L’analyse de
Mediarail.be - Technicien signalisation
(english version can be read here)
Un des plus grands axes européens de trafic marchandises est sans
conteste la route Rotterdam-Gênes, qui suit le cours du Rhin jusqu’à Bâle.
Au-delà de cette ville, il faut passer la barrière des Alpes avec un choix de
deux itinéraires : vers Domodossola via le Lötschberg et vers Chiasso via
le Gothard. En Italie, un réseau ferré abondant permet de rejoindre les
principales plateformes intermodales que sont Novara, Luino ou Gallarte. Petit tour
d’horizon.
Les ports de la « Rangée Nord » (Northern Range)
Ce qu’on appelle la « Rangée Nord » est la plus grande
concentration de ports couvrant une zone qui s’étend du Havre à Hambourg, en
passant par Dunkerque, Zeebrugge, Anvers, Rotterdam et Bremerhaven. Cette
partie du continent est l’une des zones industrielles et commerciales les plus
dynamiques et se situe au cœur de ce qui est appelé « la banane bleue »,
qui s’étend de Manchester à Bologne. On constate que la France n’est pas
réellement connectée à cette zone de croissance si ce n’est pour sa partie
nord. On est clairement ici au sein de l’Europe Rhénane, en opposition à l’Europe
latine. Les ports de la « Rangée Nord » ont une longue tradition de
commerce et services et bénéficient depuis des lustres – excepté en France – de
la culture protestante qui encourage la responsabilité individuelle et l’esprit
d’entreprise..
Les chiffres de trafic conteneurs des ports du nord sont à la hausse
constante. Ce trafic est aujourd’hui la principale activité de tous les ports
de la « Rangée » mais certains proposent d’autres activités, telles
la chimie ou le pétrole à Rotterdam et Anvers. Les chiffres récents montrent un
trafic de 11,9 millions d’EVP (Equivalent Vingt Pieds) à Rotterdam, qui est
ainsi le premier port conteneur d’Europe grâce aux extensions des terminaux
conteneurs dans le cadre du programme Maasvlaakte II. Le second port au sommet
est celui d’Hambourg, où transitent 8,9 millions d’EVP au sein des terminaux d’Altenwerder,
de Burchardkai et d’Eurogate, qui regardent essentiellement vers l’Europe de l’Est
et la Scandinavie. Le numéro trois sur le podium est Anvers qui voit transiter
près de 8,7 millions de conteneurs via ses terminaux PSA ou le hub de MSC. Ce
trafic est rendu possible par les « touchés » des plus grands acteurs
mondiaux de containerisation que sont Maersk Line, ou MSC, Hapag-Lloyd, COSCO,
Evergreen, CMA-CGM, Hamburg-Süd et bien d’autres.
La grande importance
de l’hinterland
Aucun port ne peut vivre sans hinterland et
aucun hinterland ne peut vivre sans accès maritime. L’hinterland du Nord est
doté de nombreuses et vastes agglomérations urbaines qui concentrent un taux d’emploi
élevé dans le secteur des services. Les ports de
la « Rangée Nord » bénéficient ainsi d’une aire dynamique et
industrielle où les transports sont essentiels. Le chemin de fer peut y jouer
un rôle de premier plan. Ainsi, les zones d’industries chimiques de
Ludwigshafen (Mannheim) et Bâle disposent de bonnes connections avec Anvers
(BASF) et Rotterdam. Cela montre l’importance de la « Route du Rhin »
où la compétition est très rude entre le train, le camion et la navigation
fluviale.L'hinterland des ports de la "Rangée Nord" s'étend au-delà des Alpes (photo Ponte1112 via Flickr) |
Une région italienne dynamique
L’existence de cette Europe germanique pourrait laisser penser que rien
n’existe au sud de l’Europe. Il n’en est rien et l’extension de la « banane
bleue » jusqu’à Bologne nous prouve le contraire, celle-ci couvrant
évidemment la Suisse et l’Autriche. Le quadrilatère magique
Turin-Gènes-Bologne-Vérone, qui inclus sa capitale Milan, est l’un des plus
dynamique du Sud de l’Europe. De nombreux produits textiles, bien de consommation
et biens alimentaires sont fabriqués par une myriade de petites entreprises au
capital familial. C’est cela la force du « made in Italia », sauf que
les petites quantités produites chaque jour par chaque entreprise ne suffisent
pas à remplir un train complet mais bien…un camion complet ! Cela rend l’usage
du secteur routier incontournable et les parts de marché du rail sont dès
lors peu élevées. Le décor est ainsi planté entre une Europe du Nord submergée
de conteneurs et un tissu de petites entreprises dynamiques au sud. Quel rôle
peut donc jouer le chemin de fer dans ce contexte ?
Train complet v/s
wagon isolé
Lorsqu’un porte-conteneur géant accoste pour 10-12 heures dans un port,
ce n’est par pour décharger/recharger 20 ou 50 conteneurs, mais bien 1000 à
2000 ! Ces quantités impressionnantes doivent prendre le chemin de l’hinterland
et qui mieux que le chemin de fer peut faire le travail ? Mais le problème
est que chaque container ayant une destination, on se retrouve avec 1000
destinations. Sur ce terrain, le mode routier tire au mieux son épingle du jeu,
par sa disponibilité permanente sans contraintes et une compétition féroce qui
génère des prix planchers et des livraisons rapides. Sur ce point le rail prend
une meilleure position par le biais de ses trains complets – notamment ceux de
conteneurs - plutôt qu’avec les wagons isolés. Ce dernier permet bien un
service logistique taillé sur mesure pour les clients n’ayant pas besoin d’un
train complet, mais son acheminement prend considérablement plus de temps à
cause des transits via les grandes gares de triage, pouvant générer des heures
d’attente, voie de retard. On constate ainsi qu’à Rotterdam, le mode routier
prend 57% de part de marché, contre 30% pour la voie fluviale et 13% seulement
pour le mode ferroviaire. Un dossier d’Isemar montrait que, par rapport à
Anvers, Rotterdam est particulièrement captif sur les marchés longues distances
et que ce port reste le leader sur le marché des régions germano-rhénanes. A
Anvers, ce sont plutôt les capacités de stockage et redistribution qui font la
force du port belge. Le triage d’Anvers-Nord voit transiter quelques 230 trains
quotidiens.
Renouveau de la politique des transports
Dans le contexte de la modernisation de sa politique des transports, la
Commission Européenne a défini un réseau de base sur lequel de nouvelles
méthodes d’exploitation doivent être implémentées. En application de la
directive 913/2010, l’UE a défini une dizaine de corridors dédicacés fret
couvrant tout le continent, la Suisse incluse. Ce réseau est à ne pas confondre
avec les 6 corridors ERTMS mais ce dernier se superpose largement sur les
corridors fret en vue d’offrir un réseau moderne sans frontières. La création
des corridors a pour but d’éviter le changement de traction à chaque frontière.
Mais l’UE s’est heurtée à un mur technique qu’est le patchwork de systèmes de
signalisation et de détection des trains (1). Ce fut l’une des raisons de la
création de l’ERTMS/ETCS qui fournit un système de contrôle-commande unifié
(2).
Les corridors 1* et 2** sont ceux concernant le trafic entre la « Rangée
Nord » et le sud dynamique de l’Europe, plus particulièrement l’Italie du
Nord et la vallée du Rhône, en France. Le concept de corridor est la création d’un
guichet unique qui harmonise les principes du planning international des sillons
ferroviaires et facilite les procédures de demandes de sillons en fournissant
des sillons préconstruits (3). Dans le cas qui nous occupe, l’axe concerne
Rotterdam (corridor 1) et Anvers (corridor 2) pour rejoindre Bâle et traverser
les Alpes vers l’Italie et la vallée du Rhône. Concernant le trafic par wagons
isolés, les principaux triages connectés aux corridors sont Kijfhoek
(Rotterdam), Antwerpen-Noord, Köln-Gremberg, Bettembourg (Luxembourg),
Basel-Muttenz, Lyon-Sibelin, Orbassanno (Turin) et Milan-Smistamento. Depuis
peu, le service des wagons isolés est géré commercialement par Xrail (4). Le
21 mars 2013, cinq « infrastructures
managers » nationaux ont signé un Groupement Européen d’Intérêt
Economique (GEIE) concernant le corridor 2 en vue de consolider la coopération
entre autorités nationales et les demandes de sillons. Le « guichet unique »
est installé à Luxembourg et la description et les tarifs du corridor sont
disponibles à ce lien (5).
La pratique quotidienne
La politique suisse des transports diffère radicalement de celle de ses
voisins. Selon l’Office Fédéral des Transports, le taux de part de marché du
rail pour le transit alpin était de 63,2% en 2011, en dépit des 1,258 millions
de camions comptabilisés sur le même axe. En Autriche, c’est la part de marché
du secteur routier qui atteint 66,5%. A Vintimille, (frontière France/Italie),
le trafic poids-lourds affiche 1,3 millions de passages.
Selon un cadre du corridor 2, la plupart des clients demandent des
sillons pour 300 à 500km, plus rarement pour 1000. De plus, la législation du
travail applicable aux conducteurs de trains rend inévitable la fragmentation
des parcours. Ces éléments diminuent l’importance d’avoir une locomotive de
bout-en-bout par exemple entre Hambourg et Rome. Les meilleurs exemples
montrent d’ailleurs encore des changements de locomotives à Domodossola, Chiasso,
Brennero, Basel-Muttenz ou Aachen-West (de et vers Anvers). Aux Pays-Bas, les
engins de traction passent d’une frontière à l’autre mais beaucoup de trains
font encore un arrêt à Emmerich ou Venlo…pour changer de conducteur.
En Belgique, sur Zeebrugge/Anvers, c’est actuellement la joint-venture
COBRA qui gère le trafic, DB Schenker ayant pris 49% des parts, pour opérer
vers les ports belges. La situation pourrait changer à l’avenir en cas de
finalisation des discussions entre le géant allemand et SNCB-Logistics.
Mais il reste encore d’autres détails techniques qui n’ont pas été
résolus, comme par exemple la longueur des trains selon la longueur disponible
des voies de garage, la problématique des performances du freinage ou encore la
stupide question des feux de fin de convois.
L’avenir
Il n’y a pas en
Europe de politique des transports aussi engagée qu’en Suisse. La redevance
poids-lourds pratiquée dans ce pays n’est politiquement pas praticable dans d’autres
régions d’Europe, où le transport routier reste nécessaire, en particulier pour
les courtes distances. La part de marché du rail ne peut donc être améliorée,
comparé à la route, que sur les longues distances, ce qui donne une chance pour
les corridors 1 et 2, tandis que le challenge helvétique est de réduire le
transit des camions à 650.000 unités par an. Cependant, le tissu industriel
italien demeure bâti sur des petites entreprises à capital familial. Quelle
solution pour le transfert rail-route ? A suivre…
* et ** : il y a aujourd’hui une confusion sur la numérotation des
corridors. Voir la carte au point (5)
(1) A voir : une carte du patchwork signalisation
(2) A lire : ETCS,un petit récapitulatif
Un siteweb dédicacé au corridor 1 : http://www.intermodale24-rail.net/
Vidéos : le rail à Zeebrugge (BE)
le camionnage à Hambourg
le gigantisme des terminaux conteneurs (Hambourg)
Maasvlakte 2 Rotterdam en 2 minutes...
Trafic ferroviaire à Rotterdam
La Betuwelijn hollandaise en tout ETCS 2
le triage de Zürich-Limmattal en accéléré
trafic Nord-Sud
A Chiasso (CH/IT)
Vidéos : le rail à Zeebrugge (BE)
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A Chiasso (CH/IT)