Centrale ou Roma-Termini et chipotant comme pas
permis sur les fameuses casa Italo, les espaces salon et ventes de NTV-Italo
qui occupent les grandes gares desservies (1).
L'un des 25 AGV d'Alstom formant l'Italo 9938 Napoli C.le - Milano P.G. du côté de Cadeo (ph Andrea Frigerio) |
Tout cela confirme les tentatives
d’obstruction que condamne l’Europe –
malgré les démentis des intéressés - lors d’une trop forte collusion entre un
opérateur historique et l’infrastructure (2). La revanche italienne à cette intrusion française a pris le nom de
Thello, un autre privé italien détenu par...Trenitalia
himself, et qui a obtenu au mois de février 2013 un premier certificat auprès
du belge Infrabel pour exploiter dans le futur une liaison TGV entre Bruxelles
et Paris, face à Thalys. Dans
cette quart de finale 2013 sur l’Open Access, le classement est : un peu
de sauce SNCF en Italie, un peu de bolognaise Trenitalia en France, et
l’attente de la moutarde que préparent les allemands (3).
NTV-Italo
Née en 2006, la
société a pu s’entourer de la crème des entrepreneurs italiens avec un
président temporaire patron de Ferrari, un autre du maroquinier Tod's et un
troisième, actuel CEO, qui a fait ses marques chez Rail Traction Company. Le
trio savait donc ce qu’il faisait et dispose surtout d’une oreille attentive au
travers des médias et de la classe politique. C’était nécessaire pour contrer
le très médiatique patron de Trenitalia, Mauro Moretti. Côté technique, un coup de maître : en
allant acheter 25 AGV, Alstom obtenait un premier client non-SNCF, ce que les
médias hexagonaux ne manquèrent pas de faire remarquer. A 23 millions € pièce,
ces bolides du rail retrouvent le design cher à leurs patrons : du rouge
Ferrari sur les flancs et du cuir Tod's garnissant certains sièges. Surtout, à
l’inverse du Fyra d’Ansaldo-Breda, l’AGV d’Alstom fut mis à l’épreuve des tests
durant plusieurs années, notamment en France, évitant de fastidieuses mises au
point de dernière minute. C’est donc le 28 avril 2012 que s’élancèrent les Italo, devenant les
premiers TGV privés du monde ! La guerre avec les Frecciarossa du service public pouvait dès lors commencer...
En gare de Bologne cet Italo Milan-Naples côtoie un Frecciarossa, visible tout à droite (photo zacke82) |
Une pression salutaire
Que n’a-t-on pas entendu au sujet de la concurrence
ferroviaire ! Et pourtant, les baisses de prix ne tarderont pas. Déjà par
anticipation, Trenitalia avait descendu ses tarifs de 30% avec des tarifs
moyens Milan-Rome s'écroulant de 91 à 63€ et des prix planchers non remboursables atteignant
même 39€. Italo peut faire encore moins cher et les sites spécialisés en consommation ont détectés des tarifs - quelque soit la classe et le moment de réservation - inférieurs de 8€ en faveur de NTV-Italo. Le mouvement est ainsi lancé dans une Péninsule morose et en crise,
où la baisse de la consommation s'est en revanche traduite par une hausse de
12% des dépenses en train à grande vitesse. La raison pourrait entre autre être
du côté du basculement des parts de marché, Trenitalia + Italo. Jusqu'il y a
peu, l'avion détenait 65% sur l'axe Milan-Rome, désormais, le chiffre s'est
inversé au profit du train. La guerre des tarifs s'accompagne d'ailleurs de
celle des temps de parcours, avec par exemple un Rome-Tiburtina - Milan-P.
Garibaldi en 3h03 le matin (Italo 9972). La concurrence apporte donc bel et
bien ses effets mais il faudra juger cela dans la durée.
Extrait du site altroconsumo sur les différences de prix |
Un public cible et du trafic
NTV-Italo peut se permettre d'être la compagnie de la génération Y. C'est en tout cas ce qu'elle veut donner comme image au travers de sa politique commerciale, très orientée sur une distribution par internet et un système d'information branché. En faisant l'impasse sur un réseau de gare, NTV-Italo espère atteindre un taux de ticketing par internet atteignant les 80%.
En janvier 2013, la jeune société faisait état de 2 millions de passagers transportés à bord de 6.485 trains ayant un taux de ponctualité de 94,4%. Le taux de charge quant à lui oscillait autour des 48%, ce qui n'est pas encore idéal. Avec ses 1.100 employés directs et une cinquantaine d'AGV quotidiens, elle se targue d'une part de marché de 20,1% pour un trafic qui atteindrait les 12 millions de kilomètres annuels reliant 9 villes et 12 gares.
Le 9986 Roma Ostiense - Venezia Santa Lucia, de passage à Pontelagoscuro (FE) (ph Riccardo Fogagnolo) |
La guerre des plages
L'extension du réseau n'est en tout cas pas terminée. Après le réseau traditionnel en "T" (Turin-Venise/Milan-Naples), viennent les plages populaires de l'Adriatique. Sur cette ligne, Trenitalia propose déjà 9 relations quotidiennes par trains Frecciabianca auxquelles s'ajoutent - depuis le 13 avril - 2 nouveaux aller-retour par Frecciarossa, les ETR500 . Cela en vue de contrer les trois A/R envisagés depuis décembre par NTV-Italo, dont le service devrait débuter le 9 juin prochain. Mais le gestionnaire de réseau RFI a de nouveau fait l'objet de critique de la part du CEO Guiseppe Sciarrone concernant une mise à jour des quais de Rimini et l'installation d'une casa Italo dans le bâtiment gare.
Trenitalia a baissé ses prix et totalement reconfiguré son site web (publicité d'avril 2013) |
Les conditions du futur
Les dirigeants de la compagnie se sont donné comme objectif d'avoir transporté 8 à 9 millions de clients pour le deuxième anniversaire, en 2014. Le modèle économique, proche du système low-cost de l'aérien, n'est pas à l'abri de la récession touchant actuellement le pays, bien que le positionnement produit soit plutôt celui du "haut de gamme", permettant de capter une clientèle "prête à payer" pour un bon service.
Marco Ponti, professeur d'économie des Transports à l'université de Milan, a cependant définit trois dangers qui peuvent entamer le succès de la jeune compagnie : une rehausse de la concurrence aérienne via Easy Jet sur Milan-Rome, la petitesse de la compagnie face au mastodonte Trenitalia et le risque d'une entente sur les prix pour surmonter la crise, faussant la concurrence. Et de conclure que c'est l'évolution de la crise et l'appétit des italiens pour le train Italo qui feront le succès du nouveau venu. Souhaitons lui quoiqu'il en soit un joyeux anniversaire...
(1) A relire : L'Italie,
berceau de la libéralisation du rail
(2) A relire : la
SNCF demain, l’Europe à minima
(3) Thello exploite depuis décembre 2011 deux trains de nuit entre
Paris, Rome et Venise. Sur la liaison Bruxelles-Paris, on ignore encore quel sera
le service et avec quel matériel. Les nouveaux ETR
1000 « Zefiro » de Bombardier ?Ceux-ci sont en partie
construits par Ansaldo-Breda, tristement célèbre pour son magistral raté avec les
rames Fyra !