Rail : prévenir les risques ou disparaître face à la concurrence de l'écosystème routier 
Billet invité - par Jean-Xavier ROCHU, 
T & D International, 78590 NOISY LE ROI



17/09/2014 - Ce texte a été précédemment publié aux Cercles des Echos, le 12 septembre 2014

L’excellente réunion du PREDIT sur le FRET ferroviaire constitue un cas pratique pour mettre en évidence la faiblesse du service public face à la concurrence. La survie du rail français en France passe par prises clairvoyantes et préventions des risques tels qu’elles permettent aux partenaires privés d’évoluer et de réussir sur le Marché Industriel concurrentiel. Quelques observations didactiques…

5 excellents scénarios des demandes possibles en 2040 ont été présentés. L’orateur a partagé une perplexité légitime à propos des projections faites ces 30 dernières années dont aucune n’a été tenue. Tout part de la fragilité des trésoreries des opérateurs qui sont mises à mal par des subventions retardées. Depuis que les trésoriers publics ont vérifié que la route palliait sans dommages immédiats les défaillances du rail, les lignes budgétaires du rail sont devenues des variables d’ajustement. Le rail n’est donc plus traité comme un service public.

Pour survivre, il doit donc être compétitif. Mais équilibres d’exploitation et financements projets restent impossibles sans subventions. Pour pallier ces défaillances, il s’endette chaque année d’un montant de l’ordre de grandeur du montant investi. Analysons une séquence probable de ce désastre. 

C’est d’abord l’équilibre entre les dépenses et des recettes faites de :
- La vente de billets à des prix acceptés par le marché,
- Des subventions d’exploitation jusqu’à 2 fois supérieures aux ventes de billets.

Cette exploitation ne contribue pas ou peu à l’amortissement des investissements. Elle est donc incapable de renouveler son outil de production, faiblesse dévastatrice par rapport à la route ! 

Présumant que les budgets sont bien faits, attribuons l’endettement aux accidents de subventions des projets. Parcourons la spirale divergente la plus simple : ces défaillances génèrent des retards dans les travaux qui induisent surcoûts de construction et retard de chiffre d’affaires. Ces charges imprévues imposent une dette à rembourser et des intérêts qui font exploser les prévisions de dépenses.

Le service est maintenu le nez hors de l’eau. Dans ces conditions de survie, il n’est plus question de provisions telles que "le coût pour rester en activité" ou "le coût de l’agilité stratégique" vitaux en concurrence. On ne prévient plus les risques à des coûts optimisés tels que tous les concurrents sur le marché s’évertuent à le réussir. La gestion publique se targue de bien maîtriser les risques. Elle ne gère qu’au mieux les coûts exorbitants de ces risques avérés.

Faute de trésorerie, les fournisseurs sont payés en retard et attendent pour livrer la suite. Pendant ce temps, on dépasse les limites d’usure. Leurs supports voire plus doivent être réparés à des coûts augmentés… Le public qui se targue de la sécurité du rail n’est plus capable de la garantir quand il joue ainsi avec le feu. C’est la ponctualité française qui s’écroule parmi les plus mauvaises des marchés comparables. Cela explique que la DB gagne des parts de marché quand la SNCF en a tant perdu !
Entre aveuglements et urgences, les politiques prennent des dispositions. Mais la situation reste dommageable pour "rêve d’entrepreneur" européen de rééquilibrer la route et le rail d’ici 2050. Ces imprévisions exposent à tous les débordements. Le rail français en est devenu un outil de valorisation électorale. L’échec de la Grande Vitesse en France en est l’exemple.

Au lieu d’investir les bénéfices du TGV au développement de cette ligne "produit" prometteuse par la revitalisation et la création des capillaires de rabattage, politiques et comptables ont gaspillé cette manne pour satisfaire des ambitions trop locales ou boucher des trous… Ce blé a été mangé en herbe. Résultats : sur les années 90, le TGV avait gagné 100 % du marché ouvert à des appels d’offres internationaux. Depuis, sa part de marché s’est réduite à 13 %.

Les politiques, dans leur approche d’usager, se satisfont de rames TGV les mieux chargées d’Europe ce qui est très facile à obtenir (il suffit supprimer des trains), alors que la survie du système se construit sur des passagers.kilomètres (PK) qui, multipliés par des Euros, donnent du chiffre d’affaires et des provisions pour survivre… Les rames Shinkansen en font 3 fois plus et leur modèle d’exploitation leur a permis de sortir le TGV de Taiwan !
Sur ce raccourci, comment fonctionne la prévention des risques ? C’est une culture du risque et de la concurrence, un métier et une présence quotidienne sur la ligne de front du marché mondial. La culture, c’est le respect des compétences telles qu’aperçues ci-dessus. Limitons-nous, dans le métier, à certains aspects de la stratégie et du financement.

Le succès du plan Freyssinet a été dans ce mariage réussi entre le métier ferroviaire et le soutien politique. Cette harmonie se mesure par la part de l’investissement dans le rail prise par la bourse de Paris : jusqu’à 51 %. Oui le politique français sait orienter certaines décisions ! Si ses décisions génèrent des surcoûts que le chiffre d’affaires ne peut couvrir, il doit les prendre en charge. Comme n’importe quel client qui demande un service, il le doit payer.

Mais aucun pays ne peut engager des investissements sur des décennies s’ils ne peuvent pas atteindre une pérennité autonome. L’industrie est comme l’agriculture : en monoculture, aucun projet ne survit aux crises comme aux accidents climatiques. Comme le concurrent routier, la prévention des risques du rail passe par l’amortissement de l’outil sur toutes les offres de transport (passager – fret – messageries). Les investissements annexes sont aussi à amortir sur un doublement du chiffre d’affaires hors transport. Ainsi, Aéroport de Paris fait presque autant de chiffre d’affaires avec ses "recettes annexes" que dans sa mission de service public.

Pour prévenir cette fragilité publique, le rail français a un atout qui rappelle celui de l’agriculture française en face de la famine de la Révolution. Talleyrand a eu la clairvoyance de remettre les biens du clergé en culture. De la même façon, le patrimoine exploité par SNCF Réseau aujourd’hui est réduit à 30 000 km alors que le réseau historique a eu jusqu’à 85 000 km. Tout n’est pas aussi disponible que les champs en jachère des monastères du XVIIIe. Mais de nombreuses revitalisations bien montées peuvent nourrir le dynamisme du rail.

Par analogie à la structure allemande, la France devrait passer d’une trentaine d’opérateurs à quelques 200. Il est inhumain de laisser ces "personnels las et sans repères" croire que chaque PK qui leur échapperait serait une fragilisation de leur avenir. La route est un écosystème où s’épanouissent toutes les compétences et les outils de toutes tailles pour satisfaire chacun et tous les besoins. Ces personnels préfèrent voir fermer un capillaire en sous charge, que de le laisser exploiter par un opérateur d’entrée de gamme, "petit poisson" nourricier des opérateurs de 1re classe. Tout PK pris par la route est un privilège de productivité abandonné en plus d’une perte de chiffre d’affaires.

Ces éléments de patrimoine en friche sont à transformer en apports en nature au capital de ces 170 nouveaux opérateurs suivant un mécanisme en 2 temps pour cloisonner les risques :
1) La société d’exploitation, porteuse de la stratégie spécifique de ses propres vertus de levier de développement du territoire qu’elle drainera, doit fiabiliser son financement. Elle ne peut continuer traverser des décennies sur des finances publiques aléatoires, aléas relatés dans la presse : Fin 2013, RFF a dû se passer de 135 M€. SNCF s’est vu aussi "punir" de dizaines de millions…
Ces saignées, dignes de Diafoirus, sont en fait incontournables dans l’état précaire de la France. Ainsi, que devient le versement transport quand Peugeot ferme une usine de 1800 personnes ? Quel investisseur avisé prendra des risques sur des taxes fondées sur les plus-values immobilières dont on ne contrôle ni la valeur ni l’échéance ? Ces risques ont 2 coûts : la valeur augmentée du taux d’intérêt de la dette et les pertes de chiffres d’affaires.

Il faut réfléchir sur la base du mécanisme de la SEM où l’apport public serait rendu fiable par la mise au capital de ces sociétés d’exploitation, de ces éléments du patrimoine historique. C’est sur des apports fonciers que le chemin de fer américain a pu se passer de subvention pendant 150 ans !
2) La société d’exploitation organisera une batterie de filiales spécialisées, des lignes, gares "lieu de vie" et autres mises en valeur pour des préventions des risques spécifiques de chaque produit transport et hors transport comme le fait n’importe quel armateur maritime.

Ainsi sont valorisés ces actifs incorporels, générateurs d’un "Buzz" riche en nouveaux voyageurs… Vendre un élément du foncier RAIL à un promoteur immobilier, c’est abandonner cette valeur incorporelle. En quoi consiste-t-elle ? De la même façon que le promoteur immobilier valorise le terrain en construisant son immeuble, l’exploitant du rail crée de la valeur en exerçant tous ces métiers possibles. Cette valeur est d’autant plus grande que cet élément de patrimoine est inséré dans un réseau plus actif.

Il est dévastateur de négliger ce supplément de valeur lorsqu’on a l’ambition de rééquilibrer les écosystèmes du rail et de la route. Ce patrimoine a été en friche pendant des décennies. Mais faut-il s’enferrer en le vendant ? Dans une stratégie de développement durable, le supplément de valeur généré par un immobilier est très inférieur à celui pour l’ensemble de l’écosystème du rail dont certains experts voient le chiffre d’affaires 2050 quadrupler !

De plus, vendre ce "morceau" d’outil ferroviaire, c’est faire un trou qui génèrera des surcoûts quand on décidera ce quadruplement. Ces destructions de valeurs sont donc à déduire du prix de vente du terrain au promoteur. Comment les évaluer si on ne regarde pas le risque vital de battre la concurrence routière ? Les professionnels doivent promouvoir leurs métiers d’autant plus qu’ils sont les seuls à savoir prévenir ces risques… Ce petit aperçu mérite des thèses si tant est que cette matière dynamique puisse être enfermée dans des écrits, malgré tout, essentiels parce que didactiques. Seuls vrais sponsors des potentiels de leurs communes, les maires doivent lancer des cas pratiques !



------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------