ETCS 2 sur le Gothard : entre crainte et défis
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17/02/2016
Dans
un article interpellant, la revue professionnelle “Railway Update” parle dans
son dernier numéro des difficultés de la ligne du Gothard. La section
Erstfeld-Brünnen a en effet migré vers le mode européen de signalisation ETCS Niveau
2, depuis la mi-août. Cela aurait un impact considérable sur la traction, notamment
pour toutes les locomotives non rétrofitées.
La raison invoquée par
les CFF pour introduire l'ETCS est la création de corridors ferroviaires pour
permettre aux trains de fret de passer à travers la Suisse sans équipement national
de protection, qui est la raison première du concept ETCS. La route du Gothard
est une partie du corridor Rhine-Alpine,
qui est une création de l'UE pour la promotion des trains sans frontières et pour
une amélioration de la capacité et de la sécurité. Même si la Suisse n’est pas
un Etat membre de l'UE, le pays a choisi d'installer le même système de signalisation
censé être installé chez ses voisins. Mais cela n’est pas (encore) le cas ni en
Allemagne, ni en Italie.
En rouge : ETCS Niveau 2; en bleu : ETCS Niveau 1 Limited supervision (doc SBB/CFF) |
Le 16 août 2015, la
courte section Brunnen-Erstfeld a été convertie en ETCS Niveau 2. Depuis lors,
l’accès au Gothard est restreint au seul matériel roulant retrofitté avec des équipements approuvés et opérationnels. Mais
dans le courant de cette année, la ligne du tunnel de base du Lötschberg
devrait elle aussi être convertie à la version 2.3.0d de l’ETCS. Conséquence,
la ligne de montagne du Lötschberg
(via Kandersteg) reste la seule à accepter les engins non-retrofités pour le
transit à travers les Alpes suisses. L’implantation de l’ETCS sur le Gothard ne
s’arrête pas à Brunnen-Erstfeld. De chaque côté des tunnels de base du Gothard
et du Ceneri, d’autres sections vont être converties : Flüelen-Rynächt, Castione-Arbedo,
Biasca-Pollegio Nord, San Antonio-Giubiasco (2017) et Vezia-Lugano Nord
(2019/2020). En d’autre termes, l’ETCS N2 va s’étendre.
(document 2014 - SBB/CFF) |
La version du software
La version du software
qui fût choisie est la 2.3.0d, alors que la ligne nouvelle Mattsteten-Rothrist (NBS) et celle du tunnel de base du Lötschberg ont
reçu la version 2.2.2+. Tous les engins moteurs qui avaient reçu cette version
ont été rétrofités et recertifies par l’Office Fédéral des Transports (OFT).
Mais cela impacte considérablement aux engins de traction de tous les
transporteurs, car les sections en ETCS N2 se situent sur une portion majeure
du corridor Rhine-Alpine.
La conséquence est que
la situation du trafic de marchandises sur la ligne du Gothard a brusquement
changé le 16 Août 2015. Exceptés quelques locomotives Re 486, 186 ou 187 (toutes
de Bombardier), les trains sont maintenant tractés exclusivement par des
locomotives CFF rétrofitées. Les CFF sont plutôt heureux d’avoir commandé une mise
à niveau de 233 locomotives en 2012 (à Siemens), même si une vingtaine de leurs
Re 4/4 IIs CFF Cargo l’ont été tardivement, mais juste à temps. Par
comparaison, les 185 de DB Schenker n’ ont pas été rétrofitées et doivent être
remplacées par des Re 6/6 et des Re 4/4 II CFF Cargo, avec un changement de traction
à Bâle-Muttenz. Les locomotives Siemens ont complètement disparu du Gothard. La
modernisation et la recertification des engins ES 64 F4 (BR 189) est en cours
même si aucun délai n’a été communiqué. Les Br 185 allemandes (Bombardier)
opèrent donc sur des trains de marchandises du service intérieur Suisse en
remplacement des engins CFF. Le changement de locomotive réintroduit à Bâle
demande une augmentation du parc de locomotives, ce qui démontre que
l'exploitation optimisée des locomotives sur longue distance est rentable.
Aujourd'hui, l'Agence
ferroviaire européenne (ERA, Valenciennes) est responsable de la version
officielle du logiciel de l'ETCS, mais de temps à autre elle approuve des
règles techniques nationales. Si une locomotive possède son propre équipement
ETCS (comme aux Pays-Bas par exemple), le propriétaire doit non seulement avoir
obtenu une mise à niveau, évaluée et approuvée dans ce pays, mais il doit
également avoir la licence d'exploitation modifiée ou rééditée pour les pays
desservis. Aujourd'hui, grâce à l'exploitation du système ETCS il est possible
de rallier Rotterdam à la frontière allemande. Il est théoriquement possible
d'équiper une locomotive et d’obtenir l'approbation pour le trajet complet Rotterdam
– Betuwelijn - Allemagne - Gothard, mais aucun opérateur n’a fait cela jusqu’à
présent. Actuellement, les trains en provenance des Pays-Bas à destination de l'Italie
sans changement de locomotive doivent voyager via le Lötschberg, mais nous
avons vu plus haut que la ligne LBT sera également mise à jour cette année. En
Suisse, l'ETCS doit en effet remplacer les anciens systèmes Signum ainsi que
les antennes et équipement ZUB à bord et au sol, et leurs remplacements par de
nouvelles antennes GSM-R et un équipement spécifique de bord, comme par exemple
l'écran d’interface ETCS (DMI) et d'autres éléments.
Une Re6/6 + une Re4/4 à Wassen : les seules autorisées (par kuknauf via flickr CC BY-ND 2.0) |
Coûts et délais
Les conséquences économiques de
cette vaste perturbation de la traction sont importantes, dès l’instant où
davantage de locomotives et de conducteurs sont nécessaires pour un même nombre
de trains de marchandises. Un service à double traction ou un changement de
locomotive est nécessaire sur les seules sections ETCS !
En outre, les propriétaires et
les exploitants de matériel roulant doivent supporter les coûts de rétrofit et
d’équipement de bord eux-mêmes. La planification, l'installation du matériel,
la programmation, l'évaluation et la certification sont déjà assez coûteux et
peuvent facilement dépasser le million d'euros, au moins pour la première
locomotive d'une série déployée pour les opérations transfrontalières. En
réalité, les millions nécessaires pour l'ingénierie et la conversion des
locomotives sont pratiquement inexistants dans les budgets des opérateurs
ferroviaires.
La nouvelle locomotive Vectron de
Siemens passe par un nouveau processus d'approbation coordonné au niveau
international dans lequel les autorités des pays concernés se partagent les
tâches pour les différents sous-secteurs et chacun garantit de reconnaître et adopter
les décisions de ses homologues. L'OFT suisse, par exemple, a pour tâche
d'examiner les freins. Sur la base de cette méthode, une première Vectron sera opérationnelle
sur le réseau BLS en 2016. La même méthode est prévue pour les ICx de la DB(Siemens), les Twidexx Emu des CFF
(Bombardier) et les Giruno (Stadler).
L'avenir dépend de la
capacité de Siemens pour moderniser les Re 485 et Re 185 (Bombardier).
L'ouverture du tunnel de base du Saint-Gothard par étape se fera dès l'été 2016
jusqu'en décembre. Selon Railway Update,
un différend persiste entre le fournisseur de l'équipement Siemens et le
constructeur de locomotives Bombardier, sur les coûts trop lourds de
modernisation. Si Siemens ne réussit pas le rétrofit, tout le trafic sera encore
repris par la flotte des Re 6/6 et des Re 4/4 II et III des CFF. Cependant, le
mauvais état de plusieurs de ces machines, avec risque d’incendie avéré, milite
contre leur déploiement intensif dans le futur tunnel.
Trafic voyageurs
Les Pendolino ETR 470
et 610 (Fiat / Alstom), et l'ICN RABe 503 doivent être réaménagé avec la
version du logiciel 2.3.0d par le constructeur, pour éviter de perdre leur
approbation multi-pays en Allemagne et en Italie. Le Pendolino a droit à une
autorisation exceptionnelle fournie par l’OFT jusqu'en décembre 2016. Sans
preuves documentées de conformité ni licence d'exploitation, une menace d'annulation
des services de trains de voyageurs pèse réellement vers Chiasso et Milan.
Ces péripéties suisses
montrent une réalité : l'implantation de l'ETCS est plus difficile sur les
lignes existantes que sur lignes à grande vitesse. Il est vrai que les lignes nouvelles bénéficient d'une étude
préalable qui tient compte de tous les paramètres de l'ETCS et qui anticipe les
problèmes. Par ailleurs, le retrofit du matériel existant doit faire face aux
coûts astronomiques de l'industrie électronique, qui n'est pas réputée pour
être low-cost. Le risque est que l'ETCS soit considéré comme un gadget de luxe
qui n'apporte pas de plus-values en termes de capacité et de baisse des coûts
d'exploitation.