L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation
Deuxième partie
Les volontés de Bruxelles
Crise
financière des années 80, déglingue de l’industrie lourde, nouvelles pratiques
sociales déclenchent un mouvement où l’Europe prend de plus en plus de place :
dès 1986 avec la signature de l’Acte Unique, puis surtout avec le Traité de
Maastricht de 1992. Ce dernier offre à la Commission et au Parlement des
pouvoirs étendus. Les directives adoptées ont force de loi et la transposition
dans les législations nationales est obligatoire pour tous les signataires.
Ceux qui n’en veulent pas restent à l’écart de l’Europe, comme la Suisse et la
Norvège. Animée d’une réelle volonté d’intégration européenne pour les uns, ou « polluée »
par le dogme libéral pour d’autres, toujours est-il que les volontés de
Bruxelles de changer le rail et de dénoncer les monopoles vont profondément
remanier un paysage longtemps figé. Une fois de plus c’est l’industrie qui
démarre la farandole (voir ici notre chronique). La construction ferroviaire fait
ses comptes, élimine les doublons, regroupe, remanie et modernise toute la
filière, pour ne faire émerger que trois grands groupes et l’un ou l’autre
challenger. On ne fabrique plus pour maintenir l’emploi national mais bien pour
vendre des produits là où il y a des clients. Une méthode que d’aucun à
Bruxelles voudrait bien voir venir au sein du chemin de fer. Reniant la
définition des industries de réseau évoquée en première partie, les théoriciens
de la Commission parièrent sur une dose de concurrence pour réveiller l’esprit
compétitif du rail.
La concurrence pour développer la créativité ?
Entre la
théorie et la pratique, les idéologies politiques font souvent le grand écart.
Si la concurrence stimule effectivement à « faire mieux que le voisin »,
la pratique révèle un paysage bien différent. La dérégulation voulue par des
théories libérales a surtout bénéficié aux « investisseurs », qui ne
sont rien d’autres que des filiales de banques. Celles-ci voyaient dans le
transport un marché nouveau dans lequel il y avait de quoi « se faire de l’argent ».
Quelques rares experts éclairés ont tenté de démontrer une évidence : le
secteur des transports, à l’inverse de la publicité ou de la chimie, rapporte
très peu d’argent en regard des investissements à consentir. C’est donc pour
tenter de pomper un maximum que le secteur financier sorti toutes ses grandes
recettes économiques dans lesquelles figurent en bonne place la dérégulation.
En matière ferroviaire, il ne s’attendait pas à un mur… Du côté de l’industrie
en revanche, la créativité a explosé, comme en témoigne tous les deux ans le
fameux salon berlinois Innotrans (ci-contre, photo bahnonline.ch). La concurrence fait rage et l’ensemble de l’industrie
décline le meilleur pour vendre autorails, engins d’entretien ou locomotives. Y
aurait-il eu une TRAXX européenne sans la concurrence ? On en doute. Le
renouveau annoncé de la signalisation engendre déjà un juteux marché qui fait
vivre toute une filière spécialisée, et ce au niveau européen. Donc toujoues bon pour l'emploi....
Tous coupables ?
Mais il
serait trop facile de charger Bruxelles et le monde financier. Car les déficits
monstrueux accumulés ne servaient-ils pas qu’à entretenir un mode transport à l’utilisation
de plus en plus marginale ? Les culpabilités sur ce thème sont nombreuses.
De l’Etat d’abord, obligé de louvoyer entre rigueur budgétaire et volcan social
sans vouloir mettre toutes les cartes sur la table. Des directions ferroviaires
ensuite dont les tops managers, venus du privé pour certains, firent comme bon
leur semble des subsides du contribuable, promouvant le TGV à tout crin pour
les uns, bâtissant de grands groupes logistiques pour d’autres, tel l’éphémère
ABX en Belgique. Des syndicats encore, anesthésiés par une perte de crédibilité
en cas de remaniement du statut, voient dans le corps cheminot l’un des
derniers exemplaires de mobilisation à l’ancienne, reniant le fait que le
chemin de fer n’est pas une affaire de lutte mais bien un moyen de transport au
service de la collectivité.
Cette
collectivité enfin, notamment en souscrivant au « sauvetage de la planète »
par l’écologie tout en empruntant les voies du « pas cher point com ».
Exemple flagrant avec les compagnies aériennes low-cost, offrant l’avion à un
public traditionnellement fauché. Prix minimum pour pollution maximum, les
paradoxes n’ont pas l’air de gêner grand monde de nos jours…
Désintégration
Tout cela a
donc fait que Bruxelles voulu remettre l’église au milieu du village. Mais elle
se heurta à un mur : pour passer les frontières, il fallait changer
certaines techniques. Il aura fallu 15 ans de législation et trois paquets de
directives pour tenter de trouver une solution à cette équation sans fin. Les
résultats en 2012 ne semblaient toujours pas à la hauteur des espérances de
leurs promoteurs puisqu’un quatrième volet devait réformer…les réformes déjà
engagées.
Toujours
est-il que de directives en directives, le paysage institutionnel a
radicalement changé. La concurrence a boosté les esprits et on en veut pour
preuve les nouveaux organigrammes qui fleurissent par activités au sein de
toutes les entreprises ferroviaires. La SNCF ainsi s’est constituée vers 2010
de « branches » aux noms parfois évocateurs comme « Gares et
Connexions » ou « Services de Proximité ». Toutes les anciennes
administration d’Europe sont passées par ce renouveau de la structure.
Premiers diagnotiques
Parmi les
points faibles : la séparation juridique de l’infrastructure qui a
engendré des interprétations diverses. Elle n’a pas garanti à 100% le libre
accès non discriminatoire et coûte plus cher au contribuable. Il y a en effet
dans chaque pays « deux » sociétés ferroviaires - l’infra et le
transporteur national – de sorte que les frais ont été multipliés. De plus,
ainsi séparées, les entités entretiennent entre elles un système complexe de
facturation alourdissant l’administration et multipliant les problèmes, dont
les plus graves ne trouvent une solution que devant les tribunaux. Le thème de
l’intégration ou de la séparation a fait en 2012 l’objet d’intenses débats
entre partisans et opposants. Depuis les années 2000, la séparation de l’infrastructure
n’a engendré la concurrence que sur la seule Europe du Nord, l’Allemagne et les
Pays-Bas en particulier. Dans l’Europe latine, le barrage aux nouveaux entrants
fut tenace et n’empêcha pas l’effondrement des trafics en marchandises dans des
sociétés encore unitaires. En Italie, une première tentative de trains grandes
lignes échoua avec la bénédiction de Trenitalia qui fit pression sur RFI pour
lui interdire les grandes gares de Turin et Milan. Le genre de pression
interdite par l’Europe. Mais en avril 2012, un autre candidat soutenu par la
SNCF, NTV, vint directement concurrencer la grande vitesse nationale cette fois
sans pression.
Pression
aussi à la DBAG malgré son statut de holding : nombreuses sont les
affaires qui ont atterri devant les tribunaux allemands. Mieux : le grand
mastodonte est même en litige avec son propre régulateur ! Des clauses
annulées par ce dernier comme le déni de la DBAG Netz de tenir compte des
remarques des transporteurs. Ou pire le refus de rembourser la moins value en
cas de travaux ou fermeture de dernière minute. Voilà donc le résultat de l’intégration
et de la soi-disant impartialité de l’infrastructure intégrée en holding. Sur
ce sujet, la cour de Justice européenne donnera un avis courant 2012.
La
séparation n’a pas non plus mit fin à la guerre des chefs et des services qui
sévissait déjà auparavant, contrairement à la « grande camaraderie »
souvent évoquée. Elle a revanche mit le doigt sur les lignes à peu près
rentables et celles qui ne le seront jamais, sur les services plus très utiles
alors qu’ailleurs ont crie à la surchauffe, donnant lieu à de nouveaux débats
enflammés sur la place du rail dans une mobilité multiple et durable. Ainsi en Belgique,
seul le gestionnaire Infrabel produit quelques bénéfices : à l’époque de l’unitaire,
ceux-ci auraient tôt fait de disparaître dans les déficits du transporteur
national, la SNCB. En Allemagne, la DBAG a carrément refusé de donné à l’Autorité
Fédérale la ventilation d’utilisation
de 3 milliards de fonds publics. Le tribunal de Leipzig est saisi de l’affaire…
Fortement
décrié, le fait que transporteur(s) et gestionnaire d’infrastructure ne
communiquent plus entre eux, engendrant des disfonctionnement. On peut s’interroger
là si la volonté existe « de se parler » ou si certains profiteraient
de la situation pour démontrer « que rien ne va ». Il est en tout cas
aberrant que seul le transport ferroviaire soit encore incapable d’entretenir
des conversations normales en exploitation. On n’ose pas imaginer cela dans le
secteur maritime ou pire, l’aérien ! Ci-contre ; une rame Syntus aux Pays-Bas (photo mijngelderland.nl )
La fonction
statutaire des cheminots reste un volcan en ébullition permanente. En refusant
de filialiser le fret et certaines fonction, en focalisant les luttes sur les
seuls travailleurs, et non pour la clientèle, les syndicats font montre d’un
combat d’arrière garde. L’infrastructure, dont on a expliqué en première partie
qu’elle n’intéresse pas le marché vu ses coûts, ne pourra jamais être qu’un
service public géré par des agents statutaires. Tout au plus certains travaux
ponctuels et spécialisés peuvent-ils être entrepris par le secteur privé.
La question
très technique de la signalisation a revanche pris une tournure un peu
plus positive. Le travail technique fut tellement titanesque qu’il fut confié à
une agence européenne spécialement créée : l’ERA, sise à Valenciennes. Cette dernière a pour mission de
valider un nouveau concept de signalisation et de contrôle commande des trains,
l’ERTMS, dont la pierre angulaire, l’ETCS, doit permettre de « lire »
les autorisation de circulation à bord du train, selon un concept enfin
uniformisé pour toute l’Europe (voir a chronique sur l'ETCS à ce sujet). Une
fois encore, il s’agit ici de rattraper 50 ans de sous investissement en
infrastructure. Les prix d’implantation de l’ETCS, s’ils ravissent évidemment l’industrie
pour ce juteux marché, n’enchantent guère les réseaux dont certains ne voient
pas la plus-value du système et craignent même cet afflux espéré de nouveaux
entrants qui risquerait de saturer
rapidement leur réseau.
Quelques suggestions
L’interdépendance
rail-roue n’empêche pas le dialogue : un conducteur doit impérativement
alerter un centre de contrôle en cas de pépin, ce que font tous les pilotes et
autres commandants de bord de navires. Les tergiversations sur qui détient quoi
n’ont aucune raison d’être : gares, débords, parking, accès et bien sûr
les voies doivent être gérées par un gestionnaire d’infrastructure. Celui-ci
est le seul habilité à tracer les horaires et les proposer sur demandes des clients.
Les
transporteurs peuvent être des entreprises nationales ou régionales. Elles
payent un usage de l’infrastructure et occupent, dans les gares, les locaux
dont elles ont besoin. L’Etat peut imposer une priorité là où des devoirs sont
demandés. Là où une structure s’avère trop lourde, il peut être fait appel à un
concessionnaire privé à la gestion plus légère en tenant compte des souhaits
horaires du citoyen et de la sécurité des transports.
Enfin, une
seule autorité par Etat surveille l’ensemble et demande des comptes, dans le
style de l’OFT suisse. L’Etat – ou une région - intervient dans la tarification
destinée à un public fragilisé ou jeune. Elle remet annuellement un projet de
sillons disponibles, en fonction des travaux et d’autres contraintes
ponctuelles de tous les acteurs. Les agents, garant de l’impartialité, sont
tous personnel d’Etat.
Seule une
volonté politique adéquate et la compréhension de tous que plus rien ne sera
comme avant permettra d’avoir un chemin de fer actif plutôt que défensif dans
la mobilité plurielle d’aujourd’hui. Prêche-t-on dans le désert ?