Bon anniversaire Thalys...
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29/05/2016
Ce jeudi 2 juin marque, hélas dans une France et Belgique sous tensions sociales, le vingtième anniversaire date pour date de la mise en place du TGV Thalys, modifiant considérablement les relations ferroviaires entre Paris et le Benelux en vigueur depuis 1843
France – Benelux / Cologne : ça remonte loin…
Depuis 1843, les trains ralliant Paris à Bruxelles, puis Cologne et Amsterdam, prenaient le chemin de Compiègne, Saint-Quentin, Valenciennes, puis par la suite Aulnoye, Mons ou Namur selon les destinations. Tous ces trains se faisaient par rames tractées, soit des voitures tirées par une locomotive, laquelle était jusqu’en dans les années 60 systématiquement échangée à chaque frontière ferroviaire. Les progrès en électrotechnique ont permis de faire rouler les locomotives d’une traite de Paris à Bruxelles ou Liège sans changement (CC40100 SNCF ou CC18 SNCB), et même jusqu’à Amsterdam avec les vénérables locos SNCB série 15 ou Cologne avec les 16 ou 18. Tout cela s’est terminé le samedi 1er juin 1996 à minuit. Une vidéo reprend le mémorable et tout dernier Trans-Euro-Express spécial mis en route ce week-end là pour marquer la fin d’une époque.
Pendant ce temps, le TGV-Nord Europe fait doucement son chemin. Quelques dates clés :
26 octobre 1987 : Décision politique à Bruxelles de la construction d'un réseau à grande vitesse entre la France et le nord de l'Europe.
1993 : Création du premier groupe de travail international IPM, ayant pour mission de définir le mode d'organisation de la future entreprise ferroviaire à créer.
Janvier 1995 : Adoption du logo et d'un nom pour le futur service à grande vitesse du TGV-Nord Europe : ce sera Thalys, un nom qui n’a aucune signification. Les réseaux concernés par le TGV-Nord Europe voulaient une marque propre qui se prononce dans toutes les langues des pays desservis.
Mai 1995 : Naissance de Westrail International en tant que société coopérative de droit belge, filiale commune de la SNCF et de la SNCB, à laquelle s'associe les chemins de fer néerlandais (NS) et les chemins de fer allemands (DB). La mission de cette entreprise est de créer et gérer un réseau à grande vitesse sur l'ensemble du TGV-Nord.
2 juin 1996
Ce dimanche-là, les Thalys reprennent la totalité du service France – Belgique. Enfin presque. Quelques trains en rames tractées subsistent sur la dorsale wallonne ainsi que le fameux train Paris-Amsterdam transitant à Bruxelles au milieu de la nuit. La desserte en TGV s’étoffe peu à peu pour aboutir à la situation actuelle. L’ensemble du trafic est géré au moyen de 27 rames TGV Alstom, car dans l’étude des années 90, il n’y avait pas d’autres alternatives en matériel roulant. De plus, c’est la SNCF qui était chargée de la maîtrise du dossier au nom des autres partenaires…
PBA (à gauche) et PBKA (à droite) réunies à Bruxelles-Midi le 12 mai 2015 (photo Mediarail.be) |
Les TGV Thalys
A l’origine, on parlait avec enthousiasme d'une quarantaine de rames nécessaires offrant 15.000 places assises. Mais les réalités de l'économie ont vite montré une surestimation du trafic vers l'Allemagne, qui sera confirmée par les faits. Pour cette raison, il est décidé de ramener la commande à seulement 17 rames PBKA, aptes sous le 15kV allemand, ainsi qu'au 25kV AC, 3kV DC et 1500V DC. La SNCF, de son côté, a vu trop grand aussi pour ses « TGV-Réseau » du service intérieur. Elle spécialise donc 10 de ces rames en PBA (Paris/Bruxelles/Amsterdam), ces rames circulant déjà en France sous 25kV AC et 1500V DC. On y a ajouté le 3kV DC belge, mais pas le 15kV allemand. L'ensemble de ces deux séries reçoit la livrée de Thalys en rouge bordeaux et quelques légères adaptations intérieures. Ce parc restera identique en nombre de rames jusqu’à aujourd’hui.
Les trafics
A une époque où les chiffres n’étaient pas « secret défense », le trafic Bruxelles-Paris oscillait en 1995 autour des 2,3 millions de voyageurs. Avec l’arrivée du Thalys, et surtout la mise en service complète de la LGV belge en 1997, le cap des 6,9 millions est aujourd’hui atteint depuis la fin des années 2000, prouvant l’attractivité du produit « grande-vitesse » sur une des liaisons phares du rail européen. Mais ce trafic est en réalité loin de ce que les études avaient prévus dans les années 80 : on prédisait alors un trafic de…16 millions de passagers TGV en gare du Midi dans les années 2000, incluant Eurostar ! C’est cette perspective qui avait un moment contraint la SNCB à étudier un autre site, notamment à Schaerbeek. On voit de nos jours qu’avec les 9 millions de passagers TGV en 2015, Bruxelles-Midi n’est pas encore saturée et se satisfait de ses six voies dédiées…
Paris d’abord
Sans reprendre l’évolution des dessertes sur 20 ans, on peut noter sans se tromper que la première destination est bel et bien Paris. Viennent ensuite Bruxelles et Amsterdam, ville plus excentrée mais très touristique. Tout l’inverse de Cologne, où là aussi le rêve a fait place à la réalité. Alors qu’il était étudié un TGV par heure sur l’axe allemand, Thalys décline… 5 A/R (aller-retour) dont certains portés jusqu’à Dortmund depuis peu. Il est vrai que l’ICE de la Deutsche Bahn – qui joue en solo - vient compléter l’offre avec 4 A/R, soit donc 9 TGV sur les lignes Bruxelles-Cologne. C’est peu pour un axe Est-Ouest qualifié jadis avec enthousiasme « d’axe majeur » de la construction européenne. A noter le même sort subit par Eurostar, qui ne fait « que » 2 millions sur Bruxelles-Londres, d’où les 9 A/R largement suffisants au lieu d’un TGV chaque heure prévu à l’origine des études…
Sur Amsterdam, ville qui a bien plus de potentiel que Namur ou Liège, le trafic a grimpé avec 12 puis 14 A/R, depuis la déconfiture tonitruante du « TGV low-cost Fyra » emmené par les néerlandais. Et le reste ?
Tourisme Nord-Sud
Rien de tel que de sortir des sentiers battus pour doper son trafic. Il y eu des tentatives vers Bordeaux puis Genève. Avec une arrivée à 00h01 en Suisse, ce Bruxelles-Genève était voué à l’échec. L’expérience n’aura duré que quelques mois. En revanche, le tourisme dope le trafic. Ainsi en est-il des « Thalys-Neige » Amsterdam-Bourg Saint Maurice, et de son pendant estival, le « Thalys Soleil » Amsterdam-Marseille. Succès confirmé chaque samedi de circulation, car on répond là à une demande bien précise du traditionnel trafic de vacances nord-sud.
Retour sur terre : la fin du symbolisme
Telle ne fût pas le cas des Thalys régionaux belges. Purs produits du consensus politique pour obtenir les permis de bâtir des LGV, les deux Thalys subventionnés vers Ostende, d’une part, et sur la dorsale wallonne, d’autre part, avaient pour vocation de répondre à la crainte symbolique de « régions isolées du reste de l’Europe » (sic). Comme de coutume quand le politique se mêle d’exploitation ferroviaire, l’échec n’est jamais loin. Il fût vite constaté que les flamands changeaient aisément de train à Bruxelles pour prendre un des 26 Thalys de leur choix, et que ce sont les wallons qui se rendaient à Paris, et non pas les parisiens en Wallonie, on s’en serait douté. Fin des Thalys régionaux en mars 2015, que nous avons déjà analysé à ce lien. Les rames gagnées ont permis l’extension du service sur Dortmund et la hausse de fréquences sur Amsterdam, là où le trafic le demande.
Pour en revenir à ce qui est dit plus haut : Paris d’abord, Bruxelles et Amsterdam ensuite…
Et le futur ?
Thalys est devenu une société à part entière dès mars 2015. L’entreprise gère dorénavant elle-même le pool des conducteurs, les aléas du trafic et le recrutement du personnel, sans passer nécessairement par le personnel des partenaires. Elle gagne aussi en information en live, car elle ne doit plus non plus passer, en cas de problème, par les centres SNCB ou SNCF pour s’informer. Mais comme le disait la CEO Agnès Ogier récemment à l’Echo, le monde change en permanence et Thalys doit s’adapter. Car il importe d’aller au-delà des 7 millions de voyageurs, de rechercher des « relais de croissance ». Outre s’émanciper hors du quadrilatère Paris-Bruxelles-Amsterdam-Dortmund, la société cherche à pénétrer d’autres marchés.
Une des deux rames TGV-Réseau pelliculée "IZY" au départ de Bruxelles-Midi, le 4 mai 2016 (photo Mediarail.be) |
A commencer par ceux qui ne prennent jamais le train à cause du prix. Ainsi se justifie la création de IZY, un TGV low-cost constitué de deux rames soutirées du parc SNCF, et qui font deux A/R par jour sur Bruxelles-Paris moyennant l’emprunt de la ligne classique dès Arras. Pourquoi ? Pour éviter les onéreux péages de SNCF Réseau sur les lignes TGV. Du coup, le temps de parcours passe à 2h30 mais les prix sont low-cost : à partir de 10€ en siège non-garanti (on reste debout au bar…) jusqu’à 29€ en siège classique. Horaires savamment calculés pour ne pas faire ombrage au service « normal », de sorte qu’il n’est pas « ISY » de passer une bonne journée dans la capitale française : à peine quelques heures. L’objet de ce service est de capter la clientèle des bus et du covoiturage. Lancé en avril 2016, il est trop tôt pour tirer des conclusions. Et le reste ?
Agnès Ogier dit devoir d’abord revenir à la situation d’avant les attentats (de Paris et Bruxelles). Ensuite, une rénovation des 27 rames existantes est à l’étude. Enfin, en dehors de l’évocation de Bordeaux, il n’y a pas d’autres destinations à l’ordre du jour.
Conclusions
Thalys est une belle réussite et sa récente indépendance en fait un acteur de poids sur l’échiquier ferroviaire européen. Il est impératif que les partenaires SNCF et SNCB fassent en sorte qu’on puisse rejoindre Thalys aux nœuds de correspondance, avec rapidité plusieurs fois par jour. Et en attendant, que dire d’autre que « Joyeux anniversaire »….