Trains et vacances, les ratés du transfert modal
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire

Rendez-vous aussi sur la page facebook de Mediarail.be, ainsi que sur Twitter et LinkedIn
03/07/2012

C’est parti : comme chaque année, juillet-août entame la grande saison des transhumances nord-sud, où tout un chacun est à la  recherche de soleil là où il brille le plus : en Méditerranée. Beaucoup de citoyens du Nord prennent le chemin de l’aéroport pour rejoindre les rives ensoleillées à 2 ou 3.000 kilomètres de chez eux. D’autres vont moins loin et iront envahir le bitume du sud d’ordinaire plus paisible. Dans les deux cas, le bilan carbone est fatalement négatif et en dit long sur la soi-disant place écologique du train dans cette « culture des vacances ». Plusieurs rapports sur la question en attestent : la part modale du rail (en jaune ci-dessous) est minoritaire alors que les transhumances estivales promettent du volume. Alors pourquoi ?

Transhumance Nord-Sud
Les congés payés gagnés dans les années 30, conjugués au tourisme de masse dès les années 60, ont façonné le calendrier du travailleur européen : l’été, ce sont les vacances. Le rush en direction du sud oblige les politiques à s’adapter à cette nouvelle culture. Les chemins de fer aussi. Au début des années 70, l’autocar a encore mauvaise presse et ne dispose pas encore d’un réseau routier moderne. L’avion, lui, se démocratise mais échappe encore au tourisme de masse tel que nous le connaissons aujourd’hui. On remarque donc dans les horaires d’époque tout une kyrielle de train de nuit reliant le Nord aux plages du Sud. Ou plutôt aux « gares du Sud ». Aussitôt débarqués dans ces dernières, il vous fallait encore se débrouiller pour rejoindre l’hôtel ou le camping qui forcément ne sont pas à côté (photo ci-dessous) ! Le tout avec armes et  bagages et enfants sous un soleil de plomb…Ce fameux dernier kilomètre – en dehors de toute gestion ferroviaire – fut l’argument massue qui démontra très rapidement les limites des vacances en train. Et pendant ce temps, la construction du réseau autoroutier avançait à pas de géant.

Au loin, le village
Car les vacances, pour beaucoup, ne commencent qu’à l’arrivée sur place. Dans cette ère consumériste qui se répand de manière fulgurante, désormais on ne voyage plus, mais on se déplace. La nuance est de taille et au diable le moyen de transport, au plus vite au mieux. Ce « détail » du dernier kilomètre est alors devenu le critère numéro un du choix modal. Chacun a son village toscan, son camping provençal ou sa plage espagnole préféré, mais tous ces lieux bucoliques sont assurément bien loin des gares voire, pour beaucoup, dénué de toute forme de chemin de fer. San Gimignano, Saint Paul de Vence, Les Baux de Provence ou Cadaquès, tous ces lieux ont une accessibilité ferroviaire égale à nul, si ce n’est par trekking ou vélo-cross sous 30° pour amateur du genre… Même en arrivant à Avignon-TGV, on est en réalité encore nulle part.

D’aucun rétorqueront qu’il y a des correspondances par trains régionaux et des autocars modernes reliant ces lieux de villégiatures. Or les vacanciers ne logent jamais au sein de ces villages très touristiques et souvent bruyants, mais bien à plusieurs kilomètres de là. L’utilisation des transports publics devient alors un véritable sacerdoce et les vacances se transforment en un safari minuté, tout l’inverse de l’insouciance estivale recherchée. Seul un public plus sportif voire bohême, armé de tente pour le camping sauvage, y trouvera son compte. Et il n’est pas rare d’en voir faire de l’auto-stop, rattrapés par la lassitude de la marche à pied sous le soleil de midi….

Hôtels, campings et lieux de visite ne correspondent à aucun plan de transports publics dont la plupart ne sont pas conçus pour le tourisme mais bien pour les besoins locaux des habitants, ce qui est compréhensible. Dans ce contexte, fallait-il s’étonner de la place monopolistique de la voiture dans le monde des vacances.




Les bagages, ce « petit détail »
La question des bagages (photo ci-contre) est l’autre critère du choix modal, tout particulièrement chez ces dames. La question hante depuis toujours les concepteurs du matériel roulant à quoi s’ajoute un critère psychosocial imparable : le public accepte de bonne grâce les contraintes de l’avion mais refuse toute mansuétude aux chemins de fer, où circule encore l’idée que la taille des valises est sans limites. Ce n’est qu’en s’installant dans un compartiment couchettes qu’on se rend compte des limites du  rail, comme l’illustre le cliché ci-dessous où deux valises + un sac valent pour six personnes ! Dans les TGV nouvellement décorés il y a bien quelques emplacements prévus mais ils sont vite saturés et les ICE de nos voisins allemands n’ont pas non plus été conçus pour embarquer de grandes quantités de valises. Une fois encore, la généralisation des breaks puis des mono volumes dès les années 90 a rapidement orienté le candidat vacancier vers un choix modal exclusivement routier lorsque le rayon ne dépasse pas les 1.400 kilomètres de trajet. Et tout cela sans compter un troisième effet.







Rurbanisation Nord-Sud
C’est par millions que des citoyens vivent en Europe dans des lotissements « pavillonnaires », comme l’on dit en France, c'est-à-dire des quartiers bâtis en zones rurales d’où le nom de « rurbanisation ». Ce modèle de lieu de vie est dominant dans un croissant s’étendant de Manchester à Bologne, et le sud de l’Europe a également pris le pli, certaines régions plus que d’autres. La rurbanisation méditerranéenne combine en outre l’habitat local avec des logements destinés à la seconde résidence. Point commun entre les rurbanisations du Nord et du Sud : l’éloignement de ces logements par rapport aux gares. Conséquence : beaucoup de vacanciers se retrouvent dans le sud dans un environnement similaire au leur, des résidences éparpillées avec le soleil en plus. Cela implique que les habitudes de vie qui privilégient déjà la voiture tout au long de l’année se répètent aussi durant les vacances. Dispersion de l’habitat et habitudes des déplacements se conjuguent alors parfaitement pour ignorer le train, et répondent par la même occasion à la problématique des bagages et du « dernier kilomètres ». La boucle est bouclée où l’on se rend compte in fine que ce qui intéresse par-dessous tout les vacanciers, c’est de transposer leur mode de vie à 1.200 kilomètres sous le soleil et au bord de la piscine. Dans ce contexte, le transfert modal en faveur du train s’est révélé être un flop total. Et pourtant il y eu des tentatives. 

Vacances en train : diversités des formules 
Sur environ une vingtaine d’années, de 1970 à 1990, la formule tour-opérateur « all inclusive » s’essaya au train. Railtour en Belgique, FTS en France et TUI en Allemagne lancèrent des trains spéciaux d’agence pour une clientèle exclusive et prise en charge. Les convois étaient loués aux chemins de fer sauf chez TUI qui acquit son propre parc. La traction était bien entendu celle du service public tout autant que le contrôle du train. Seul un bataillon d’hôtesses et l’accès réservé différenciaient ces trains là des autres, comme le montre ci-dessous cette image d'archive du belge Railtour. Ce dernier avait même pensé à intégrer dans ses trains un fourgon à bagages pour soulager la clientèle de cette acrobatie nécessaire pour rejoindre son compartiment.


A l’arrivée le matin, des autocars éparpillaient la clientèle vers leur destination finale. Avantage : on ne s’occupe de rien, bagages et « derniers kilomètres » sont compris dans le prix. Désavantage : il faut rejoindre une gare de départ par ses propres moyens et sur place, on est bloqué sans possibilité de visites aux alentours si ce n’est par taxi ou excursions payantes, quand elles existent.. Cette formule « all inclusive » fut rapidement proposée par les tour-opérateurs « avions », y compris pour des distances courtes comme Rimini ou la Costa-Brava. Lorsque les taux d’intérêts baissèrent et permirent l’acquisition de seconde résidence, le marché tourna rapidement au logement locatif et la clientèle se détourna des formules « all inclusive » hôtelières devenues de plus en plus chères. FTS, Railtour et TUI tentèrent bien une percée sur le locatif mais l’éparpillement des lieux de villégiature était tel qu’il n’était plus possible d’organiser à l’arrivée un transfert par car rentable vers des destinations aussi variées. De plus, bien que gérant eux-mêmes leur politique commerciale, ces voyagistes étaient confrontés aux tarifs ferroviaires du service public, notamment les épouvantables suppléments à tout crin selon l’occupation du compartiment : de 15€ la couchette et de 36 à 60€ le lit en voiture-lit, l’addition pouvait être salée. Privés d’arguments commerciaux face aux facilités de la voiture particulière, malmenés par certaines rigidités du service public, les trains d’agence déclinèrent au milieu des années 90. Certains existent encore aujourd’hui sous forme de purs charters ne circulant que quelques fois par an, principalement sur le marché des sports d’hiver où la voiture est moins – voire pas du tout - nécessaire sur le lieu de séjour.

Une autre tentative – et relative réussite – a toujours lieu de nos jours : les Trains Autos Couchettes (TAC). Disparus de Belgique et du Nord de la France suite au « self-supporting » (1), ils continuent toujours de s’élancer de s’Hertogenbosch, aux Pays-Bas, et d’Allemagne vers St Raphaël, Narbonne, Alessandria, Livourne et l’une ou l’autre destination estivale. Le réseau autrefois touffu est porté aujourd’hui par la seule Allemagne qui y croit toujours, au travers de ses « Autozug ». Les Pays-Bas eux laissent l’exploitation aux soins de la firme privée EETC, la traction dans les deux cas restant aux mains du service public sauf en Italie (voir notre chronique avec Arenaway). Le « TAC » a l’avantage suprême de pouvoir emmener avec vous votre propre véhicule, qui voyage sur des wagons portes-autos type DDm accrochés derrière les voitures-couchettes, comme l’illustre la photo ci-contre. A l’arrivée le matin, vous récupérez votre véhicule avec lequel la problématique des bagages et des « derniers » kilomètres trouve ici sa meilleure solution : vous avez les bagages que vous voulez dans votre coffre et la destination qui vous convient, fusse-t-elle à 200 kilomètres. Une formule qu’on aurait pu voir « explosé » s’il n’y avait le prix. Test de votre serviteur avec ce Düsseldorf-Villach, pour rejoindre la Croatie : 1.100€ aller-retour pour 4 personnes et une voiture (prix 2011), auxquels il faut bien-sûr ajouter les frais de séjour. Pas donné dans un contexte actuel où l’aviation low-cost démontre qu’on voyage pour presque rien, moyennant certaines contraintes…

Plus traditionnelle, la formule « train + auto » est une initiative de longue date. Aujourd’hui, il suffit de débarquer à certaines grandes gares et de prendre possession d’un véhicule loué. Si la formule est pratique, elle ne résout pas la problématique des bagages, et cette solution pourtant écologique est tout sauf low-cost. Test de votre serviteur avec réservation deux mois à l’avance : 600€ pour un Bruxelles-Avignon 2 personnes et cinq jours de location auto. Pas vraiment donné s’il faut ensuite ajouter le séjour. Ce qui nous amène à nous interroger sur les clientèles visées.

Quelle clientèle-cible ?
Tout ce qui précède le démontre : la clientèle familiale est devenue le parent pauvre du marketing ferroviaire. Les contraintes réclamées ne permettent en effet pas de répondre aux désidératas des familles chez qui le prix et certains détails clés déterminent le choix modal. Or les familles restent majoritaires sur le marché du voyage. Aussi le train est-il d’aventure un choix de transport individuel où l’on retrouve pêle-mêle ceux qui ont un point de chute sur place, et une clientèle plus « bohême-boy scout », voire sportive. Dans les deux cas, les contraintes bagages et dernier kilomètre ont peu d’impact ou sont pris avec « philosophie ». Il ne faut dès lors pas s’étonner de ce paradoxe estival qui consiste à observer des trains bien rempli mais en faible quantité : les neuf allers-retours Milan-Rimini ou Paris-Nice (2) ne videront à coup sûr jamais les autoroutes où domine la clientèle familiale, mais répondent probablement à la clientèle individuelle plus minoritaire.

Une observation que l’on retrouve aussi du côté de la concurrence aérienne. Dans les airs comme sur les rails, les directions commerciales font surtout remarquer l’impossibilité de répondre aux pointes estivales au niveau matériel : il faudrait, pour satisfaire un transfert modal notable, acquérir une quantité impressionnante de matériel pour une utilisation limitée à deux mois par an. Combien de rames TGV Duplex ou de voitures-couchettes faudrait-il pour retirer ne fusse que 10% des 76.000 véhicules quotidien du Brenner ou des 165.000 de l’A7 du samedi sur Lyon-Orange (3), sachant qu’un seul véhicule équivaut à 3 personnes en moyenne ? Environ 91 TGV Duplex (4) sur une LGV que RFF qualifie de saturée ! Peine perdue donc d’espérer un transfert modal notable lors des pointes estivales, d’autant que le chemin de fer fonctionne sur la prévisibilité et que le poids des actifs y est énorme.

Ce qui finalement fonctionne le mieux pour le train, c’est le « city-trip », très en vogue, où le séjour en ville assez court oblige à prendre l’hôtel. Etalé tout au long de l’année, ce tourisme là est une cible privilégiée du rail et fait les beaux jours d’Eurostar, Thalys, Thello et autre Railjet. C’est donc sur des quantités constantes que peut se forger la force du chemin de fer, pas sur de grosses vagues temporaires.


En guise de solutions
Les chemins de fer le proclament à tout va : la coopération est de loin la meilleure solution. Oui, mais laquelle ? Car on parle ici de collaboration « inter-ferroviaire ». Or, c’est une collaboration « inter-mode » qui doit être privilégiée et qui seule pourrait amplifier un semblant de report modal : en clair, entre le train et l’auto principalement. Mais ce type de collaboration pose immédiatement des limites : les industries ne sont pas les mêmes et les cultures non plus. S’agissant des 10% théoriques de retrait des véhicules de l’A7, on en arriverait à ce qu’un loueur propose 16500 locations chaque samedi, ce qui est totalement hors de propos. De plus, si cette théorie soulagerait un peu l’A7, elle n’est aucunement une solution aux encombrements et interminables parking qui jalonnent les routes d’accès vers les « plus beaux villages de Toscane » ou de France. Impasse donc…

Par ailleurs, le marché locatif de seconde résidence, modèle dominant dans la proche Méditerranée (France-Espagne-Italie), ne permet aucune solution viable sans véhicule privé, à quelques exceptions près. Un coup de pouce fiscal auprès des utilisateurs du TAC pourrait lui redonner un second souffle pour autant que les méthodes de production de cette formule soient revues et modernisées, un peu à la façon d’Eurotunnel (photo ci-dessus, Autozug à Saint Raphaël). Des horaires adaptés « à la remise des clefs » qui s’effectue chaque samedi entre 10 et 16h pourraient aussi ramener vers le train une clientèle figée « sur les détails pratiques». Cela sans compter une politique tarifaire plus appropriée aux familles avec enfants et bagages, mais on peut toujours rêver...

Des exemples ? Lire le billet d'Olivier Razemon : la galère du touriste sans voiture (01/08/2013)
A voir : la video de Mediarail sur les Trains Autos Couchettes
A voir : Bruxelles-Vienne en voiture-lits (1996)

(1) L’obligation de transport du temps de l’ancienne COTIF a été abrogée de sorte que chaque transporteur supporte aujourd’hui l’intégralité des coûts sur le(s) réseau(x) voisins, y compris les nombreuses manœuvres de mise à quai
(2) sur base de l’horaire du 14 juillet 2012
(3) sur base des chiffres http://routes.wikia.com
(4) détail du calcul : 10% = 16.500 véhicules x 3 personnes = 49500 voyageurs / 545 places par Duplex = 91 rames

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------