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Le regain du tram en
centre-ville n’est plus une nouveauté : depuis les années 90/2000, un
grand nombre de projets ont abouti à une « retramification » de la ville, combiné avec une révision du
rôle des centres villes dans les cités urbaines du monde entier, où est remise
en question la culture de l’automobile. Rendre la ville agréable et durable, c’est
notamment avec le tram qu’on y parviendra, mais aussi par la piétonisation accrue
des espaces. Analyse.
Années
70
Déjà décrit à ces pages,
le déclin du mode ferroviaire eu lieu grosso-modo avec une désertification des
centres villes par les classes moyennes. Les années 60 à 2000 ont vu s’instauré
la combinaison maison/autos/commerces en périphérie dans toutes les villes du
monde, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites. L’auto prend ainsi jusqu’à
plus de 80% des déplacements locaux des citoyens, dans des lieux dédiés à la
seule automobile au motif de la facilité de parking et de la liberté de
circulation et d’achats. Ce modèle a asséché une bonne partie des centres urbains pour
les villes qui n’y ont pas pris garde. Vers 2008, Londres comptait ainsi
près de 7.000 magasins vacants, ce qui coûtait près de 350 millions £ à l’économie
municipale, ce qui est considérable même lorsqu’on est une capitale.
Le tram, si mauvais pour les commerces ? Allons donc ! (Helsinki, photo
de timo_w2s
- Flickr CC BY-SA_2.0)
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Des solutions alternatives
Les conseils
municipaux se battent depuis longtemps contre ce phénomène d’appauvrissement
des centres villes. Ainsi à Nottingham (GB), les subventions aident les
conseils de quartier à trouver de nouvelles utilisations pour les locaux vacants.
Chaque conseil reçoit une subvention de 52 000 £ pour l'utiliser comme ils l’entendent
pour une salle d'exposition, pour des artistes locaux , pour une crèche ou pour
d'autres idées destinées à embellir la rue . Une législation locale a aussi
rendu plus facile l’utilisation les magasins vides avec un bail normalisé à utilisation
temporaire des locaux vacants. Mais les plus grandes transformations en convivialité des
centres urbains restent la rue piétonne et son mixage immobilier. A Mayence (DE), il y a au-dessus des centres
commerciaux et magasins une quantité importante de logements et de bureaux. Ceux-ci
génèrent à l’évidence une part importante de la circulation des piétons dans les
rues piétonnes, contribuant ainsi à les rendre plus vives, dynamiques et prospères.
Piétonisation
Les rues piétonnes –
ou « Shopping Street » –
parlons-en justement. Beaucoup de rues piétonnes européennes sont capables de
générer des volumes très élevés de la circulation des piétons. Selon l'Office
de Tourisme de Cologne, un comptage simultané à l'échelle nationale des
passants mené par le cabinet Jones Lang
LaSalle dans les centres commerciaux allemands en Avril 2010, a révélé que
la rue piétonne Schildergasse de
Cologne était le boulevard le plus visité de toute l’Allemagne un samedi, comptant
13.280 visiteurs entre 13h et 14h dans l'après-midi. La rue piétonne Kaufingerstraße de Munich, était
deuxième sur le podium aux mêmes heures avec 11.905 visiteurs, tandis que la
rue piétonne Zeil de Francfort terminait
troisième avec 11.420 visiteurs. Ces volumes élevés de trafic de piétons entraînent
bien entendu des bonnes affaires et la réussite économique tant pour les
propriétaires des rues que les détaillants.
Le site http://www.planetizen.com/
remarquait en 2011 que lorsque les « Shopping Street » sont bien planifiés, conçus, gérés et stratégiquement
reliés aux réseaux de transport en commun, combinés à des sentiers pédestres et
des pistes cyclables, ces rues jouent alors un rôle de premier ordre pour
rendre les centres urbains plus vivables et durables.
Gand a piétonnisé tout son centre ville non sans mal. Seuls les trams y roulent (photo
de harry_nl- Flickr CC BY_2.0)
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Le succès continu des zones
piétonnes dépend néanmoins de cinq facteurs stratégiques : d’abord, ils doivent
être rapidement et facilement accessible à partir des zones résidentielles à
haute densité, des immeubles de bureaux et d'autres lieux de travail avoisinants.
D'autre part, ils doivent être bien relié et desservis par l’ensemble du
système de transport public et être stratégiquement interconnecté avec le
réseau piétonnier de la ville et des pistes cyclables. Le quatrième facteur est
d’offrir des parkings à vélos pratiques aux points d'accès principaux des zones
piétonnes et commerciales, y inclus en points intermédiaires s’il s’agit de
longues rues rectilignes. Le cinquième facteur est que ces zones doivent être
gérées et modifiées en continu selon les besoin et l’évolution de la société, telle
l’installation de zone WiFi ou 5 G pour les mobiles.
A Francfort, une grande partie de
la réussite et de la renommée du Zeil dépend
en grande partie de son emplacement stratégique, avec d'excellentes connexions
à tous les réseaux de transport en commun (pas seulement les trams et bus…) , et
par l’implantation de sentiers pédestres et de pistes cyclables conviviales.
Le
tram
A Montréal, on s’interroge encore sur la décrépitude du centre-ville :
« La montée des banlieues,
c’est vrai, mais ce n’est pas tout. Il faut de la concertation, de l’animation,
rendre le secteur attrayant à l’année. On ne peut pas se contenter de rénover
des façades, puis se croiser les doigts. Pour revitaliser de façon durable, il
faut s’attaquer à tous ces volets en permanence », dit Émilie Têtu,
coordonnatrice aux communications à Rues
principales. Aucun détail ne doit être laissé au hasard pour assurer la
vitalité d’une artère. « Si on
regarde la rue Sainte-Catherine, aucune de ces conditions n’existe ! »,
tranche Jacques Nantel, qui donne l’exemple des mesures prises par Strasbourg,
Toulouse et Chicago pour renouveler leur centre-ville. « À Strasbourg, la ville a pris les grands
moyens. Le centre-ville est quasiment entièrement piétonnier et le tramway,
omniprésent ». Nous y voilà : le tram,
outil de revitalisation accepté par tous ? Voyons voir…
Tram, piétons, cyclistes : la ville est durable à Amsterdam depuis bien longtemps...(photo de harry_nl- Flickr CC BY-NC-SA_2.0)
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Se battre
contre l’immobilisme
Concéder l'espace de la rue en
faveurs des transports en commun est une pratique répandue dans presque toutes
les grandes villes du monde, et dans les dernières décennies ce partage est
devenu de plus en plus reconnu comme une nécessité pour le maintien de la
mobilité dans de nombreuses villes, y inclus américaines – ce qui est un signe
dans cette patrie de l’auto toute puissante -
comme le montre les exemples d’Austin, Buffalo ou Sacramento. Il faut cependant
admettre que les préoccupations du voisinage concernant le trafic automobile détourné
par d’autres rues sont légitimes et doivent être pris en compte sous peine de
faire capoter politiquement certains projets.
Les phobies populaires peuvent aussi rendre la vie
dure aux différents projets. Ainsi en région parisienne, le département de
Seine-Saint-Denis fût au cœur d’une bagarre qui agitait depuis 2006 les communes concernées par le tracé du
T4. Motif : la peur de voir les populations
pauvres de Clichy-sous-Bois, d’où partirent les émeutes de 2005 avec
leurs voitures incendiées, traverser les bourgs plus
aisés de Livry-Gargan et Pavillons-sous-Bois. Sur un thème analogue, les
habitants du New Jersey avait un moment craint une hausse de la criminalité
avec l’arrivée de la River Line, une ligne light
transit
diesel ouverte en 2004 le long de la rivière Delaware. Cela pouvait induire des
effets sur l’immobilier, craignaient-ils… Cette dépréciation supposée de la valeur des biens immobiliers n’est
pas à prendre à la légère. Ainsi à Philadelphie, une étude suggérait une
influence importante sur le marché foncier à cause de la perception du public
et des médias sur la planification, la construction et le processus de mise en
œuvre d’un light rail. Pour
certains, l’arrivée de populations précaires par le light transit
signifiait une baisse de valeur des biens immobiliers. Rien n’est jamais gagné…
Au paradis de l'automobile et du pétro-business, un tram et une rue piétonne. Sacramento, Californie (photo
de davidwilson1949- Flickr CC BY_2.0)
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D’autres arguments classiques
anti-tram sont tout aussi connus et intemporels. A Condé-sur-l’Escaut
(France), le prolongement d’une ligne du tram de Valenciennes fait grincer des
dents, avec pertes de chiffres d’affaires des commerçants durant les travaux. A
Bruxelles, la même litanie est utilisée à l’encontre de la future « tramification » du bus 71 de la chaussée d’Ixelles, une
artère commerciale assez étroite mais très fréquentée. Si ces craintes peuvent
être fondées en période de travaux, le retour à l’embellie dépasse largement les
inconvénients – certes fâcheux – mais temporaires.
Mais le plus grave est la manipulation politique des
chiffres : certains projets portés vers 2008 ont été confrontés à la dure
réalité du terrain. Le chiffre d’affaire des boutiques pouvait certes être en
baisse, mais il fallait l’attribuer à la crise financière plutôt qu’aux projets
eux-mêmes. La communication politique en a hélas parfois profité à des fins
électorales…
Avantages
Un document préparatoire de 2003 sur
le tramway de Québec rapportait qu’outre l’aspect technique, une série
d’avantages sont notamment de nature urbaine : il s’agit des effets positifs tels
l’édification d’un axe structurant, l’impression de permanence du réseau de
transport qui donne un signal aux acteurs urbains pour le redéveloppement le
long de ces axes. L’autre bénéfice urbain est le rééquilibrage du partage de la
chaussée d’où il ressort une amélioration visuelle, une meilleure qualité des
aménagements pour les piétons, et un environnement urbain général plus
accueillant et agréable, sans oublier la requalification des places publiques que
la ligne effleure ou traverse. Il y enfin un avantage environnemental. Etant des
véhicules électriques, les trams contribuent substantiellement à la réduction
des émissions de gaz à effet de serre (GES) et sont aussi moins polluants
(émissions de particules, oxydes de carbone, oxydes de souffre, odeurs), ce qui
est un bénéfice non négligeable dans un environnement urbain.
D’autres études notent que la
desserte par les transports collectifs facilite l’accès aux zones à priorité
piétonne en évitant le détour par le parking, souvent complet. Elle permet de
visiter plusieurs commerces ou services dans la même demi-journée sans avoir
besoin de chercher une place de parking à chaque arrêt. On peut évidemment
ergoter sur ces arguments déclinés sur papier glacé et sensés embellir les
projets de lignes de tram. Rien ne vaut cependant d’explorer les bénéfices des
réalisations passées et récentes.
Expériences
réussies
La mise œuvre du T1 à Nice en 2007 a fortement
amélioré la situation selon ses promoteurs. L’objectif de 60 000 voyageurs par
jour aurait été atteint en quelques semaines, alors que pour les autres réseaux
français, l’objectif initial est généralement atteint au bout d’un an. L’avenue
Jean Médecin - principale artère commerçante de la ville – a
été transformée en voie piétonne, deux
ans après la mise en service de la première ligne de tramway. Les reports de
modes de déplacements vers le tramway (qui emprunte l’avenue Jean Médecin)
semblent avoir eu un impact positif sur la fréquentation du centre.
A Paris, le long de la ligne du Tramway des
Maréchaux Sud, une étude de la CCI observait que depuis mi-2003, le nombre
total de cellules commerciales était resté quasi identique et seulement 15%
d’entre-elles ont changé d’affectation. Le nombre de commerces de détail aurait
légèrement diminué au profit des cafés- restaurants et des services aux particuliers. Si le
nombre de locaux vacants est resté stable pendant les travaux, traduisant
peut-être un certain attentisme de la part des commerçants durant cette
période, il a augmenté l’année qui a suivi la mise en fonctionnement du tramway.
L’hôtellerie et la restauration tirent leur épingle du jeu depuis la mise en
fonctionnement du tramway, profitant d’un cadre plus convivial et d’un
aménagement propice à leur activité.
A Buffalo, aux Etats-Unis, des
recherches récentes sur le « light
rail » ont montré une hausse de 2 à 5 % de la
valeur des maisons à
proximité de
l’itinéraire, des chiffres constatés ailleurs aussi, notamment à Edimbourg dont
nous parlerons ci-dessous. Cela remet en cause les craintes évoquées plus haut
à Philadelphie ou ailleurs…
Ils en
veulent…
Le tram s’installe partout. A Édimbourg en
Ecosse, la ligne de tramway tant attendue a déjà provoqué une hausse de
l'investissement dans la Princes
Street avec au moins six grandes offres de biens d'une
valeur d'environ 100 millions de £ avalisée ces dernières années. Des pans
entiers d’immeubles ont changé de mains alors que les investisseurs cherchent à
capitaliser sur la renaissance économique de la célèbre artère après des années
de travaux particulièrement perturbateurs, qui ont duré de 2007 à octobre 2013.
L’ouverture officielle est prévue en mai 2014.
Edimbourg : six ans de travaux et une ouverture en mai 2014 (photo
de Hectate 1
- Flickr CC BY-ND_2.0)
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Gordon Henderson, de la
Fédération des petites entreprises de la ville, a déclaré qu'il y avait eu
plusieurs « grandes affaires » qui ont lieu sur Princes Street,
avec un effet d'entraînement pour les petits détaillants et toute la ville dans
son ensemble. La rue ne revitalise pas seulement ses boutiques mais gagne aussi
en établissements horeca. Une étude a pointé quelques 365. 000 visiteurs par semaine sur Princes Street pour un chiffre d’affaires de 2 milliards de £ annuels.
David Birrell, chef de la Chambre de Commerce locale, a déclaré la ligne de
tramway et les investissements étrangers aideraient à créer une « sensation de
fraîcheur à la rue (…) C'est évidemment très bonnes nouvelles pour la ville », précise-t-il.
A Liège, le tram fût viré de la
ville dans les années 60. Il revient en grande pompe avec un premier projet
prévu pour 2018 (1). Adopté en 2008 par le gouvernement wallon, l’attribution du
contrat est prévue pour fin 2014 avec un début des travaux estimé en 2015. L’axe liégeois traversera la ville dans un axe Est-Ouest
connectant les communes périphériques. Une première phase est prévue en version
dite « courte » de Coronmeuse au Standard (stade) ; la version
longue irait plus loin encore. La célèbre Place Saint Lambert est
évidemment intégrée à la ligne dans une perspective piétonne partielle.
Liège demain : il est temps...(photos du portail www.wallonie.be) |
A Bruxelles, le tram n’a jamais
été viré mais a subit l’effet « Expo
1958 » favorisant la ville-automobile. En dépit du métro inauguré par
phases depuis 1976, le tram a survécut et renaît même là où on ne l’attendait
plus. Ainsi en est-il du bus 71, une des plus grosses lignes de la ville
connectant le centre aux quartiers Est, comprenant notamment l’Université Libre
de Bruxelles. Son passage par la populaire chaussée d’Ixelles a
fait baisser sa vitesse commerciale et menace son attractivité. Combiné à une
possible piétonisation d’une partie de la chaussée, la STIB a remis un projet
de tramification du bus 71 (2), provoquant les traditionnelles levées de
boucliers et les craintes des commerçants. Il est vrai qu’en matière d’exécution
des travaux, Bruxelles traînent de solides casseroles. A suivre car à ce stade
pré-électoral rien n’est évidemment décidé…
Le
paradoxe de Karlsruhe
Karlsruhe est un exemple
emblématique bien connu, non seulement pour le choix porté sur un tram
régional, le tram-train, mais aussi
par la spectaculaire progression de sa clientèle : en 1985, 55 millions de
personnes fréquentent le réseau KVV, environ 100 millions en 2003 et 170
millions en 2012 ! L’afflux est tel que le tram-train devînt presque un
inconvénient : à certaines heures, on avait dans la rue principale
un… « train de tram »,
un mur continu de trams se suivant à la queue leu-leu. Mais surtout, les
trottoirs deviennent insuffisants pour accueillir tout ce beau monde ! On
s’achemine alors à la piétonisation totale et….sans tram de la Kaiserstraße. En
2002, adoptée par référendum, une solution dite « combinée » prévoit deux projets qui
sont indissociables: un long tunnel de tramway de 2,4 km sous Kaiserstraße et
la reconstruction d’une rue adjacente, avec un long tunnel routier de 4 km et
une nouvelle ligne de tramway à travers ce tunnel. Le tram, populaire et
indissociable de la ville, s’enterre donc partiellement suite à son succès….
Conclusion
provisoire
Le retour du tram est indéniable
depuis 15-20 ans, mais il se heurte encore aux traditionnelles réticences des
commerçants et à certaines phobies populaires en matière de circulation, voire
de sécurité. On constate surtout que le tram n’est qu’un outil parmi d’autres
pour revitaliser les centres urbains. L’ère de la ville-automobile semble bel
et bien s’évanouir doucement lorsqu’on voit la quantité de motions communales
et de projets à venir. La ville durable conçue pour les piétons se construit
pas à pas et saura vaincre les dernières barricades pour autant que les projets
soient bien conçus et intègrent tous les paramètres de la mobilité.
La video du tram de Liège
Visitez Karlsruhe à bord du tram : Führerstandsmitfahrt Stadtbahn Karlsruhe