A quoi servent les nouvelles gares ?
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signalisation et observateur ferroviaire
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21/09/2014
N’y allons pas par quatre chemins : les quartiers de gare en général, c’est le fond du panier social, un régal de sociologie, avec ses bars d’un autre âge et sa faune particulière. Un environnement digne de Zola où le train reste encore synonyme de précarité et de saleté. Constat excessif ? Remémorons-nous l’ancienne avenue Fonsny où puait la cigarette, ou le court trajet bruxellois de Midi à Central…, ou de Charleroi à Auvelais, sur la glorieuse dorsale wallonne. L’arrivée à Paris-Nord, même en Thalys, n’a pas non plus des allures de « Champs Elysées ». C’est cela, les gares…S’y ajoutent les « rues à néons » se déclinant à Bruxelles-Nord ou, anciennement, à la rue Varin en face des Guillemins. Les montois, eux, se plaignent depuis des lustres du quartier de la gare, infréquentable passé 20h, disent-ils. Rien de tout cela dans l’environnement aéroportuaire, bien plus sécurisant car éloigné des turpitudes de la ville, et cela fait toute la différence quant à la perception qu'ont les clients du moyen de transport. Avions propres contre trains sales. Dangereux. Il fallait donc réagir…
Car la question des
gares d'aujourd’hui se pose en d’autres termes : doit-on, au nom de l’idéologie fonctionnaliste chère au service public, négliger
l’esthétique et se borner à un horizon en béton gris ? Non répondront en
cœur les quidams, sauf que ce qui gêne, c’est l’argent englouti face à d’autres
besoins bien plus criants. Peut-être, mais à ce compte-là, éliminons la Formule
1, les restos étoilés, les belles baraques, les grandes marques luxueuses, et les
stades de foot hors de prix. Aucun d’eux n’est vital pour la survie de l’espèce
humaine. Populisme, quand tu nous tiens. Mais comme l’écrivait le Vif/L’Express
en 2010, selon Vincent Bourlard : «
En période de
crise, l'argent public sert à faire tourner l'économie ». A commencer par le
secteur de la construction, secteur de « petites mains » s’il en est.
Finalement, on se rend compte que les râleurs sont largement minoritaires,
passons donc à l’essentiel, le vrai…
Un art, une identité
S’agissant d’architecture, on notait
sur le site électoral 2014 du FDF concernant Bruxelles que « l’architecture d’aujourd’hui, c’est le
patrimoine de demain. Il faut favoriser la qualité de la production
architecturale et les pouvoirs publics doivent montrer l’exemple. Le patrimoine
architectural et environnemental représente bien sûr un patrimoine culturel
important. Il construit l’identité de Bruxelles. Mais il constitue aussi un
patrimoine économique car il participe de plus en plus à l’attractivité de
Bruxelles. » Pure propagande électorale ? Voyons ce qu’en pense
Mario Botta, dont le projet de bateau-parlement fût rejeté à Namur : « L’architecture, en ce sens, est un art quand
elle évoque l’ambition de l’homme et ses aspirations. Et pas quand elle se
contente de réfléchir aux locaux techniques. » Une belle claque pour
l’architecture fonctionnaliste sans âme ! Car en effet, jusqu’à présent,
les gares ont été construites sous l’angle technique stricte, sans grande recherche esthétique, où priment la
longueur des quais et les locaux du personnel avec un peu de clim, quelques
bancs anti-sdf et du beau carrelage pour faire joli. Pour le reste, les gares
ne sont que des lieux de passages que l’on quitte au plus vite. La gare du Nord
à Paris, c’est 80% de banlieusards qui ne font que passer…
Voilà résumée la grande crainte : un lieu de passage qui ne se rentabilise pas, qui coûte à la collectivité sans aucun retour sur investissement. Les promoteurs du service public trouvent cela parfaitement logique, ceux qui sont dans les Directions Finances/Patrimoine beaucoup moins ! Car en réhabilitant les belles gares ou en en (re)construisant de nouvelles, on (re)crée un pôle attractif en y installant le lucratif commerce immobilier. En France, Gares & Connexions, une filiale de la SNCF, touche 130 millions d'euros de loyers annuels pour l'ensemble de gares françaises dotées de commerces. On comprend pourquoi la grande maison pousse ses voyageurs à la dépense. Au Japon, plus d’un tiers des revenus des compagnies ferroviaires proviennent précisément…des gares et des environs. Il y a donc des raisons de reconstruire les gares et leurs alentours. Quid de Liège-Calatrava et d’Anvers-Central ?
Plus qu’un simple transit
Le concept
même de la gare a donc évolué au cours des dernières années : il ne s’agit plus
seulement d’un lieu de transit mais d’un espace multiservices, véritable
“centre de la ville” ou du quartier. Les grandes gares, situées dans le
cœur des villes, ont pour ambition d’attirer au sein de leurs espaces des
clients non voyageurs : la gare devient parfois un véritable lieu de vie. La
gare de Malaga en est un exemple, puisqu’il est possible d’y retrouver, en plus
d’un centre commercial, un hôtel quatre étoiles, un cinéma et même un
boulodrome. Charleroi espère attirer des investisseurs privés autour de
l'esplanade de la gare, qui doit accueillir des logements, des bureaux et des
services et du futur "centre d'affaires Parc Ouest", en face de la
gare, qui sera destiné à des logements, des bureaux et des commerces de
proximité. Mais cela demanderait de (re)construire une nouvelle gare à
côté de l’existante. Comme quoi l’un n’est rien sans l’autre, ce qui nous amène
à la gestion de ces ensembles urbains.
Qui gère les gares ?
La
création de réels pôles d’échanges multimodaux intégrés à une ville ne peut
être entreprise sans une volonté forte de l’ensemble des acteurs impliqués.
Celles-ci impliquent d’avoir une vision précise de ce que devra être la gare à
long terme, afin de prioriser les projets et de les répartir efficacement dans
le temps. Ainsi, les vastes projets d’intégration urbaine peuvent être une
opportunité pour réaliser des travaux parallèles, comme certains assainissements urbains, qu’il aurait été plus coûteux de réaliser de manière
isolée. Aux gestionnaires donc d’anticiper ces évolutions et de rationaliser
les investissements réalisés. Dans le cadre de projets de gares intégrés à des
projets urbains, les investissements demandent des subventions publiques de
plusieurs institutions. Des initiatives nationales peuvent également permettre
de déclencher des projets de transformation des gares grâce à des financements
étatiques. C’est le cas aux Pays-Bas, où six projets nationaux clés ont été concoctés
et planifiés par le ministère de l'Infrastructure et de l'Environnement, à
Amsterdam, Breda, La Haye, Utrecht , Rotterdam, etc. Dans cette dernière,
la nouvelle gare centrale et sa place ont été financé à la fois par la ville,
le gestionnaire d’infrastructure et la filiale « Station » des NS. A
Breda, l’ensemble est partagé par la ville, la province et bien-sûr les chemins
de fer néerlandais.
Oui, tout cela à un prix
Le prix des
choses et sa perception varient selon l’environnement socio-économique de tout un
chacun. Alors, chère la gare de Calatrava à Liège ? A voir. 437 millions,
ce n’est pas rien, mais cela ne fait que 56% de la gare d’Anvers, qui coûta 775
millions €. Quand à Mons, nul doute qu’on dépassera les 200 millions € mais
cette gare sera la première à servir de véritable passerelle piétonne entre la ville ancienne et le parc consumériste des Grands-Prés. Voyons ce qui se passe
ailleurs, crescendo.
Italie : Reggio Emilia
Mettons la sur
le podium : elle n’a coûté que 70 millions € ! De quoi
s’agit-il ? D’un « accordéon » design en métal blanc de 400m de
long, plantée par-dessus la nouvelle LGV Milan-Bologne, avec tout de même deux
quais. Jolie, simple et sans chichis, cette gare n’est pas urbaine et il n’est
pas prévu d’y faire chipettes. Du pur transit TGV/auto avec minimalisme esthétique, à 20 minutes de Bologne et 40 de Milan.
France : Paris St Lazare
Sa rénovation a
coûté 250 millions € (le prix montois…) et fait la fierté de Gares & Connexions, la filiale de la
SNCF. Quais rénovés, nouveaux accès, et
surtout, la transformation de la salle des pas perdus en un immense centre
commercial sur trois étages, avec 10 000
mètres carrés de commerces. Le reste n’a pas été touché…
Pays-Bas : Rotterdam-Centraal
Pour 675
millions €, on a eu droit à une nouvelle – et belle - place qui a reconfiguré
le parcours des trams en surface (315 millions € payés par la ville). La
refonte des voies et la couverture lumineuse des quais a nécessité 300 autres
millions € payés par Pro Rail tandis que 60 millions € restant provenaient de
« NS-Station ».
Passons
maintenant aux gares à « milliards »…
Allemagne : Berlin-Hauptbahnhof
Il fallait un
symbole fort pour la (redevenue) capitale allemande après la chute du Mur. Exit le quartier glauque entourant la porte
de Brandebourg et place à une gare mastodonte à étage, où se croisent les
trains en axes Est-Ouest et Nord-Sud. Le tout pour « environ » 1 gros
milliards € et une architecture high-tech. C’était nécessaire vu les circonstances…
Autriche : Wien-Hauptbahnhof
Toutes les
gares viennoises étaient en cul-de-sac, provoquant des rebroussements à
Wien-Westbahnhof sur l’axe Allemagne-Hongrie, et un éloignement certain du
centre-ville. La capitale a donc décidé de restaurer sa splendeur en
construisant une toute nouvelle gare-centrale non loin du centre. Le résultat
est cette surprenante architecture incluant un pôle multimodal moderne pour la
bagatelle d’un milliard €. S’y ajoutera
une reconfiguration du quartier, mais cela, c’est payé par la ville.
Grande-Bretagne : St Pancras
Gare oubliée
entre King-Cross et Euston, St Pancras fût opportunément choisie pour
accueillir les Eurostar en devenant la
porte d’entrée de l’Europe. La totalité des installations, incluant les
bâtiments et la superbe marquise ont englouti près d’1,1 milliard € pour la
bonne cause. Et le résultat est à la hauteur d’une ville de statut mondial.
Grande-Bretagne : King-Cross
C’est la voisine
directe, à 100m de St Pancras , tête de pont vers la côte Est, vers York,
Newcastle et Edimbourg. Outre la préservation d’un célèbre hôtel circulaire,
King-Cross s’est payé pour 628 millions € un tout nouveau hall high-tech, ne comprenant que la
salle des pas perdus et des commerces. Cette première partie n’étant qu’un
morceau des…2,7 milliards € prévus pour l’ensemble des lieux.
Conclusions
Les gares
d’aujourd’hui doivent devenir plus que des gares. Les plus grandes d’entre
elles, énumérées ci-dessus, tentent de devenir des pôles de transport tout en
étant un morceau du quartier environnant. On remarque que certains pays
proposent d’emblée des projets de quartier (Vienne…) et qu’entre région,
province et ville, on se parle et on discute. En Belgique, tout se fait en solo
au nom de l’architecture institutionnelle qui promeut le chacun chez soi et le
« touche pas à mes compétences » (l’autonomie communale). Non, ce
n’est pas l’architecture ou le design qui coûte, c’est l’indécision et le
manque de prospective locale. Oui, le chemin de fer doit sortir du « club
à Zola », car il n’a rien à y faire. Quant aux services publics, leur
fonctionnalisme avéré n’empêche pas la recherche esthétique ni la chance d’une
rentabilisation par les commerces, à l’heure où les deniers publics font de
plus en plus défaut…