Grande-Bretagne : un bref aperçu de la régionalisation du rail
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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A écouter : ce reportage France Inter de juin 2015. Passer à la minute 17'00"
Historique
Comme le rappelait un ministre des Transports dans les années 90, les BR manquaient d’efficacité parce que, comme un organisme public, leur programme d'investissement restait toujours limité par les finances publiques. Nationalisés en 1948, les services voyageurs de British Rail ont été répartis en 1982 en trois secteurs clés: InterCity, Réseau Sud-Est et les Chemins de Fer régionaux. À partir du milieu des années 1990, le Royaume-Uni a eu l'idée de la séparation verticale et l'a poussé bien au-delà de ce que Commission européenne avait demandé. Les anciens chemins de fer britanniques intégrés verticalement ont été ainsi entièrement divisés, l'infrastructure privatisée étant destinée à Railtrack et les services de trains répartis en 25 franchises différentes, à l’exemple de ScotRail, réseau « South-East », Gatwick Express et bien d’autres. Après le désastre bien connu de la période Railtrack, l'infrastructure est revenue en 2004 vers une société d'État appelée Network Rail.
La 357031 arrive à Limehouse avec un service c2c pour Londres Fenchurch Street, le 14 octobre 2011 (photo par Roger Mark via flickr CC BY-NC-ND 2.0)
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Régulation
Le point central du système britannique est que les opérateurs doivent contracter d'une part avec le gestionnaire d'infrastructure et d'autre part avec la société de location de matériel roulant. C’est l'Office of Rail Regulation (ORR) qui propose au gouvernement le niveau de revenu dont peut bénéficier Network Rail. Les règles d'accès sont codifiées car ils peuvent être une source de litiges. En tant que régulateur indépendant, l’ORR opère dans un cadre fixé par la législation du Royaume-Uni et de l'UE et est responsable devant le Parlement et les tribunaux.
Le matériel roulant
Lorsque la Loi sur les chemins de fer de 1993 a séparé l’infrastructure, le matériel roulant a été vendu en 1996 à trois entreprises privées appelées ROSCO (Rolling Stock Company). Ces entreprises louent le matériel roulant aux sociétés d'exploitation des franchises (TOC) qui ensuite, les déploient sur leur(s) ligne(s). En outre, au cours des dernières années, le gouvernement est intervenu directement pour se procurer de grosses commandes de matériel roulant auprès des constructeurs de trains. L'âge moyen du matériel roulant sur le réseau ferroviaire en Grande-Bretagne a augmenté d'un peu plus de 15 ans en 2007/08 à plus de 18,5 années en 2012/13. Cela masque des variations significatives : les trains dans le Merseyside et du réseau du Great Western ont une moyenne d’âge de plus de 30 ans alors que les trains sur le Trans-Peninne et de la côte Ouest sont âgés de moins de 10 ans.
Le système de franchisage britannique
La concurrence au sein du secteur ferroviaire voyageur en Grande-Bretagne se déroule «pour le marché» par le biais d'un système de franchise, qui est analogue à la « concession ». Elles ne sont pas en concurrence « sur le marché » entre franchises qui se chevaucheraient ou entre opérateurs de trains de voyageurs franchisés, en un mot il n’y a pas de cas de «libre accès» comme en Italie ou en République tchèque, si ce n’est pour le fret. Les franchises sont des contrats entre le gouvernement central et les sociétés d'opérateurs privés pour la fourniture de services aux passagers dans une zone ou des lignes bien définies. Initialement il y avait 25 franchises mais ce nombre a depuis chuté à 16. Elles varient de 3 à 15 ans selon les termes. Les franchisés doivent exécuter les services de trains définis, atteindre des niveaux spécifiés d'efficacité, de fiabilité, de ponctualité et les franchises les plus récentes comportent des indices de satisfaction client. Les opérateurs ferroviaires louent le matériel roulant auprès des ROSCO et payent des frais d'accès à Network Rail pour l'utilisation des infrastructures et des gares. En ce qui concerne l'emploi, le personnel est transféré directement au nouveau concessionnaire à chaque changement de franchise, le nouvel opérateur amenant sa propre petite équipe de gestion.
En ce qui concerne les soumissionnaires, le Ministère évalue le risque financier. La franchise gagnante est faite sur la base des prix, mais avec des dispositions vers d'autres éléments non-financiers à prendre en considération dans le cas où deux soumissions seraient trop proches financièrement. Le gouvernement choisi l'entreprise qui offre la meilleure franchise et le meilleur rapport qualité-prix. Les accords de franchise comprennent des détails sur les normes de performance que les franchisés doivent rencontrer et les modalités de résiliation en cas de non-respect des normes.
Avec ce système, le ministère des transports a identifié au fur et à mesure les domaines à améliorer en permanence parce les franchises sont par nature complexes. Le choc du système subit en 2012 avec l'annulation de celle de l’InterCity West Coast ne signifie pas - selon le rapport Brown 2012 - que le système de franchise est cassé. Il semble cependant clair que le ministère devrait disposer des ressources techniques et juridiques plus adéquates pour gérer l'étude des franchises avec davantage d’efficacité. Cela remet au-devant de la scène la question d'une réglementation forte et des objectifs clairs à atteindre qui sont nécessaires pour superviser la gestion des concessions ferroviaires régionales. Le ministère a annoncé le 26 Mars 2013 un nouveau calendrier pour les franchises ferroviaires. Ce document énonce le programme complet de franchises à venir pour les 8 prochaines années, couvrant toutes les franchises.
Des résultats négatifs
Comme on le sait, les résultats ont été plus que mitigés et Railtrack a échoué de façon spectaculaire pour être finalement ramené en 2004 dans une société quasi-public nommée Network Rail. Selon The Independent (1), une étude pour Transport 2000 par le consultant indépendant Steer Davies Gleave avait conclu que le projet de loi sur les chemins de fer au total avait augmenté les besoins de subsides de 15% au cours de la décennie après la privatisation. Ce serait le prix de la charge administrative supplémentaire des 25 opérateurs de franchise, des trois organismes de régulation et du gestionnaire d’infrastructure.
Bien que le processus de franchisage a été largement couronné de succès jusqu’à l'accident de Hatfield en octobre 2000, il y eut beaucoup de débats en Grande-Bretagne sur l’attribution de la croissance : était-ce dû à la privatisation ou, par opposition, à d'autres facteurs tels que le rebond de l'économie au cours de la période post-privatisation ? Selon le site Just Economie les tarifs de trains et de bus ont grimpé en flèche depuis la privatisation et la déréglementation, et jusqu'à 50% des personnes au Royaume-Uni n’auraient pas accès à un service de base en transport public (tels que les écoles, les hôpitaux ou la grande distribution). Les dépenses ont eu tendance à favoriser les itinéraires les plus lucratifs et ceux où les passagers sont prêts à payer davantage, plutôt que là où les besoins de services pour les bas salaires sont les plus importants. Globalement, les pauvres se retrouvent à payer le prix fort pour des services qui ne répondent à leurs besoins que partiellement, au mieux.
Les résultats négatifs peuvent également concerner la Bourse. Cette semaine, la valeur des actions de First Group a chuté de 150 Mi de £, tandis que Stagecoach a vu 33 Mi de £ rayés de sa valeur sur simple rumeur d’attribution de la franchise de East Coast Main Line à un concurrent. Le lendemain, c’est finalement Stagecoach qui l’emporta….
Des résultats positifs
Le système fonctionnerait quand même bien sous l’angle de l'industrie. Les opérateurs ferroviaires génèrent quatre fois plus d'argent pour les gouvernements que ce qui fût investi dans les services ferroviaires 15 ans plus tôt, le prix moyen payé par les passagers par mile est au plus bas, et davantage de personnes utilisent les trains comme jamais. Selon Stagecoach, la franchise crée une forte incitation pour attirer des passagers supplémentaires et maximiser leurs revenus. Depuis la privatisation, les opérateurs ferroviaires ont livré 22% de services en plus et attirés 60% plus de passagers supplémentaires.
Le trafic aurait ainsi presque doublé depuis 1997 et l’ORR a publié le montant des subventions globales par passager/par mile sur base annuelle. Selon le ministère des Transports, la concurrence pour les services ferroviaires de voyageurs a été assez vigoureuse et n’a fourmi aucun cas de collusion entre soumissionnaires. Il y a un nombre croissant d’entreprises différentes qui ont et continuent à concourir pour la concurrence d’une franchise. Sur son site l’ORR montre également que l'utilisation du rail est à la hausse et que les chemins de fer britanniques ont transporté jusqu'à 1,23 milliards voyages en 2011-12. Cela représente une augmentation de 6% du trafic voyageur par rapport à l'année précédente - le pourcentage le plus élevé depuis le début des relevés en 1995-1996. Plus récemment, le nombre de voyages à l'échelle nationale a atteint le chiffre de 393,9 millions pour le premier trimestre 2014-15, soit une augmentation de 2% par rapport au même trimestre de l'an dernier (2).
Les subsides
La question des subsides continue cependant à être l’objet de vives critiques tant au Royaume-Uni que lorsque le système est examiné avec beaucoup de doutes par d'autres Etats membres européens. Pourquoi ? Parce qu'en réalité ce système vise à atteindre une baisse significative du volume des fonds publics. Est-ce le cas ? Comme le rapporte le site Outlaw.com, les chiffres publiés par le ministère des Transports (DfT) montrent une subvention totale versée aux exploitants de trains franchisés qui s’élevait à 6,8 pence par passager/mile en 2013/14, soit une baisse par 7,3% par passager mile par rapport à 2012/13. Le total versé aux opérateurs ferroviaires par le gouvernement était £ 2,3 milliards de £, contre 3,2 milliards £ payé en 2009/10. L’ORR a montré que la part globale du soutien gouvernemental au secteur ferroviaire a augmenté de 227 Mi de £ cette année pour un total final de £ de 5,3 milliards. Cependant, cette augmentation comprendrait les dépenses pour les infrastructures et les grands projets, tels que Crossrail. « Une croissance phénoménale du nombre de voyageurs aide les exploitants ferroviaires à payer 2 milliards de livres par an en retour au gouvernement - cinq fois qu’il y a plus de 15 ans – et le gouvernement choisi de réinvestir cet argent pour encore améliorer le meilleur réseau de l'Europe », n’a pas hésité à déclarer le Rail Delivery Group, association qui représente les exploitants de trains et Network Rail.
Cependant, selon The Telegraph (3), les derniers chiffres publiés par l’ORR révèle que le financement du gouvernement varie de 2,19 £ pour chaque voyage en Angleterre, à 7,60 £ par trajet en Ecosse et jusqu’à 9,33 £ au Pays de Galles. Dans la proportion du revenu total pour 2012/13, l'Angleterre avait le niveau le plus bas de subvention, à 27 % du revenu total de l'industrie ferroviaire, comparativement à 56 % pour le Pays de Galles et 54% pour l'Ecosse, révèle le rapport de l’ORR. Le ministère des transports a défendu cette disparité en faisant remarquer que les services ferroviaires fortement subventionnés fournissent une bouée de sauvetage pour les communautés rurales.
Arriva, une filiale de la Deutsche Bahn. Les 158828 & 158819 quittent Wellington ce 25 octobre 2011 avec ce service pour Holyhead (photo par Steve Jones via flickr_CC BY-NC-ND 2.0)
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Une bonne affaire pour les entreprises étrangères !
Les marchés pour le programme InterCity Express, Thameslink ou encore Crossrail sont devenus récemment fort controversé pour une autre raison : l'attribution des contrats à des entreprises basées en dehors du Royaume-Uni. Ce n’est en effet pas un mystère que les trois principaux chemins de fer d’Europe sont « présents » en Grande-Bretagne. Selon Buzzfeed, les chemins de fer de l'Etat français, allemands et néerlandais concourent à l’ensemble des franchises ferroviaires du Royaume-Uni, en termes de miles parcourus de passagers. Comme l'a signalé Touchstoneblog, une recherche du syndicat RMT montre que les trois quarts des franchises ferroviaires du Royaume-Uni sont désormais détenues par des entreprises publiques ou ferroviaires européennes. La SNCF française via Keolis, la DBAG allemande par Arriva et les chemins de fer néerlandais NS via Abellio. Sur les 309 millions de passagers/miles parcourus sur les trains britanniques en 2012-13, 159 millions l’ont été par des franchises entièrement ou partiellement détenues par un chemin de fer étatique étranger. Cela énerve Dan McCurry, un militant du parti travailliste : «Nous mettons ces franchises en adjudication parce que nous voulions que le secteur privé fournissent leur savoir-faire en gestion. Il s’avère que ces sociétés ne sont pas du secteur privé, mais par exemple ceux de l’Etat néerlandais. »
L'Europe en Grande-Bretagne ? C'est simplement l'ouverture des marchés... |
Retour au secteur public?
Cette situation fait évidemment des vagues au Royaume-Uni. Rien ne vaut l'arrière-cour politique pour comprendre l'avenir tracé des chemins de fer britanniques. Beaucoup de gens pensent qu'un changement radical est nécessaire. Mais avant d'être éjecté du pouvoir par Cameron, les dirigeants travaillistes avaient déjà indiqué qu'ils ne seraient pas prêts à renationaliser les lignes et que le gouvernement de coalition restait attaché au système existant. Cependant, et selon le Guardian, le leader du parti travailliste a également déclaré que le parti laisserait aussi le secteur public concourir pour des franchises ferroviaires (c’est actuellement interdit), en faisant valoir que cela améliorerait les services voyageurs et mettrait fin à une situation dans laquelle les entreprises publiques étrangères concurrencent les trains au Royaume-Uni sans aucun équivalent britannique à l’étranger (4).
Natalie Bennett, dont le parti écologiste soutient la renationalisation, a encore réaffirmé récemment que le retour à la propriété publique serait simple et peu coûteuse. « Le fait que la majeure partie des bénéfices de nos chemins de fer – qui viennent des poches britanniques, que ce soit par le biais de tarifs ou de taxes - vont à des gouvernements étrangers illustre simplement l'absurdité de nos arrangements actuels » (5). Mais cette «absurdité » est tout simplement un marché ouvert en Europe, prioritairement demandé par les industriels et les secteurs financiers du Royaume-Uni lui-même. Un regret ?
Stagecoach a finalement remporté la franchise East Coast Main Line. Les services débuteraient en mars 2015.(photo de Ingy The Wingy via flickr CC BY-ND 2.0) |
Quel meilleur avenir du système britannique ?
En tout état de cause l'avenir n’est certainement pas à la relance de British Rail - qui était une organisation désespérément inefficace en tant qu’industrie nationalisée disposant d’une relation difficile avec le gouvernement, ce qui a conduit à une paralysie de gestion. La classe politique semble donner une chance pour construire quelque chose à la fois réalisable et bien meilleur, en s’appuyant sur les meilleures pratiques des réseaux de chemin de fer en Europe et au-delà. Selon de nombreux hommes politiques, une réglementation plus stricte, plutôt que la propriété de l'Etat, peut sérieusement apporter des améliorations. Exemple avec cette nouvelle donne : au début de 2011, le gouvernement a déclaré son intention de délivrer plus de 2100 nouvelles voitures ferroviaires au réseau en mai 2019 (soit une augmentation de 1,850 caisses net); le ministère négociera avec les opérateurs ferroviaires pour fournir davantage de matériel roulant sur un certain nombre de franchises. Les offres de matériel roulant supplémentaire ont été conclues avec Northern Rail, First Great Western, London Midland, Virgin West Coast, South West Trains et Southern à la fin de 2011. L'Etat est ainsi (re)devenu propriétaire du matériel roulant, sans redevenir British Rail….