La grande vitesse américaine : elle sera californienne
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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Après de nombreuses années de controverse et de scepticisme concernant la grande vitesse américaine, l'Etat californien est enfin prêt à sortir de terre une LGV de San Francisco à Los Angeles. Qu'est-ce qui se passe vraiment en Amérique, le pays où la ligne à grande vitesse était juste considérée comme un jouet pour la vieille Europe? Analyse
Comme le dit Larry Gerston,
un expert politique de l'Université d’Etat de San Jose, au site web Contra Costatimes.com: « avant, vous ne saviez jamais quand on
pouvait vraiment y aller. Aujourd’hui, comme l’idée se précise de mile en mile,
il devient plus difficile de revenir en arrière ». C’est ainsi qu’eut
lieu en janvier dernier, à Fresno, une cérémonie qui fera date dans l’histoire
ferroviaire. Ce jour-là, la Californie inaugurait la construction de la plus
grande infrastructure de son histoire, une ligne ferroviaire à grande vitesse
qui relierait San Francisco à Los Angeles. Le rêve devient réalité ? Cela
dépend. Rêve pour les uns, cauchemar pour d’autres.
La Maire de Fresno, la
républicaine Ashley Swearengin, a déclaré soutenir le projet ferroviaire. En plus de mettre les
travailleurs de la construction au travail à court terme, Swearengin déclara
que le projet ferroviaire relierait la région agricole de la Central Valley avec d'autres secteurs de
l'économie de l'État californien. Le gouverneur Jerry Brown, 76 ans, qui en est
à son quatrième mandat, n’hésitait pas à déclarer au Washington Post :
« Nous devrions être en mesure
d'avoir au moins un train à grande vitesse (ndlr : aux Etats-Unis), et le seul
endroit où cela se passera dans notre vie, c’est en Californie ».
Comme chacun sait, la Californie est vraiment une terre d’avenir. Le projet
ferroviaire est estimé à 68 milliards de $ sur les 14 prochaines années, et la
section inaugurée en janvier ne fait que 29 miles. La première phase du projet
est prévue de Merced à Bakerfield comme le montre la carte ci-dessous :
L’ensemble du projet
atteindra le nord de Los Angelès en 2028, à Burbank. La suite du parcours à
travers la cité des anges, jusqu’à Anaheim,
est en revanche incertaine. Tunnel en vue, comme pour le fameux
corridor Alameda ? Cette LGV reliera San Francisco à Los Angeles en moins de
trois heures à des vitesses de plus de 200 miles par heure, soit dépassant 320
km/h. Les 836 kilomètres de ligne compteront 24 gares.
Historique
Les projets de train à
grande vitesse reliant le nord et le sud de la Californie avaient déjà été
proposés par le gouverneur Jerry Brown dans les années 1980, le même gouverneur
qu'aujourd'hui ! En 2008, les électeurs approuvèrent par référendum à 52,7% en
faveur de l’émission d’obligations pour ce qui s’appelle la « Proposition
1A » (the ‘Safe, Reliable, High Speed Passenger Trains Bond Act for the
21st Century'). A partir de cette date, les choses ont commencé à se préciser.
Le projet n’est cependant pas
sans controverses. Les gouvernements locaux, les opposants et les critiques du
système ferroviaire contestèrent les coûts et la légalité du projet et ont plusieurs
fois engagé des poursuites pour le bloquer. Avec comme conséquence que
l'acquisition de terres fût plus lente que prévu, ce qui retarda le début de la
construction de deux ans. La Cour suprême de Californie a ainsi encore statué
en octobre 2014 contre une action intentée par le comté de Kings qui aurait
bloqué la construction.
Qui s’en occupe ?
L’organe officiel du projet
est la California High-Speed Rail
Authority (CHSRA), créée en 1996, et responsable de la planification, de la
conception, de la construction et de l'exploitation du premier système de train
à grande vitesse des USA, et qui travaille avec les partenaires régionaux pour
mettre en œuvre un plan de modernisation ferroviaire à l’échelle de l'État qui
investira des milliards de dollars en lignes ferroviaires locales et régionales
pour répondre aux besoins de transport du 21ème siècle.
Un challenge financier
En 2008, le coût du segment
initial de San Francisco à Anaheim a été estimé par l'Autorité à 33 milliards
de dollars. Mais après de nombreuses années, les dépenses estimées ont grossis
pour s’établir à 53,4 milliards de dollars en 2011 et pour finalement atteindre
$ 68,4 milliards. Le dernier prix? Sûrement pas ! Dans ce genre de projet, les
dépenses actualisées ne reflètent pas toujours la réalité. Il suffit de se
référer au projet Eurotunnel ou de plusieurs lignes à grande vitesse en Europe,
quand il est de plus tenu pour acquis que l'écosystème à grande vitesse devient une machine à déficits,
comme en France.
Dans le monde anglo-saxon,
l’argent du contribuable est un thème qui agite la population bien plus
qu’ailleurs dans le monde. On n’hésite pas à affirmer qu’après les dépenses non
justifiées d’Obama dès les premières années de sa présidence, le peuple
américain a parlé fort et a renouvelé un Congrès devenu républicain pour
arrêter les gaspillages. Comment donc les autorités californiennes vont-elles
justifier une dépense de 68 milliards de dollars sur 14 ans ?
La première approbation en
2008 par les électeurs était une émission d'obligations à 9,95 milliards de
dollars. L'administration Obama a ajouté 3,2 milliards de dollars de
subventions fédérales, et le législateur a accepté en 2014 de fournir un
financement complémentaire par les impôts sur les gaz à effet de serre, susceptibles
de rapporter 250 millions à 1 milliard de dollars par année, ce qui nous fait
un total pour seulement 26 milliards de dollars, au mieux. La CHRSA a déclaré
s’attendre à une évolution des revenus publicitaires, de l'immobilier et des
investisseurs privés prêts à financer jusqu'à un tiers des coûts totaux. Au
cours des six derniers mois, l'autorité a remporté une victoire juridique
majeure qui permettra à l'Etat de vendre plus de 8 milliards de dollars en
obligations et a remporté son premier flux régulier de financement de l'État à
partir d'un programme qui perçoit des taxes contre les gros pollueurs de la
Californie.
Les travaux ont déjà commencé
Avant la cérémonie de
Fresno, la CHSRA avait déjà sélectionné en avril 2013 une offre de 985 millions
de dollars du consortium Tutor Perini Corp, Zachry Construction Corp et Parsons
Corp pour entreprendre des travaux de génie civil sur une première section de
47 km, de Madera à Fresno dans la vallée centrale. Cette fois les choses sont
réellement lancées.
Matériel roulant
La question du matériel
roulant est largement attendue. En Octobre 2014, selon International Railway Journal, la CHSRA aurait reçu 10 réponses à
sa demande d'expression d'intérêt pour un contrat de fourniture de rames à
grande vitesse et d’un centre de maintenance. Les soumissionnaires sont:
Transport Alstom;
AnsaldoBreda;
Bombardier Transit Corp;
CSR Corp;
Hyundai Rotem;
Transport Marnell;
Kawasaki Rail Car;
Siemens Industry;
SunGroup USA & World Harmony Ville /
CNR Tangshan Railway Vehicle Co;
Talgo.
L'Autorité prévoit que la
conception finale doit être une rame automotrice capable de rouler à des
vitesses allant jusqu'à 354 kilomètres par heure (220 mile / h). Il est
spécifié une longueur de 205m avec 450 places en First et Business comprenant
un pas entre sièges de 991 et 1067mm. Le poids à l’essieu ne peut excéder 17
tonnes, en droite ligne avec les spécifications techniques d’interopérabilité
de l’Europe. Avec une flotte pouvant atteindre 95 rames, il est clair qu’une
grande bataille commence…