L’Hyperloop américain au royaume des Habsbourg ?
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04/04/2016

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Ce n’était pas un poisson d’avril. A la mi-mars 2016, le magazine Wired écrivait que lorsque Elon Musk avait proposé son idée folle d’Hyperloop il y a déjà près de quatre ans, il le concevait comme un moyen plutôt cool pour aller de San Francisco à Los Angeles en 36 minutes. Typiquement américain, ce genre de projet fou. Mais la première terre d’adoption de cette technologie futuriste pourrait être en réalité ... la Slovaquie ! Une blague ? Pas vraiment...

L’Hyperloop du côté du Danube ?
« Il n’y aura plus deux villes distinctes, mais bien une seule région, dans l’esprit des gens. Ils pourront habiter à Vienne et travailler à Bratislava, ou le contraire, sans que cela ne pose aucun problème. » Pour Matthias Prandtstetter, scientifique à l’Institut autrichien de technologie, c’est grosso modo l’idée qui germe du côté du Danube : raccourcir les temps de trajet entre Vienne et Bratislava à huit minutes, d’une part, et à seulement 10-12 minutes vers Budapest. L’ancien royaume des Habsbourg se rétrécit drastiquement et devient un ensemble de « quartiers » voisins. Comment ? Grâce donc à l’Hyperloop, le projet fantasque de l’américain Elon Musk.

Aussi fantasque que cela puisse paraître, le journal slovaque Pravda a bel et bien rapporté la conclusion d’un accord d’après les confirmations de Miriam Žiaková, la porte - parole du ministère de l'économie, qui a déclaré que le gouvernement slovaque et l’Hyperloop Transportation Technologies (HTT), ont convenu de se rencontrer dans les 270 prochains jours pour poursuivre ces discussions.

Dirk Ahlborn, le directeur général de HTT, a précisé que le 10 mars 2016, un accord avait effectivement été conclu avec le gouvernement slovaque pour explorer la construction d'un système Hyperloop local. Un système qui permet de transporter des personnes à 1.200km/h ! Selon Ahlborn, les prochaines étapes comprendront l'identification d'un itinéraire qui pourrait connecter Bratislava, capitale de la Slovaquie, avec Vienne et Budapest.

Vienne, voisine de Bratislava, n’a pas tardé à réagir pour entrer dans le projet. A La Libre Belgique, le secrétaire d’Etat auprès du ministre des Sciences, de la Recherche et de l’Economie confiait que « l’Autriche est très motivée à l’idée de coopérer avec la Slovaquie et la Hongrie sur ce projet. » L’homme précise que « cela peut être le point de départ de la transformation de l’Europe centrale en la Sillicon Valley de l’Europe. Notre but est que le triangle formé par Vienne, Bratislava et Budapest devienne LA région clé pour les start-ups en Europe, là où les jeunes entrepreneurs et les férus d’innovation veulent et doivent être. » Rien de moins. « La Slovaquie est un chef de file technologique dans les sciences de la matière et de l'énergie de l'automobile, bon nombre de domaines qui font partie intégrante du système Hyperloop», précise Ahlborn. «Avoir une présence de l’Hyperloop en version européenne incitera à la collaboration et à l'innovation au sein de la Slovaquie et dans toute l'Europe. » Nous y voilà.

La photo présentant le projet américain. L'Hyperloop slovaque devrait ressembler à cela, mais pas l'environnement urbain... (photo Hyperloop Transportation Technologies)
« L’Hyperloop en Europe permettrait de réduire sensiblement les distances entre les villes de manière sans précédent. Un système de transport de ce type pourrait redéfinir le concept de déplacements et stimuler la coopération transfrontalière en Europe », s’enthousiasme Vazil Hudak , ministre de la Slovaquie de l' économie. « L'expansion de Hyperloop conduira à une augmentation de la demande pour la création de nouveaux centres d'innovation, en Slovaquie et dans toute l'Europe. » Des déclarations qui rappellent un peu les utopies que déclinent encore de nos jours de nombreux élus français à propos du TGV. Gare au boomerang du réalisme, qui souvent, fait très mal…

L’accord signé ne précise en effet ni les coûts du projet ni la répartition du financement entre les parties concernées. Il vise simplement à explorer un concept. D’où les doutes exprimés par Lubomir Palčák, directeur général de l’Institut de Recherche des Transports slovaque. « Pour savoir si le projet peut être rentable ou non, nous avons besoin d’une étude de faisabilité. » Ce qui n’apparaît être qu’un détail pour Elon Musk, par ailleurs occupé à construire un prototype en Californie, sur une piste de 8 kilomètres. Mais qu’en est-il, justement, de « ce train supersonique » ?

Technologie du futur
Pour rappel, Elon Musk, l’homme de SpaceX et de Tesla, est venu avec son idée d’Hyperloop en le décrivant dans un document d’à peine 57 pages, présenté en août 2013. Il a encouragé toute personne ayant un intérêt à poursuivre l'idée, car Elon est un gars très occupé, comme tout américain fantasque.
Il existe cependant un certain nombre d'obstacles. Fonciers d’abord. L'acquisition de terrains en Californie est très coûteux, et le risque de tremblements de terre ainsi que l'opposition de la population locale, ne sont pas pris à la légère. Voilà pourquoi Elon Musk cherchait un terrain « hors USA ».

Technologiques ensuite. La vitesse de 1.200km/h peut être atteinte, non pas sur une voie comme le Maglev japonais, mais grâce à un tube fermé d’à peine 2 ou 3m de diamètre ! A l’intérieur, des capsules d’aluminium d’1,35m de diamètre, transportant 28 à 100 personnes, se propulsent grâce à un champ magnétique. Pas question de se croiser : il y aurait donc deux tubes, un par sens de circulation. Cette technologie serait exempte des caprices de la météo et serait auto-suffisante au niveau énergétique, puisqu’elle utiliserait les panneaux solaires placés sur les tubes. Les deux tubes seraient surélevés comme le montre ce dessin de Wikipedia, ce qui rappelle un peu l’affreux viaduc de béton des trains à sustentation magnétique en Allemagne du Nord.

Une capsule dans un tube, un par sens de circulation. Au-dessus, les panneaux solaires (photo Hyperloop Transportation Technologies)
Mais le grand challenge tient au comportement des passagers à une telle vitesse. On répète les mêmes questions qu’il y a près de 200 ans, lorsque des députés du XIXème siècle s’inquiétaient de savoir si l’homme supporterait des vitesses dépassant les 60km/h, soit trois à quatre fois la vitesse des diligences. L’Hyperloop aussi va faire quatre fois la vitesse des actuels TGV. Passer de 0 à 1.000 km/h très rapidement provoquera une poussée très forte et la gravité augmentera, amplifiant le rythme cardiaque car en cas de hausse de la gravité, le sang tombe dans les jambes et le travail du cœur s’accroit. Voilà pourquoi l’Hyperloop prévoit des sièges inclinés comme l’illustre ce cliché de la firme. A 1.200 km/h, les voyageurs se retrouveront dans un environnement « hypobare » (faible pression atmosphérique). Les transitions entre l’air libre et la capsule s’apparenterait aux effets que peuvent subir les plongeurs remontant des profondeurs de l’océan. L’environnement « hypobare » diminuant le taux d’oxygène, il faudra donc y pallier. Le débarquement des passagers devant être progressif, cela passerait par des chambres de décompression à définir. Tout cela est encore à préciser et à tester à l’échelle réelle. Enfin, pas question de regarder le tube par la fenêtre : il n’y en aura pas d’autant qu’il n’y aura rien à voir. Gare aux claustrophobes…

Un calendrier ?
La première étape de l’Hyperloop slovaque se déroulerait sur un court morceau au sein de Bratislava et devrait coûter entre 200 à 300 millions de $, prédit Ahlborn. Les liaisons vers Vienne et Budapest suivront par la suite. Il n'a pas encore rassemblé de financement, mais veut voir la première étape de construction d'ici 2020, soit neuf ans avant que le transport ferroviaire classique à grande vitesse ne soit inauguré en Californie. Chiche…

(photo Hyperloop Transportation Technologies)