La proximité plutôt que la grande vitesse

L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation 
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Coup dur pour les aficionados du TGV : celui-ci ne serait plus en odeur de sainteté en France après plus de 30 ans de croissance ininterrompue. Non pas que l’enthousiasme qui fit suite à septembre 1981 est retombée, mais surtout parce que la politique française ferroviaire fût clairement duale et que la fracture, aujourd’hui, prend une tournure politique sur fond de crise. Autopsie.

Le tout TGV
La SNCF des années 80 et 90 fût celle d’une époque, celle de François Lacote ou Jean-Marie Metzler, promoteurs du TGV à grande échelle dans une France qui bombe le torse en matière de technologie ferroviaire. Les directions qui se succèdent au gré des coalitions politiques vantent « LE » produit SNCF, celui qui permettra de la hisser au premier rang mondial. Dans le même temps, l’Hexagone se désindustrialise discrètement et les visionnaires ne débordent pas d’optimisme sur le secteur du fret, qui est largement sous-capitalisé.  A l’époque, la SNCF tance une DBAG moins engagée dans la grande vitesse, et l’historique montre en effet que la première période de la grande vitesse est davantage française que germanique.


La France à l'époque de l'expansion du TGV (photo cc flickr Marsupilami92)

Outre-Rhin, la désindustrialisation fût moindre et le pays se portait relativement bien, lorsqu’il dû avaler d’une traite les territoires et les populations de l’Est après 50 ans d’expérience communiste. La note fût salée, mais l’Etat repris toute la dette de la DBAG en échange d’obligations comme par exemple la fin des engagements statutaires et l’ouverture du réseau à quiconque.  La nouvelle DB, devenue DBAG (SA en droit français ou belge) adopta une gouvernance sous forme de holding dont nous avons déjà parlé dans un autre billet (1). Tout cela pour dire que le focus de la DBAG ne fût pas seulement la grande vitesse par le biais de son ICE, mais qu’elle se concentra aussi sur le trafic de proximité et le fret, lui donnant au fil des ans l’envergure dont elle dispose aujourd’hui. Preuve s’il en est : le rachat complet des branches frets danoises et néerlandaises, sous la bannière Railion d’abord, DB-Schenker ensuite. En matière de proximité, les S-Bahn d’antan se sont étendus et de l’ordre fût mis dans l’exploitation des « RE », train régionaux oscillant entre l’omnibus et le semi-direct.

On ne peut comparer la géographie de l’Allemagne et de la France. Si la première est parsemée d’un chapelet de villes grandes ou moyennes tous les 50 à 100 kilomètres, tel n’est pas le cas dans un Hexagone toujours centré sur Paris où les grandes villes sont distantes de 200 à 400 kilomètres. Le TGV point à point avait donc toute sa pertinence et la réussite du « système » a prouvé que c’est bien de cela dont avait besoin la France. Mais la politique du point à point centré sur Paris signifiait aussi une attention moindre portée aux correspondances. Ces dernières demeurent essentiellement des TER pour lesquels la SNCF ne porta son effort que sur le matériel roulant, renouvelé dans les années 90 et surtout 2000. La culture des «blancs travaux » rendit cependant caduque une politique d’offre et d’abondance. L’auteur de ces lignes peut encore témoigner d’une Côte d’Azur 2010 quasi sans train entre 10h30 et 12h00, en plein mois d’août alors que la région compte plusieurs millions de personnes, estivants inclus ! L’affaire aurait été résolue depuis, nous dit-on… Dans le même temps, de plus en plus de voix ont remis en cause les vertus du TGV sur l’économie régionale, dont on ne perçoit pas réellement ni le sursaut ni l’apport qui lui étaient pourtant promis (2).
La carte quasi actuelle du réseau LGV en Europe

D’autres priorités
Le basculement 2013, amorcé depuis 2007, vient surtout d’une nette dégradation du transport francilien, qui fait à lui seul une bonne partie de l’actualité ferroviaire. Ajouté à la crise des investissements et des deniers publics, le futur du rail français se conjugue par un recentrage sur le strict nécessaire d’ici 2030. La Commission 21, un organisme chargé de faire le tri dans les 245 milliards de travaux prévu dans le SNIT, a remis en juin 2013 ses priorités au gouvernement, qui devra faire – et assumer – ses choix. Le tout sur fond de recentralisation de la SNCF et de RFF et de l’adéquation de la gouvernance ferroviaire française avec le futur 4e paquet de la Commission européenne.

Début 2012, RFF a lancé avec le Syndicat des transports (Stif), la région Ile-de-France et la SNCF, un programme de modernisation des voies ferrées franciliennes de plus d'un milliard d'euros sur 4 ans, ce qui n’est pas rien dans le contexte actuel très difficile au niveau des finances publiques (3). De plus, les travaux ne concernent pas seulement la maintenance mais la régénération complète de certains tronçons, obligeant à adopter des baisses de vitesse temporaires et donc de fluidité des lignes de banlieues. Des nœuds importants comme Bordeaux ou Lyon bénéficieront également d’un rattrapage de 20 années de sous-investissement.  Est-ce la même chose ailleurs ?

Assurément oui. En Autriche, on creuse le Wildschweintunnel  sous Vienne pour relier enfin les réseaux ferrés de l’Ouest avec ceux du Sud, via une toute nouvelle gare Centrale en construction sur d’anciens terrains de celle…du Sud (Wien-Südbahnhof). La liaison bénéficiera à tous les trains, tant express que régionaux que marchandises. En Belgique, l’accomplissement du projet TGV dans le cadre des traités internationaux a été scellé en 2009, avec quatre lignes ouvertes à 300km/h. Exit donc les dossiers à grande vitesse et place à la proximité, avec la construction difficile d’un RER qui prend peu à peu sa place dans le paysage ferroviaire belge (4). En Italie, le réseau à grande vitesse TAV forme maintenant un « T » qui fait office d’accomplissement du projet, même si d’autres tracés sont encore en discussion. L’Espagne, prospère il y a peu et déconfite aujourd’hui, a accompli le plus gros kilométrage de grande vitesse nationale d’Europe. Ses gares préhistoriques, entièrement reconstruites, bénéficient maintenant aux Cernanias, les trains locaux ibériques. La Grande-Bretagne cumule la grande vitesse via le projet HS2 entre Londres et Manchester, avec trois projets majeurs de proximité dans la capitale : l’Overground (une boucle RER terminée), Thameslink (renouvellement d’un axe Nord-Sud) et surtout Crossrail, un nouveau tunnel Est-Ouest de Canary Warf à Heathrow.

L'Allemagne s'était déjà engagée dans le rail de proximité (Berlin-Hbf, photo cc flickr kaffeeeinstein)

Le début d’une nouvelle ère ?
Alors, exit la grande vitesse toujours qualifiée de prestige par certains grincheux ? Pas vraiment. Mais d’une part l’idée du couple auto + TGV s’évanouit au vu des difficultés grandissantes d’accès aux gares par voiture particulière. C’est aussi le constat d’une clientèle TGV plurielle dont une partie voudrait bien se passer de motorisation individuelle pour des motifs variés. C’est donc le grand retour des correspondances régionales/TGV adaptées, une idée cependant encore rejetée par une certaine clientèle armée de valises aux manipulations difficiles et très rétives aux correspondances, fussent-elles les meilleures.

D’autre part, l’idée funeste mais ô combien réelle du « TGV qui rapporte des sous » et du trafic banlieue qui « en perd quotidiennement » a enfin été compris par l’homme politique. Qui a pris acte de l’impossible recouvrement des coûts par les seuls tickets, et qui paye pour subventionner ! Avec des moyennes d’augmentation de la clientèle de 3 à 5% par an, le train de proximité bénéficie maintenant d’une attention particulière après trente années de dédain. Le développement durable est aussi passé par là et a traversé les têtes. Certains pays sont plus en avance que d’autres et se sont engagés dans de gros travaux. Une tendance de fond bienvenue, jusqu’à la prochaine révision du planning…

A propos du TGV : Eurostar


(1) A relire : la holding allemande, une solution pour ailleurs ?
(2) A relire : Effet TGV, impact mitigé : retour au réalisme ?
(3) Voir cet article, entre autres
(4) A relire : le RER bruxellois, des origines à aujourd’hui
L'option française de Mobilité 21(du 27 juin 2013) : lien vers le rapport et sa synthèse