Le RER bruxellois : des origines à aujourd’hui
L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation
L’analyse de Mediarail.be
Archi commenté en Belgique, méconnu ailleurs, le projet RER dans et autour de Bruxelles n’en fini pas d’étendre ses échéances. Comme c’est le boulot de votre serviteur de participer concrètement au projet, le moment était venu de faire le point sur les tenants et les aboutissants du plus vaste chantier d’infrastructure après le TGV.
A l’origine
Les remises en cause des missions du rail entamées dans les années 80 sous la tutelle De Croo (père) avaient orienté la SNCB à délaisser le transport de proximité, plus connu sous le nom d’omnibus. L’arrivée en juin 1984 du plan IC-IR consacrait non seulement un recadrage très net du réseau mais remettait sur le tapis la problématique des omnibus, très déficitaires, coupables d’engendrer les plus fortes pertes et d’enquiquiner la fluidité du trafic direct. Mais s’ajoutait surtout un autre débat en priorité majeure qui était l’arrivée du TGV-Nord en Belgique et tous les soubresauts communautaires et financiers qui l’accompagnèrent. La fin des années 80 fût l’époque d’une certaine vision : celle du train régional connecté au TGV européen. Le trafic local n’est plus débattu ni aux chemins de fer ni au niveau politique. Sauf que…
Le RER en guise de sucette
L’arrivée du TGV fût l’objet d’âpres discussions entre opposants et pro, avec son cortège de déversements médiatiques alignant projets et contre-projets. Pour éteindre l’incendie, le ministre des Communications Jean-Luc Dehaene sort à l’automne 1989 un cadeau bonus pour faire accepter le TGV : le plan STAR21. Dans cette brique très évasive, figure l’énonciation d’un réseau express régional autour de Bruxelles. Une idée tactique issue de la grande maison pour faire taire définitivement les opposants au TGV. Et déjà une idée de calendrier derrière la tête : rien ne se fera avant que le réseau à grande vitesse ne soit terminé. C’est exactement ce qui se déroula…
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2005 et un autre monde
La SNCB unitaire poursuit comme prévu son programme TGV. A l’extérieur, des bureaux en mobilité planchent sur un concept de trafic et de correspondances RER/bus/métro. Les ministres successifs s’accordent sur trois législatures pour trouver le financement RER nécessaire en dépit d’une SNCB exsangue. Surtout, de savants dosages communautaires et tactiques doivent être élaborés afin de rassurer STIB, De Lijn et TEC pas chaud du tout devant cette concurrence bruxelloise à peine déguisée. Mais le comble à venir vient des bruxellois eux-mêmes qui craignent, sur base d’une étude de 2003, que le RER ne facilite la fuite de quelques 6.000 ménages catalogués classes moyennes, au grand dam d’une capitale en voie de paupérisation avancée et de recettes fiscales en chute libre. Pour une fois, ce n’est plus la SNCB qui fait traîner les choses…
Vers 2004-2005, il devient acquit que l’intégralité du réseau TGV est finalisé ou en voie de l’être. La fin des grands travaux ? Lors de la scission du chemin de fer en février 2005, l’idée vient de se servir de la filiale d’étude TGV TUC RAIL, qui aurait dû être dissoute, pour entamer concrètement les chantiers RER dont le génie civil et les expropriations ne sont pas une spécialité des cheminots, comme ce fût le cas pour le TGV. Réorganisée à l’aune du nouveau paysage institutionnel ferroviaire, la filiale d’Infrabel (1) se met à la tâche dès 2007-2008 et effectue les premiers repérages. L’affaire est lancée, dix-neuf ans après STAR21…
Le projet en bref
Huit lignes principales démarrent de Bruxelles et s’évadent dans les deux Brabants : dans de nombreux cas le dédoublement des voies s'avérait inévitable. Et ce qui est de pure technique ferroviaire devînt comme de coutume l'objet de tensions politiques. Particulièrement chez les écologistes qui ne digèrent jamais le béton et préfèrent le recyclage, parait-il moins cher mais pour quelle croissance ? C'est qu'un RER ne peut se concevoir sans séparer - une nouvelle fois - les trafics : les lents sur le côté, les rapides au centre. Telle fût déjà la philosophie utilisées pour deux lignes du RER qu'empruntent les TGV : la L96 depuis Halle et la L36 depuis Louvain (Leuven), dessinées en bleu ci-dessous.
En rouge, trois autres grands axes non TGV devaient donc se mettre à quatre voies : les L50A, L124 et L161. En noir, les autres lignes qui n'ont pas besoin de travaux d'importance mais qui intègrent le schéma imaginé par la task-force en 2005. Parmi les gros ouvrages d'art, le tunnel Josaphat reliant la gare Schuman à Meiser est le plus grand, et situé en plein ville. En 2013, tous les chantiers en rouge ci-dessus étaient en route voire pour certains en voie de finition. On notera les délices du communautaire avec un permis non délivré à Linkebeek pour cause d'information unilingue (en orange). La ligne L124 demeurent la moins avancée...
Rattraper 40 ans de sous-investissements
Le RER n’est cependant pas le seul chantier à charge du gestionnaire d’infrastructure : Infrabel. Alors que s’officialise la fin du dossier TGV (en 2009), d’autres projets s’amoncellent sur les bureaux : il y a l’Augmentation des Capacités à Bruxelles mais surtout, la révision complète de la signalisation pour précisément augmenter cette capacité, ainsi que la fluidité, par regroupement des 200 cabines de signalisation existantes en une trentaine d’unités ultra moderne. Une signalisation qui doit en sus se mettre in fine aux normes ERTMS (2). De un on passe donc à trois chantiers superposés sur les seuls Brabants, et il faut impérativement être un connaisseur ferroviaire pour y voir clair et comprendre…le calendrier.
Mettre une troisième voie suppose élargir un talus. Ici la L50A à côté de la Senne en 2011 (photo Mediarail.be) |
Matériel roulant
Pas de RER sans trains : pour pallier aux problèmes de financement et à l’étalement des investissements, la SNCB a adapté en 2006 sa chaîne de rénovation d’une partie des automotrices AM60-70, pour en faire une quarantaine de City-Rail comme le présente le cliché ci-dessous :
Des automotrices rénovées en "CityRail" en attendant mieux (cliquer sur la photo pour agrandir - Mediarail.be) |
Les Desiro tranchent nettement avec le matériel néanmoins robuste des années 70 (cliquer sur la photo pour agrandir - Mediarail.be) |
En avril 2008, une commande géante de 305 automotrices triples caisses est notifiée à Siemens : 70 Desiro iront au RER et le reste remplacera l’intégralité du matériel omnibus. Les premiers exemplaires furent réceptionnés fin 2011, non sans problème de jeunesse, en particulier pour les bitensions de série 8500 non prévues pour le RER. Elles proviennent du programme Desiro ML II de Siemens, dont des exemplaires circulent depuis 2010 sur Cologne-Coblence, le long de la vallée du Rhin. Elles offrent 282 places et disposent d’une accélération bien supérieure au matériel classique, proche du métro. Le fait d’avoir choisi des rames « simple étage » fût dicté précisément par le choix d’une automotrice légère au lieu d’une rame à deux niveaux qui aurait pu retarder les montées-descentes des voyageurs. Un argument curieux si on se réfère à d’autres exemples étrangers, particulièrement en Allemagne avec des S-Bahn en rames tractées…
Les travaux se poursuivent
Avec les annonces de report dans la presse, il est tentant de fustiger la lenteur d'exécution. Et pourtant elle se déroule sur près de 70 kilomètres cumulés. Les plus gros chantiers concernent l'élargissement des talus et des tranchées. Cela impose le renouvellement de tous les ponts, et donc de fortes contraintes en termes d'expropriations de jardins ou de détournement de voirie.
Le grand étalement
Genval en 2011 : à gauche la ligne existante L161, à droite les nouvelles voies creusées dans la tranchée (photo TUC RAIL) |
Difficile pour le quidam de comprendre les reports successifs. C’est qu’intégrer des travaux d’infrastructure tout en maintenant le trafic exigé au contrat de gestion n’est pas une affaire de tout repos. Alors qu’en 2005 on le croyait prêt pour 2012, ce fût rapidement 2014, puis 2015, puis 2019 avant les dates actuellement calculées de 2022 ! La raison : le projet a eu le désavantage d’être étudié en dehors des grandes gares, sous l’angle strict des travaux et des permis de bâtir qui traînèrent. En 2010 tous n’étaient pas encore octroyés et un fût même refusé, à Linkebeek sur la ligne de Nivelles. Mais surtout, superposer cet ensemble avec le renouvellement de la signalisation engendre une complexité croissante du planning : il est inutile de mettre en service des voies avec l’ancienne technologie dites Tout Relais, devenue obsolète. Or la reprise par la nouvelle technologie EBP – préalable à l’ETCS futur – ne peut se faire que par tronçon complet.
Le trafic aujourd’hui
Travaux d’envergure, refonte de la signalisation et permutation du matériel roulant, ne pouvait-on pas aller plus vite ? Non, car la principale traversée bruxelloise, la Jonction Nord-Midi, atteint une douce saturation en dépit d’études politiques controversées. Les liaisons RER existent dans les faits : il s’agit des relations omnibus actuelles, avec au mieux deux trains par heure. Que peut-on faire actuellement ? Remplacer les rames anciennes par les nouvelles Desiro, qui arrivent au compte goutte. L’accueil de huit lignes avec 4 trains par heure n’est pas concevable sans une refonte majeure du graphique horaire et une tentative d’amélioration de la Jonction, qui n’est possible qu’avec l’application intégrale de l’ETCS2, pas prévu pour tout de suite. Tout se tient et le chemin de fer, même bicéphale, ne fait qu’un au niveau technologique. Surtout, il y a des priorités annuelles, des plannings et des contrats d’entrepreneurs à respecter : on n’installe pas un nouveau pont en deux semaines, on ne déplace pas des voies sans avoir étudié au préalable les itinéraires disponibles. On ne peut pas obtenir des itinéraires bis sans une étude de signalisation préalable. La boucle est bouclée, affaires à suivre…
(1) TUC RAIL est depuis 2005 le bureau d’étude officiel d’Infrabel qui en détient 75% des parts. Le personnel y est majoritairement contractuel mais compte néanmoins un grand nombre statutaires transférés de la maison-mère. Il y a actuellement plus d’un millier de collaborateurs, quasi tous diplômés du supérieur.
(3) Le lot de Desiro comprend les 08001 à 08212 en monotension 3kV (dont 70 versées dans les missions RER), et les 08501 à 08595 bitensions 3kV/25kV, ces dernières destinées aux lignes Athus-Meuse et Rivage-Gouvy mais qui peuvent bien-sûr être intégrée dans le roulement RER si nécessaire. Ce sont ces bitensions qui ont donné du fil à retordre lors de la réception du matériel, en particulier avec le logiciel qui ne reconnaissait pas le passage d’une tension à l’autre.
Alire : repenser la mobilité sans à priori (article La Libre)
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