SNCF : le modèle TGV durement égratigné par la Cour des Comptes
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27/10/2014
27/10/2014
Voilà ce qu’on appelle un brulot : la sortie le 23 octobre passé d’un rapport de la Cour des Comptes intitulé « La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence » égratigne comme jamais le modèle du tout TGV en vigueur à la SNCF depuis plus de trente ans. Justifié ? Analyse…
La bataille du CO2
Les 50 pages du premier chapitre taclent toute une série d’arguments que l’on entend souvent prononcer dans les cénacles politiques. Y sont passés en revue le modèle français, les exemples étrangers, la part du TGV dans les déplacements et le bilan économique et environnemental. Ce dernier point cristallise une opposition des points de vue puisque le CEO de la SNCF fait remarquer (p.159) qu’il lui parait que « les points de vue exprimés dans le rapport ne reposent pas sur des études et des méthodologies d’analyse suffisamment documentées et solides ». Il est exact que l’affirmation (p.41) qu’une LGV est un projet peu efficient pour l’environnement, a de quoi interpeller ! Donnerait-on là des gages à la route ? Comme le débat sur le CO2 induit directement des actions de politiques gouvernementales (taxation, péage, écotaxe…), on ne s’étonne guère de la passe d’arme qui agite cette thématique au plus haut niveau…
Les chiffres ? Secret défense…
En revanche, le rapport confirme une évidence soigneusement occultée quant à la fréquentation, le public visé et les motifs de déplacements. D’une part, le rapport pointe le manque de données disponibles, objet d’une interprétation différenciée entre la SNCF et la tutelle étatique car la divulgation des chiffres toucherait le cœur confidentiel de la société ferroviaire dès l’instant où n’existe pas, dit-elle, un cadre de protection des données suffisamment robuste, surtout avec la perspective d’une éventuelle concurrence future. On doit donc se contenter de ce qu’il y a de global, où le rapport nous apprend que le TGV ne concerne que 7% des voyageurs mais tout de même 61% des voyageurs-kilomètres. On y apprend aussi que le parcours moyen est descendu de 600 à 450km en une quinzaine d’années, du fait de la multiplication des dessertes et des gares touchées.
Un paragraphe revient aussi sur l’apport du TGV sur l’économie régionale, une des grandes unanimités qui soude le monde politique. Cet apport est mis à mal et avait déjà été commenté à cet article, au niveau universitaire, et la Cour ne fait ici que confirmer.
(photo Next generation _via Flickr_CC BY-NC-ND 2.0) |
Coûteux TGV sur ligne classique
Ce qui nous mène à un constat qui va faire du bruit : les dessertes à rallonge sur le réseau classique où la SNCF paie un péage important alors que les rames se vident, par exemple sur le réseau breton ou en Languedoc-Roussillon. Les rames de TGV desserviraient ainsi 230 destinations et passeraient 40% de leur temps en moyenne sur les lignes classiques. Or on touche là au cœur du système TGV : il roule à grande vitesse sur infrastructure propre mais aussi sur ligne classique à vitesse… « classique ». C’est un point essentiel de la politique commerciale de la SNCF, le « train direct » sans rupture de charge, chère à toute une clientèle bardée de bagages et d’habitudes. La correspondance avec un TER, fusse-t-il climatisé et rapide, respire encore toute l’horreur chez beaucoup de clients, très méfiants. Et certaines associations d'usager reprennent en cœur ce credo.
« Le confort d’un trajet sans rupture de charge doit être mis en balance avec des taux d’occupation plus faibles et la mobilisation d’un parc important de rames coûteuses dès lors qu’elles ne sont pas utilisées à plein et à pleine vitesse sur l’ensemble de leur parcours » rappelle la Cour. Qui présente l’exemple japonais où le Shinkansen ne roule qu’en navette sur des liaisons dédiées, offrant un service à haut débit. C’est un peu ce que fait le Thalys sur Paris-Bruxelles ou les TGV cadencés sur Paris-Marseille.
En parlant des clients, le rapport semble se rapprocher du raisonnement du Ministre Emmanuel Macron qui avait maladroitement déclaré début octobre que « grâce aux autocars, les pauvres voyageront plus facilement ». Le TGV serait-il une affaire de riche ? Tout dépend de l’interprétation de ce qualificatif, sujet à polémique comme il se doit. Toujours est-il que les nouvelles modes sociétales comme le covoiturage ou le regain du bus longue distance ne sont pas à prendre par-dessus la jambe. Elles extirpent annuellement plusieurs millions d’euros tant à la SNCF qu’à la DB voisinne…
Qui détermine quoi ?
C’est le chapitre 2 qui nous définit les méthodes d’évaluation d’une LGV : approche à critère unique (monétaire) ou approche multicritères (englobant d’autres aspects comme la politique des transports…). On y apprend que la valeur monétaire du temps – gagné ou perdu – repose sur une étude du comportement des individus qu’il est difficile de synthétiser. Donc on prend une moyenne du coût d’opportunité du temps et on fait avec. Comme de plus la SNCF ne diffuse pas ses données de trafic…
C’est le chapitre 2 qui nous définit les méthodes d’évaluation d’une LGV : approche à critère unique (monétaire) ou approche multicritères (englobant d’autres aspects comme la politique des transports…). On y apprend que la valeur monétaire du temps – gagné ou perdu – repose sur une étude du comportement des individus qu’il est difficile de synthétiser. Donc on prend une moyenne du coût d’opportunité du temps et on fait avec. Comme de plus la SNCF ne diffuse pas ses données de trafic…
A un autre niveau, le rapport fait état du phénomène « d’éviction », les ressources absorbées par une LGV n’étant ainsi plus disponible en suffisance pour le réseau classique. Cette politique du « tout TGV » est l’inverse de celle établie en Allemagne, dans des circonstances différentes il est vrai. La DB a toujours cru au réseau classique, d’autant bien que le trafic marchandise et régional y est fort abondant. Les lignes nouvelles germaniques n'ont donc été construites que là où ce fut strictement nécessaire. Et puis comparaison n’est pas toujours raison, comme entre la géographie des deux pays, sensiblement différente.
(photo Guy Buchmann via Flickr_CC BY-NC-ND 2.0) |
L’emballement politique a conduit, dit le rapport, les toulousains à soutenir la LGV Tours-Bordeaux à condition de réaliser « sans délais » Bordeaux-Toulouse, avec appui réciproque des Aquitains. Cela a abouti à la signature de quatre protocoles d’accord ou d’intention entre l’Etat, RFF et les collectivités concernant le financement. Un point que dénonce la Cour pour qui « le processus décisionnel ne répond déjà que très peu à une rationalité économique ». Voilà qui va ravir les amateurs de débats sans fin et sans fond…
Les conclusions
En vrac : mieux intégrer la grande vitesse à la mobilité des Français, restreindre le nombre d’arrêts sur les LGV et les dessertes, faire prévaloir l’évaluation socio-économique des projets de LGV, concentrer en priorité les moyens financiers sur l’entretien du réseau, éviter les projets non rentables, prévoir un financement durable et un endettement stable dans le temps, etc.
Le rapport laisse sceptique sur certains points, comme l’empreinte carbone de la construction des LGV et le cantonnement des TGV sur les seules lignes à grandes vitesses, sans poursuivre au-delà vers de la desserte fine. Le remplacement par des bus sur certaines liaisons parce que les tarifs ferroviaires sont chers laissent tout de même songeur. cela a fait dire à Mediapart que la Cour avait pondu un rapport « biaisé » au bon moment pour briser de nouveaux tabous, prônant des recommandations « orientées », autrement dit libérales. Pour un média qui est tout sauf neutre, on passera…
Plus sérieusement, retenons comme l’a écrit Marc Fressoz, que ce sont les élus qui sont davantage pointé du doigt tandis que le nouveau message de la SNCF y est par contre encouragé. Lequel ? Celui d’actionner le frein au développement du TGV jusqu’aux confins de la France, un message qui passe forcément très mal auprès des Régions non desservies. Et pourtant, la dégradation des chiffres TGV ne permet plus toutes les illusions. Jusqu’ici, la SNCF a bénéficié des restrictions législatives qui s'appliquent aux autres transports concurrents, notamment les bus « grandes lignes ». Mais le vent tourne, et c’est l’argent et la concurrence modale qui dicteront demain l’architecture future du réseau.
A vrai dire, le retour des gains d’efficience et de productivité seront probablement aussi à trouver en interne, du côté de l’exploitation du système et de ses coûts de production, considérés comme élevés. L’expérience « Ouigo », pour l’instant encourageante mais toujours pas promise à grande échelle, semble montrer la (bonne) voie. On pourra ainsi atténuer l’effet « d’éviction » et réinvestir dans le réseau classique.
Le rapport de la Cour des Comptes en ligne à ce lien
A relire : la proximité plutôt que la grande vitesse
Le rapport de la Cour des Comptes en ligne à ce lien
A relire : la proximité plutôt que la grande vitesse
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