Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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09/06/2012
L’après-guerre
avait vu la reconstruction de l’Europe se répandre sous le modèle économique
keynésien (de John Stuart Keynes, économiste de renom). Dans ce modèle, les
usines fournissaient à la chaîne les quantités nationales suffisantes en volume
pour remplir tout un train ou une péniche : c’était la période de
« l’offre », où l’on espérait tout vendre. Mais dans leur quête du
toujours moins cher, les industriels inversèrent peu à peu le rapport :
désormais la fabrication sera tirée « par la demande » ce qui
signifie une influence sur les quantités de fabrication. La notion de volume
s’effrite alors dangereusement car on ne fabrique dorénavant que ce qui est sûr
d’être vendu, quitte à ne transporter au jour le jour que des petites
quantités. Le mot est lâché : petite quantité est l’antithèse du chemin de
fer, son pire ennemi. C’est dans les années 70 et 80 que le modèle keynésien
perd peu à peu de son influence et fait place alors à une spécialisation par
usine. Ainsi, on ne fabrique plus un même produit pour un seul pays, mais une
seule usine se consacre à un seul produit pour toute l’Europe voire un pan
entier de la planète.
Comme
le consommateur devient très exigeant et demande davantage de références, cette
spécialisation des usines prend une ampleur sans précédent dans les années 80
tout en s’accompagnant d’une large financiarisation de l’industrie. Dans
l’intervalle s’annonce une ère nouvelle avec un curseur se déplaçant plus à
droite de l’échiquier politique et tournant le dos à l’Etat-Providence des
années 60 et 70. Ce décor planté explique pour partie les raisons du déclin du
fret ferroviaire.
La multiplication des références a fait exploser les voyages en petits lots par pallette (photo Alternate.com)
Il ne s’agit donc plus d’écouler des quantités pour maintenir le plein emploi, mais de ne fabriquer que ce qui est nécessaire. Les marchés nationaux devenant du coup « trop petits », les industriels quémandèrent plus de facilités pour passer les frontières et racheter – ou créer - dans un seul espace, des sociétés là où ils le veulent : l’Europe économique était née. Pour arriver à une masse critique rentabilisant une usine, fut mis sur pied tout un réseau d’entreprises interconnectées entre elles. Chaque usine fournit un ou des composants et l’ensemble est assemblé dans une seule entreprise de montage en bout de chaîne : le flux tendu était né et avec lui, la taille des usines de composants diminua drastiquement pour ne laisser qu’un vaste tissu de PME ou d’entreprises de moins de 500 travailleurs. Ce fut clairement un changement radical comparé à la grosse industrie des années 30 à 50, et ce ne fut pas sans répercussion sur le tissu social et syndical comme on le sait, mais il s’agit là d’un autre débat…
Il ne s’agit donc plus d’écouler des quantités pour maintenir le plein emploi, mais de ne fabriquer que ce qui est nécessaire. Les marchés nationaux devenant du coup « trop petits », les industriels quémandèrent plus de facilités pour passer les frontières et racheter – ou créer - dans un seul espace, des sociétés là où ils le veulent : l’Europe économique était née. Pour arriver à une masse critique rentabilisant une usine, fut mis sur pied tout un réseau d’entreprises interconnectées entre elles. Chaque usine fournit un ou des composants et l’ensemble est assemblé dans une seule entreprise de montage en bout de chaîne : le flux tendu était né et avec lui, la taille des usines de composants diminua drastiquement pour ne laisser qu’un vaste tissu de PME ou d’entreprises de moins de 500 travailleurs. Ce fut clairement un changement radical comparé à la grosse industrie des années 30 à 50, et ce ne fut pas sans répercussion sur le tissu social et syndical comme on le sait, mais il s’agit là d’un autre débat…
Parcellisation et flux tendus
Cette
nouvelle méthode d’industrialisation fut fatale aux chemins de fer : des
petites quantités, heure par heure, ne suffisaient plus à remplir un train, comme le montre l'exemple ci-contre où l'on voit que même la palette n'occupe pas toute la hauteur ! (photo Livraisons franpounais).
Pire, la demande fluctuant chaque semaine, il fallait souvent adapter les
capacités de transport au jour le jour. Or qui mieux que le camion s’adapte à cette
fluctuation ? Les chemins de fer ne vivent que sur la prévisibilité des
trafics, au mieux trois mois à l’avance, ce qui lui interdisait toute forme
d’adaptation, si ce n’est vers le bas (moins de trafic). Comme l’Etat était
justement occupé, dans les années 50 à 80, à s’équiper d’un réseau
(auto)routier performant, le chemin de fer et ses lourdeurs furent rapidement
mis en minorité et le transport routier rafla la majorité des contrats de
transports industriels. C’est l’aboutissement au monde tel que nous le
connaissons aujourd’hui avec ses files interminables de camions et un bilan CO2 abominable (photo ci-dessous Cargoblog).
Dans
le même temps, la vieille industrie du XIX siècle qui fit jadis la gloire du
rail – le charbon et l’acier – était promise au déclin du fait des conditions
de travail devenues inacceptables dans les mines à charbon, et surtout par la
transition du charbon vers le pétrole pour les besoins énergétiques de tous. Ce
même pétrole qui donna naissance à l’industrie du plastique pour remplacer peu
à peu tous les éléments « fer » qui faisaient le quotidien de nos
grands-parents, déstructurant davantage la filière fer-fonte-acier. Légèreté,
petits lots, éparpillement, surveillance des ventes, calcul de rentabilité à la
pièce, connexion inter-entreprises, tout a été fait pour promouvoir chaque jour
des millions de petits transports aux quatre coins de l’Europe, au détriment du
rail.
Du
côté législatif, cette logique industrielle ne fut possible que par la fin des
douanes et des contraintes étatiques. L’Europe politique pris à bras le corps
le relais des industriels et s’attela, pour y arriver, à une vaste
déréglementation des transports à commencer par le plus facile et le plus
rapidement modifiable : le secteur routier. En moins de quinze ans,
celui-ci passa du contingentement et de
la tarification obligatoire, au cabotage libre sans restriction dans tout
l’espace européen, Royaume-Uni inclus ! Un traitement analogue fut
administré au secteur aérien provoquant l’apparition des géants du colis que
son Fedex, UPS ou DHL, renvoyant au musée les poussiéreux services « colis »
d’un chemin de fer laissé pour compte… Une tentative de déréglementation du
rail eu bien lieu mais tardivement et fort timidement, en 1991 avec la
directive 91/440, alors que toutes les pièces du puzzle industriel moderne
étaient déjà en place. Il était donc trop tard….
Du
côté social enfin, l’ère post Etat-providence ne s’accommodait plus de l’emploi
garanti et hiérarchisé, pierre angulaire de l’époque keynésienne fortement
soutenu - pour ses généreux acquis - par l’ensemble de la gauche et du
syndicalisme européen. Or la fluctuation des demandes de transport
s’accommode très mal des choses figées
ce qui obligea tout le secteur, tant routier qu’aérien, à faire appel à la
seule main d’œuvre privée, nettement plus modulable sur les temps et période de
travail. A cela s'ajoute une utilisation très poussée des technologies de l'information et du scanning comme le montre le cliché ci-dessus (photo Sciencephoto). Cette modulation du personnel a bien sûr provoqué l'ire des partenaires sociaux qui parlent fréquement de dumping. Certains pays ont vu dans le même temps leur secteur routier se
différencier : le Nord de l’Europe dispose de grosses sociétés de
camionnage très offensives alors que l’Europe latine concentre une myriade de
petits indépendants « qui n’ont pour seules tartines » que leur
propre camion. Cette dichotomie aura une influence considérable…sur le rail,
dans le secteur intermodal, et nous y reviendrons dans une autre chronique.
Des méthodes à revoir
Conclusions provisoires
Avec
tout ce qui précède, fallait-il s’étonner de la chute des trafics et de la
fuite des chargeurs vers d’autres cieux aux meilleures conditions ?
D’aucun souhaiterait secrètement - voire
ouvertement – le grand retour de l’Etat pour réguler plus sévèrement le secteur
routier au même tarif – et acquis sociaux - que le service public. Ils
verraient aussi bien une action plus dirigiste obligeant les entreprises à
s’installer ici plutôt que là et, au passage, emprunter obligatoirement le
chemin de fer quelqu’en soit la qualité fournie. Cette forme de politique a
déjà été expérimentée durant quarante ans à l’est de l’Europe, avec le
« succès » que l’on sait. Il n’est donc plus question de cela aujourd’hui
et la liberté d’entreprise et d’usage des transports - sujet très sensible en Occident - ne permet plus aucun retour
en arrière. C’est donc aux chemins de fer à s’adapter et non l’inverse, le
citoyen ne tolérant plus les exceptions non justifiées qu’il doit par ailleurs
payer de sa poche. Certains exemples de ces dix dernières années, notamment
dans un renouveau ferroviaire qui émerge doucement, démontrent que le rail
dispose encore de vastes atouts. Les industriels commencent à le savoir, les politiques
aussi. L’espoir fait vivre…
A voir aussi : Chemin de fer : gouvernance, coûts et politique
A voir aussi : Chemin de fer : gouvernance, coûts et politique
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