Le 4e paquet ferroviaire, c'est quoi au juste ?

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 
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Le 4e paquet ferroviaire est une énième initiative de la Commission Européenne destinée à légiférer les chemins de fer des Etats membres. Il fait suite à la diffusion du Livre Blanc du 28 mars 2011. Après la libéralisation du fret en 2009, puis celle des services voyageurs internationaux en 2010, "Bruxelles" s'attaque au dernier morceau, le plat consistant : les services intérieurs. Où en est-on dans le cheminement législatif et technique ?

Des Directives par paquets
Le premier paquet ferroviaire, datant de 2001,  était composé de trois directives  portant sur les infrastructures et complétant les directives de 1991 et 1995, qui avaient été lancée de manière disparate. Ce paquet s'inspirait des insuffisances de la directive 91/440 et du consensus des décideurs sur l'analyse d'un tout premier Livre Blanc, celui du 30 juillet 1996. Il faut savoir qu'en dépit de la 91/440, rien de très neuf ne s'était passé dans le monde feutré du chemin de fer, qui vivait toujours en vase clos à l'aube du 21ème siècle alors que les autres modes de transports concurrents prenaient le virage de la croissance et de la baisse des tarifs. Face à ce constat, l'Europe décida de "réveiller" le dinosaure ferroviaire.

Le deuxième paquet fut consacré à la libéralisation "réelle" du fret ferroviaire - déjà demandé par la 91/440 - et qui devint effectif dans l'Union en 2009. Il comportait un ensemble de cinq mesures, proposées le 23 janvier 2002 et adopté en avril 2004 par la Commission européenne, qui font suite à la publication d'un second Livre Blanc, celui de 2001.

Ce troisième paquet fut non pas une proposition de la Commission, mais du Parlement européen (PE), qui exigeait un complément de garanties avant de voter le second paquet précité. Une sorte de bras de fer pour démontrer que la Commission devait cesser de jouer cavalier seul et devait tenir compte désormais du Parlement européen dont les pouvoirs venaient d'être renforcé par la signature du deuxième traité de Rome, celui dit « de la Constitution européenne », le 25 octobre 2004.

Etait donc mis sur papier tout un arsenal législatif sensé amélioré la gouvernance du rail, de donner des règles claires aux nouveaux entrants, à définir certificats de sécurité à pourvoir, à la certification des conducteurs et du matériel roulant, etc. Alors que la directive 91/440 ne permettait que quelques trains privés de conteneurs sur des axes bien définis, les trois paquets finalisés permettaient théoriquement d'effectuer à partir de 2010 tous les trafics....sauf régionaux de voyageurs. L'Italie fut le premier pays (si on excepte le cas anglais) a tenter l'expérience de la libéralisation avec un certain succès (voir notre chronique à ce sujet).

La technique, passage obligé
Mais si les aspects juridiques sont une chose, tout autre est la pratique sur le terrain. Car le chemin de fer, s'il est bien un outil de transport, est surtout une vaste machinerie technologique. Les technocrates de Bruxelles l'avait probablement oublier d'autant que notre époque a davantage mis les juristes et les financiers au devant de la scène, les ingénieurs n'occupant plus que le back-office ! L'utilisation de l'énergie électrique peut s'avérer écologique mais demeure extrêment pointilleuse quant à son exploitation. Pour éviter des courants vagabonds venant saccager les moteurs de traction ou les équipements de signalisation, il est fait usage d'une montagne de règles techniques destinées à parer au moindre incident. Chaque pays ayant trouver "ses" solutions, le passage d'une locomotive d'un pays à l'autre devenait impossible. La signalisation, qui comprend la détection des trains sur les rails - élément phare de la sécurité - est aussi encadré par un fleuve de règlement destiné à sa protection et éviter les incidents. Toutes ces incompatibilités entre réseaux ne faisaient entrevoir aucune amélioration possible d'une europe ferroviaire sans frontière, en dépit de l'arsenal législatif. Une horreur pour des juristes peu habitué à manipuler le tournevis.

Devant ces murs techniques, la Commission tente alors d'encourager la normalisation technologique. Un travail de titan où l'on pointe avant tout un secteur prioritaire : la signalisation. Les différences de courant à la caténaire, autrefois vécus comme obstacle, ne sont dorénavant plus un problème majeur avec la traction moderne. On se concentre donc sur une signalisation normalisée qui accouche de l'ERTMS (European Rail Traffic Management System). Sa complexité donna naissance à une agence destinée à la concevoir et à gérer toutes les versions du logiciel :  c'est l'ERA (European Rail Agency), créée en 2004 et sise à Valenciennes. L'ERTMS, qui comprend deux niveaux d'ETCS, ne pris un caractère obligatoire que pour les nouvelles constructions de lignes, TGV en tête, mais avec des exceptions notoires. Coup double pour tout le monde : l'Europe favorise ainsi le passage des frontières, et les réseaux nationaux ont l'occasion rêvée de moderniser une signalisation qui date. Devant l'énormité du travail et les interrogations quant à une telle nécessité sur toutes les lignes ferroviaires, un réseau calqué sur les RTE-T fut conçu pour être doté du nouveau système en priorité selon un calendrier à géométrie variable, où la Commission offre une petite aide financière.

Cette libéralisation partielle du rail fut l'occasion d'une vaste restructuration de l'industrie ferroviaire, à l'initiative cette fois du secteur, et non de la Commission. Il en a résulté une forte concentration des acteurs et la domination de trois majors que sont Siemens, Alstom et Bombardier, suivi par une petite série de challengers. Nouvelle industrie + nouvelles normes de signalisation engendrèrent l'appartion de locomotives enfin interropérables, dotées de l'ETCS et vendues sur catalogue dans toutes l'Europe. Tout cela n'aurait pas eu lieu avec le chemin de fer de jadis, où la priorité était de satisfaire l'emploi national, peu importe qu'il y ait des clients ou pas.

Le quatrième paquet
La technique se réglant petit à petit, il convenait de s'attaquer au dernier gros morceaux : les services de transports régionaux. Le principe ne consiste pas à dédoubler un trafic existant, mais à faire gérer un réseau ou une ligne par un acteur unique en monopole - privé ou non. Les concessions peuvent durer 8,10,...15 ans selon l'autorité organisatrice. Ce système est donc en concurrence frontale avec l'actuel service de train régional, semi-direct ou omnibus. En 2012, seuls certains pays avaient depuis longtemps libéralisé en tout ou en partie leurs services régionaux, comme les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie ou le Royaume-Uni. Tous les autres réseaux vivent encore aux rythmes de la société d'Etat en monopole. 

C'est ici que se greffe ici la grande question du graphique horaire : les trains régionaux, nombreux, sont protégés par le monopole et restent prioritaires, le fret devant se contenter de se faufiler dans les créneaux restants, nuisant selon ses promoteurs à la qualité du marché. C'est sur ce point que se cristalise la responsabilité des circulations, de la maintenance et de la consistance du réseau : faut-il conserver la gestion au sein du transporteur dominant et protégé, ou la placer chez le gestionnaire de l'infrastructure, ou encore l'isoler indépendamment dans un ministère ? C'est toute la question et il n'y a pas de religion toute faite en la matière. Les entraves sournoises à l'entrée de concurrents restent on ne peut plus d'actualité (1). Et toutes les architectures édifiées dans chaque Etat n'ont pas réussi à démontrer la stricte impartialité des "graphiqueurs" par rappport au transporteur historique, à quelques exceptions près. 

Toujours est-il que certaines concessions privées régionales ont pu démontrer qu'avec des subventions moindres, il était possible de servir la clientèle avec du matériel moderne et des actions commerciales plus proches du 21ème siècle. Absence de l'Etat ? Que neni ! Infrastructure et régulation restent des entités du service public. Le quatrième paquet devrait théoriquement clarifier toutes ces choses.

Il se trouvera toujours une certaine presse pour dénoncer le moindre écart et beaucoup de nostalgiques pour regretter le chemin de fer de jadis. Mais ceux-là ne trouvent aucune explication sur la chute vertigineuse dans les parts de marché de la mobilité, si ce n'est le manque d'argent, qui n'explique pas tout. Or l'Etat ne changera pas ses habitudes, et l'heure n'est pour l'instant plus aux rêveries délirantes d'un Grenelle. Alors, à choisir, tentons autre chose pour remettre le rail au niveau qu'il mérite...

(1) Voir le cas français dans cette condamnation de septembre 2012 et une analyse du cas allemand


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