Service public, privatisation, statut des agents, attention aux slogans
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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02/11/2014
On lit souvent dans les médias et les forums des craintes plus ou moins avérées d’une « privatisation » des chemins de fer. Il semble que le terme « privé » ou « privatisation » soit un slogan utilisé à tort et à travers sans qu’aucun n’en connaisse la réelle définition. Voyons cela en détail sous forme de questions/réponses.
02/11/2014
On lit souvent dans les médias et les forums des craintes plus ou moins avérées d’une « privatisation » des chemins de fer. Il semble que le terme « privé » ou « privatisation » soit un slogan utilisé à tort et à travers sans qu’aucun n’en connaisse la réelle définition. Voyons cela en détail sous forme de questions/réponses.
A ne jamais confondre :
qui détient le capital ?
Toute société de transport a un capital de départ, qui
évolue au fil du temps. Le détenteur du
capital peut être une personne privée, une banque mais aussi…une autorité
publique, une commune, une province ou une région, voire l’Etat lui-même. La
SRWT, qui gère les 5 sociétés TEC en Wallonie (bus et tram), est détenue à 100%
par la Région Wallonne. La RATP parisienne est un Établissement
public à caractère industriel et commercial (EPIC) détenu à 100% par
l’Etat français, et non la ville de Paris. Ce sont donc toutes les deux des entreprises publiques dans leur forme juridique vu le caractère
étatique de leur capital.
Ryanair est détenue par six sociétés d’investissement, sans
aucun lien avec les deniers publics ni aucun management public. Il s’agit donc bien d’une entreprise privée. Elle paie des taxes pour
l’utilisation des services publics : le contrôle aérien et les
aéroports.
L’infrastructure ferroviaire
peut-elle être privatisée ?
Comme les routes, pratiquement jamais ! Les anglais y
ont cru et se sont cassé les dents. Ils en sont revenus à un réseau ferré détenu
par l’Etat. L’infra coûte très cher comme on l’a vu à cet exposé et le trop
long retour sur investissement n’attire pas les investisseurs privés. Et l’entretien ?
Ça c’est autre chose : on peut bénéficier de technologies et de concepts d’une
entreprise privée pour l’entretien de la voie, offrant le même degré de
sécurité pour moins d’argent dépensé. Par ailleurs, il faut un très gros trafic
sûr et certain sur le long terme pour envisager une infrastructure privatisée.
Un seul exemple : Eurotunnel…
Une confusion facile :
service public ou service social ?
Il y a là une confusion savamment entretenue. Le service
public est une activité exercée directement par l'autorité publique dans
le but de satisfaire un besoin d'intérêt
général. La définition qui entoure ce concept « d’intérêt
général » est soumise à interprétation politique, les besoins des uns pouvant
être contraire à ceux des autres, et vice-versa. S’agissant du chemin de fer, on
confond toujours service public avec « service social. »
Un service social est une activité directement liée à l’aide aux personnes, en l’occurrence les plus
vulnérables, dans les missions essentielles telles qu’avoir un toit, se
chauffer, manger, se soigner et vivre dignement. Le chemin de fer et les
sociétés de transport ne relèvent
clairement pas de ces missions de premières nécessités. Le chemin de
fer n’est qu’un service public, pas une bourse à l’emploi ni un prestataire
social.
La délégation de
service public (ou la concession)
Certains services publics sont dits régaliens : il s’agit des services essentiels comme la justice
ou le maintien de l’ordre public, qui ne peuvent être fournis que par des
agents de l’Etat. D’autres services ne sont en revanche pas essentiels à l’Etat
de droit, comme les transports publics car ils ne sont pas régaliens. L’Etat,
la Région ou la Commune peut alors gérer ce service de transport soit directement
(en régie), soit le déléguer à un prestataire.
Ce prestataire est soit une entreprise publique (SNCF, SNCB, CFF,...), soit une entreprise privée. C’est
là que se focalise le débat…
Quel est le statut du
travail ?
Au 20ième siècle, les personnes incorporant une
entreprise publique se voyaient attribuées le qualificatif « d’agent de l’Etat »,
pour lequel un régime particulier hors
du droit commun a été créé car la mission de ce personnel était basée sur
les ordres de l’Etat, un peu comme à l’armée. Son concept de base repose sur
une gestion fonctionnaliste et hiérarchisée avec une montée en grade
sanctionnée par un examen d’aptitude. Les choses ont depuis, fortement changé,
notamment lorsqu’on se mit à calculer les coûts par agents, faisant apparaître d’énorme
gaspillages en ressources, avec des métiers anciens devenus inutiles ou lorsqu’on
constate que certains agents travaillent bien plus que d’autres. En réalité, le statut ne poserait pas de problèmes si la réorganisation des entreprises ferroviaires s'avéraient plus faciles pour coller à la demande des clients/usagers. En Europe, certaines entreprises l'on bien compris, d'autres non...
Faut-il être de facto
agent de l’Etat dans un service public ?
C’est toute la question. Tout repose sur la tâche à
effectuer : régalienne ou non ? Agent assermenté ou pas ? Avec
un pouvoir d’autorité, de police ? Les choses ont beaucoup évolué depuis
les années trente avec le rôle de l’Etat. Faut-il être agent de l’Etat pour exploiter
un chemin de fer ? Pas
obligatoirement. Car l’exploitation ferroviaire repose sur l’application ferme
d’une série de réglementations et de procédures. N’importe qui, quel que soit son statut de
travail, moyennant des aptitudes complètes et reconnues, peut conduire
un train ou gérer le trafic en respectant la totalité des règles de conduite et
d’exploitation. Tel est le cas des conducteurs de train d’Eurotunnel, société
entièrement privée. Il n’y a donc aucune
différence dans la conduite d’un train selon que l’on soit de statut
privé ou agent de l’Etat. C'est le respect des procédures qui garantit la sécurité, pas la fiche de paie...
L’entreprise publique DBAG, les chemins de fer allemands au
capital détenu à 100% aux mains de l’Etat allemand, dispose actuellement de 230.000
cheminots dont seulement 34.000 statutaires
qui sont « gérés » par un organisme externe prenant en charge les « extras
et les surcoûts » du statut.
(photo de Kbrookes via flickr CC-BY-NC-ND 2.0) |
Mais alors, pourquoi
tant de fièvre chez les cheminots ?
Jadis, le corps cheminot était composé – hors ingénieurs - de
personnes faiblement, voire pas du tout diplômées. Le statut, comparé aux
règles du travail de droit commun d’époque, leurs offrait l’avantage absolu de
la garantie de l’emploi ainsi que des avantages en termes d’heures
hebdomadaires prestées, de jour de congé, de prestations différenciées en soins
de santé, de crédit hypothécaire avantageux, et in fine, en matière de pension.
Mais l’indice socio-économique du personnel a grandement évolué de nos jours et
on n’entre plus aux chemins de fer comme jadis, sans un diplôme minimal. Du
coup, le maintien de telles dispositions statutaires anciennes, alors que le rôle
de l’Etat s’est lui aussi modifié, est régulièrement jugé excessif de nos jours
par rapport à la majorité de la population active, qui n’en bénéficie pas…
En clair :
statut ou pas, un service public ferroviaire est-il faisable ?
Absolument ! Un
service public, c’est deux choses : un contenu et de l’argent public
pour le payer. L’équilibre entre les deux est une responsabilité politique.
Qui doit rendre le service au public
avec le budget convenu ? Là se situe la bagarre idéologique. En France, en
Belgique et au Luxembourg, il n’est admis que le seul le service public avec
personnel statutaire national. En Suisse, on admet du personnel statutaire cantonal
dans leurs trains dits « privés » (qui sont en réalité des compagnies
publiques détenues par les cantons…). Ailleurs, ce sont les provinces ou
régions qui gèrent et payent une délégation de service public, comme
expliqué plus haut, sans s’occuper du statut du personnel utilisé ou alors avec
des agents de statut régional plus proche du droit commun. Côté finances, les
clauses contractuelles définissent souvent un cadre budgétaire stricte. Dans
les meilleures configurations institutionnelles, tout dépassement de budget est
à charge du prestataire et pas du contribuable. Sur ce point, les Etats de l’Union
européenne proposent des solutions très diversifiées…ou ne proposent rien !
Les entreprises
publiques sont mieux armées pour la sécurité…
On repasse sans cesse le syndrome de l’Angleterre (Paddington,
en octobre 1999), pour masquer une triste suite : Eschede (DE), Zoufftgen
(LU), Buizingen (BE), Brétigny (FR) et St Jacques de Compostelle (ES) furent
des catastrophes du service public ! Liste complète à ce lien. La réalité :
un personnel bien formé et des règles parfaitement respectées, c’est ce qui garantit
avant tout la sécurité du personnel et des voyageurs. Rien d’autre à dire…
A lire : cet article de Slate.fr, datant de juin 2014
A lire : cet article de Slate.fr, datant de juin 2014