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Pour les amateurs de mysticisme,
on dira que 2013 porte malheureusement bien son chiffre : deux tragédies ferroviaires
en quinze jours, pour un total dépassant les 80 victimes. Faut-il en rajouter
une couche ? Certainement pas sur le plan du fait divers, la grande presse
ayant largement participé au catastrophisme aigu que doit subir de facto le monde
cheminot en ces moments pénibles. Aucun
point commun possible entre Brétigny et Saint Jacques de Compostelle : une
éclisse pour le premier (peut-être), une vitesse folle pour le second
(probable). Et on agitera immédiatement le fanion orange car tant que les
enquêtes ne seront pas terminées dans leur globalité, on ne pourra se rassasier
que de supputations de pseudo-connaisseurs. Et tant pis si cela ne fait pas
vendre…
Remises en question ?
On jette bien évidemment au bac
toutes les supputations pseudo-politiques de néo-libéralisme par-ci, de
gouvernance bicéphale par-là, de structure à réunifier et on en passe. Les
prometteurs de beaux jours sont toujours là pour s’engouffrer dans les
raccourcis véreux et distiller leur chemin de fer de droite ou chemin de fer de
gauche. Passons. Le cas Brétigny nous ramène – sous réserve d’enquête – à la
maintenance de l’infrastructure ferroviaire classique. On sait qu’en France le
propriétaire RFF n’a jamais eu la main et devait de facto passer par la SNCF
Infra. Seuls les idéologues pourront affirmer – sans preuves – que la SNCF à l’ancienne
n’aurait pas commis la même erreur. Rappelons que seules les enquêtes – et non
les bric-à-brac idéologiques – confirmeront ou infirmeront cette thèse. En
revanche, une régénération profonde de plusieurs portions du réseau RFF n’est
plus un mystère, c’est une nécessité.
La tragédie de l’Essonne le
rappelle avec fracas : après le tout TGV, place, nous dit-on, aux trains
du quotidien et au réseau classique. Stop au TGV à tout crin, et les récents
choix de juin 2013 de la Commission 21, un
organisme chargé de faire le tri dans les 245 milliards de travaux prévu dans
le SNIT, donne la mesure du désamour TGV. C’est bien mais
plus que l’infra, c’est le transporteur SNCF qu’il faut secouer : les TEOZ
et autres versions corail intercités sont à bout de souffle et s’écartent
excessivement des standards de confort et de tarification du TGV. Du coup, les
accusations de « trains à deux vitesses » ne sont plus vraiment une
lubie de militant, mais une réalité française. Les autrichiens ont pu montrer
la voie du non-TGV par le biais de leur Railjet, des rames classiques dotées de
voitures aptes à 230 km/h et qui roulent sur toutes les infrastructures, à la
vitesse permise. En Italie, des compositions analogues avec motrices TAV
circulent sur les lignes classiques. Dans les deux cas : un confort proche
respectivement des ICE allemands ou de Frecciarossa italiens. Mais dans ces
pays, le réseau classique à continuer d’être normalement maintenu, du moins en
partie, la grande vitesse étant un « plus », et non un réseau devant
se substituer à l’autre comme on a cru un moment vouloir le faire en France. La réalité est donc le processus d'entretien de la voie, et peu importe sous quelle gouvernance : le travail doit être fait dans les règles de l'art.
Ligne nouvelle et ligne nouvelle
La substitution : telle
serait en revanche la politique espagnole. Il faut dire que le réseau ibérique
revient de loin : il y a vingt-cinq ans, la RENFE était encore une
administration publique des années 50, les Talgos étant la seule touche de
modernité d’un chemin de fer très en retard sur ses voisins. Les gouvernements
successifs ont alors entrepris de renouveler l’infrastructure, et tant qu’à
faire, de le construire à grande vitesse, et on vient encore d’inaugurer il y a
quelques semaines le tronçon Albacete-Alicante.
La tragédie espagnole nous ramène
ainsi dans le périmètre des lignes nouvelles. Dans le langage commun, il n’est
pas rare de qualifier une ligne nouvelle de « ligne TGV » !
Erreur grossière car est « nouvelle » toute ligne…nouvellement
construite. La Betuwelijn néerlandaise
est ainsi une ligne nouvelle marchandise limitée à 160km/h, et aucun TGV ou ICE
ne la parcourt. Dans le cas de Saint Jacques de Compostelle, il s’agit d’une
ligne TGV bien rectiligne au bout de laquelle s’égrènent deux courbes serrées. La
ligne à grande vitesse est couverte par l’ETCS2 alors que les deux courbes le
sont par le système national espagnol ASFA (1). La transition ETCS2 / ASFA est
identique à ce qui se passe partout ailleurs, que ce soit à Gonesse
(Paris-Nord) ou Lembeek (Bruxelles) depuis maintenant 16 ans. Là où le TGV se
connecte sur réseau classique, les voies ont pu être réaménagées pour dissocier
et fluidifier les trafics de trains. C’était le cas de Saint Jacques, c’est le
cas de Lembeek à Bruxelles-Midi, sur 14 kilomètres mis à quatre en voies dans
les années 90.
En clair, tout est neuf, tant sur le TGV que sur réseau classique. On ne peut donc proférer, dans le cas espagnol, une accusation de tout TGV puisque les accès ferrés aux gares ont été réaménagés. On peut même dire que sans le TGV, il n’y aurait peut-être jamais eu de réaménagement des voies. Va-t-on dès lors, comme on a pu le lire cà et là, incriminé les composantes de la grande vitesse espagnole ? Ce serait franchir une ligne idéologique…
On notera par ailleurs qu'il est nettement plus "facile" d'exécuter une ligne nouvelle que de régénérer des voies existantes. Ceux qui connaissent le chemin de fer savent ô combien il est extrêmement difficile de concilier travaux et maintient du trafic quotidien. Et les coûts peuvent parfois être plus élevés sur l'existant que sur un tronçon neuf. L'allongement des travaux du RER de Bruxelles est là pour le rappeler...
En clair, tout est neuf, tant sur le TGV que sur réseau classique. On ne peut donc proférer, dans le cas espagnol, une accusation de tout TGV puisque les accès ferrés aux gares ont été réaménagés. On peut même dire que sans le TGV, il n’y aurait peut-être jamais eu de réaménagement des voies. Va-t-on dès lors, comme on a pu le lire cà et là, incriminé les composantes de la grande vitesse espagnole ? Ce serait franchir une ligne idéologique…
On notera par ailleurs qu'il est nettement plus "facile" d'exécuter une ligne nouvelle que de régénérer des voies existantes. Ceux qui connaissent le chemin de fer savent ô combien il est extrêmement difficile de concilier travaux et maintient du trafic quotidien. Et les coûts peuvent parfois être plus élevés sur l'existant que sur un tronçon neuf. L'allongement des travaux du RER de Bruxelles est là pour le rappeler...
C’était mieux avant ?
Chaque catastrophe ferroviaire
engage dans les médias un questionnement sur la machine ferroviaire. Parfois ca
dérape sur le n’importe quoi, parfois des mesures drastiques et concrètes sont
prises en matière de sécurité ou de conduite. La tentation est grande pour
certains de vanter « leur » chemin de fer d’antant, totalement fermé dans le pré-carré cheminot, à l'abris des regards du citoyen. Ceux-là devront expliquer pourquoi, à l’époque des grandes administrations
monolithiques, on n’a pas pu éviter d’autres catastrophes, comme Argenton-sur-Creuse
ou Pécrot (BE) ou Thionville (une faute des CFL…). Il est commode d’incriminer
le monde d'aujourd’hui, mais ce n’est pas avec les sauces périmées d’hier que l’on
fera les meilleurs plats de demain. Si le chemin de fer veut vraiment se hisser à une meilleure place, cela passera par une autre façon de faire du train. Mais le veut-on vraiment ?
(1) A voir, la video du trajet normal sur ce tronçon