Quel avenir pour la grande vitesse ferroviaire ?
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27/01/2015
Actuellement, 480 trains à grande vitesse rayonnent autour de la France et vers les pays du Benelux depuis Paris. En Allemagne, plus de 260 rames en cinq versions différentes appelées InterCity Express roulent à une vitesse de 250 à 300 kilomètres par heure. Treno Alta Velocita est le nom du train à grande vitesse en Italie qui fait front à un concurrent nommé NTV-Italo. L'Espagne a eu le plus grand kilométrage de lignes à grande vitesse en Europe. Récemment, les premiers travaux ont commencé en Californie tandis que la Chine continue sa titanesque exansion. Ainsi donc, la vie semble sourire pour le secteur du train à grande vitesse. En réalité, cela dépend. Voyons cela de plus près.
Actuellement, 480 trains à grande vitesse rayonnent autour de la France et vers les pays du Benelux depuis Paris. En Allemagne, plus de 260 rames en cinq versions différentes appelées InterCity Express roulent à une vitesse de 250 à 300 kilomètres par heure. Treno Alta Velocita est le nom du train à grande vitesse en Italie qui fait front à un concurrent nommé NTV-Italo. L'Espagne a eu le plus grand kilométrage de lignes à grande vitesse en Europe. Récemment, les premiers travaux ont commencé en Californie tandis que la Chine continue sa titanesque exansion. Ainsi donc, la vie semble sourire pour le secteur du train à grande vitesse. En réalité, cela dépend. Voyons cela de plus près.
L'irréversible déclin du chemin de fer ?
Jusqu'aux années 60,
personne ne pensait que l'avenir des chemins de fer serait à ce point menacé. En
cause, l’établissement de l’Etat-Providence après la seconde guerre mondiale.
Mais dans les années 70, la funeste idée d'un déclin irréversible des chemins
de fer fait son chemin, en partie parce que les gens étaient parvenus à un
niveau de vie suffisant en combinant pour leurs loisirs l’auto et l’avion. Le chemin
de fer devient alors le transport terrestre marginal et de nombreux plans sont
élaborés pour démanteler le réseau ferré. L’état d’esprit de l’époque se résume
au maintien d’une épine dorsale nécessaire pour les trains interurbains, mais
guère plus. Les Anglais se souviennent encore du fameux plan Beeching qui avait
identifié 2363 gares et 8000 km de lignes ferroviaire à fermer en
Grande-Bretagne. Le chemin de fer était dans une phase irréversible de déclin, proclamaient
tous les hommes politiques. Les subventions diminuèrent de façon spectaculaire.
La renaissance du chemin de fer
C’était sans compter avec la
ténacité de nombreux ingénieurs et de directeurs qui avaient foi en l'avenir. Durant
la période où sévissait la mentalité du déclin, ils étudièrent un nouveau
concept de train, aidé par la naissance des premiers trains à grande vitesse au
Japon, en 1964. Rouler à plus de 200 kilomètres par heure n’était alors plus un
rêve théorique, mais devenait une réalité. Une condition: rouler sur une
infrastructure particulière en mesure d'accepter un niveau de vitesse élevé. Ce
fût le but des français qui inaugurèrent leur premier train à grande vitesse en
septembre 1981. Tout à coup, le chemin de fer se retrouva avec une image de
marque qui le modifia de façon spectaculaire: la modernité des TGV enterra
définitivement le train vapeur sale et usé cher à nos grands-parents.
Renaissance?
Une expansion spectaculaire
Le premier pays en Europe
équipé d'un réseau à grande vitesse n’était cependant pas la France comme
mentionné, mais bien l'Italie, avec sa Direttissima
reliant Rome à Florence inaugurée en 1977 déjà. La vitesse de pointe sur la
ligne était alors de 250km/h tandis que le premier vrai service à grande
vitesse fût introduit entre 1988/1989 sur la ligne Rome-Milan avec l'ETR 450
Pendolino à 250 km/h. En France, la ligne Paris-Lyon en 1981 a été suivie par
la ligne Atlantique vers Tours et Le Mans (1989-1990) et, en 1993, le TGV-Nord
vers Lille et Calais était ouvert. En Allemagne, la ligne de 99 km reliant les
villes de Mannheim et Stuttgart a été officiellement inaugurée le 9 mai 1991,
tandis que les premiers trains ICE réguliers débutèrent leur service le 2 Juin
1991 entre Hambourg-Altona et Munich Hbf. Frecciarossa ETR500 de Trenitalia (photo de Ricardo Zappala via flickr CC BY-NC-SA 2.0) |
En avril 1992, l'Espagne à
son tour commence sa grande aventure ferroviaire du siècle, avec sa première ligne
à grande vitesse reliant Madrid à Séville, mais c’est surtout la première ligne
avec écartement standard (de 1,435 mm). En novembre 1994, le premier train à
grande vitesse reliait Londres au Continent, en partie sur ligne à grande
vitesse. Le succès de la France a encouragé la Belgique à construire son propre
réseau, où la première ligne L1 a été ouverte en 1997: ce fût le premier
service transfrontalier intégralement à grande vitesse au monde, reliant
Bruxelles à Paris en 1h25. Par la suite, le réseau à grande vitesse augmente
rapidement vers Marseille, Berlin, Naples, Amsterdam ...
En 2005, le gouvernement
espagnol annonçait un plan très ambitieux de réseau ferroviaire à haut débit
qui permettrait une majorité de gens de vivre à 50 km d'une gare ferroviaire à
grande vitesse. Environ 1000 km de voies nouvelles étaient prêts à l’exploitation
en 2015, l'expansion atteignant alors un tiers du réseau existant.
L'Espagne a débuté en avril 1992 avec la LGV Madrid-Seville (photo de Matthew Black via flickr CC BY-SA 2.0) |
Bataille contre l’aviation
Le défi majeur de la grande
vitesse ferroviaire reste de gagner la bataille contre les vols aériens
d’environ une heure, soit grosso-modo 1000 km. Avec une ligne à grande vitesse
entièrement établie sur le même trajet, il est possible pour les chemins de fer
d’abaisser les temps de parcours sous les trois heures. Des temps de voyage qui
demeurent une espèce de «frontière mentale» où les gens doivent choisir entre
le train ou l'avion. Cela impacte grandement sur la part modale des trains à
grande vitesse. Comme le rapporte une étude du MTI, le changement de mode en faveur
du TGV est le résultat d’une sélection du passager envers le TGV plutôt qu’un
autre mode, comme les avions ou les autos, parce que les avantages
concurrentiels de la grande vitesse offrent une plus grande valeur ajoutée et sont
perçus comme tels.
Le TGV en France a entraîné
une perte de 24% de part de marché de l’aviation et une réduction de 8% du
trafic automobile et des bus. Le meilleur exemple est le service Eurostar,
reliant Bruxelles, Paris avec Londres: la part modale est aujourd'hui de plus des
deux tiers. La liaison entre Paris et Marseille a grimpé de 22 à 70% de parts
de marché cinq ans après son ouverture. En Espagne, une perte modale de 27% a aussi
été observée pour les avions ainsi que 8% pour les voitures et les autobus.
Au Japon, les fameux Shinkansen
et les services interurbains détiennent 18% de l’ensemble des
passagers-kilomètres du trafic intérieur pour tous les modes de transport,
compagnies aériennes incluses. En 2014, les trains à grande vitesse roulaient
dans près de 24 pays, dont la Chine, la France, l'Italie, le Japon, l'Espagne
et Royaume-Uni. La flotte mondiale semble atteindre près de 3500 rames. Des
pays aussi peu probables que l'Arabie Saoudite, Oman, le Qatar et ... les
Etats-Unis veulent maintenant leur propre réseau à grande vitesse. Les travaux ont
commencé en Californie – on l’a vu dans un autre article - et ceux d’Arabie Saoudite sont en phase de
finition. Sans compter le développement du réseau en Chine ...
La grande question des coûts
La question des coûts doit
être considérée sur deux aspects: le coût de l'infrastructure et les coûts
d'exploitation. Les deux doivent être considérés séparément car ils ne sont pas
soumis à la même politique. L'infrastructure est un objet public, ouvert pour
tout le monde (les chemins de fer). Les coûts d'infrastructure font appel à la
puissance publique avec des fonds publics, parce que les montants sont
inabordables pour une entreprise privée, même dans le cas d'une concession,
comme aux Pays-Bas. Le dernier exemple en Californie démontre la nécessité de
fonds publics. Dans certains cas, des techniques financières telles que les PPP
peuvent être utilisés pour fournir davantage de fonds que l'État ne peut s’en
procurer. Dans tous les cas, les contribuables peuvent s’attendre à en supporter
les coûts et dans tous les cas, il n’y a pas d'autres alternatives.
Le deuxième type de coûts
est très différent. Les coûts d'exploitation incombent en effet au seul opérateur
ferroviaire. Généralement, ces coûts sont deux ordres: les coûts d'utilisation
des infrastructures (péages) et les coûts de fonctionnement du service des
trains (énergie, entretien, personnel de
bord, conducteurs, frais de marketing ...). Sur ce point, l'expérience a montré
que la gestion peut être très différente entre un opérateur historique et un
opérateur privé. Cela a même été démontré au sein de l’entreprise publique SNCF:
les rames TGV Ouigo fournissent bien davantage de kilomètres parcourus que les
«services de TGV classiques», tournant en permanence à 12-13 heures par jour au
lieu d’habituellement 6 heures. Cela impacte sur le processus de maintenance où
moins de trains doivent être mis à l'arrêt et où les règles de maintenance ont
dû être renouvelées.
Les temps changent en France
C’est The Economist qui le rapportait en août 2014 : la plupart des
lignes à grande vitesse en France en cours de travaux se font à perte et même
celles qui sont rentables ne gagnent pas assez pour couvrir les coûts de
construction. Cela oblige la SNCF à envisager de revoir complètement ce qui a
été un symbole de succès technique et commercial. Le Figaro précisait que la croissance de l'activité TGV a connu un sérieux coup de frein. En 2013, le
nombre de voyageurs a chuté de 0,7% alors qu'en 2012, il avait à peine
progressé (+0,1). Quant au chiffre d'affaires de la branche Voyages, il a
reculé de 1,4% et ne représente plus que 11,4% du chiffre d'affaires, soit le
niveau le plus bas jamais enregistré. De plus, entre 2007 et 2013, les péages avaient
augmenté en moyenne de 8 % par an. Des changements similaires ont été
enregistrés dans d’autres pays. Mais que s’est-il donc passé ?
Nouvelles modes sociétales
Les nouvelles habitudes sociétales
sont en ligne de mire. Ainsi, la vitesse ne semble plus jouer le rôle qu’elle
jouait hier. La "consommation alternative" est de plus en plus
fréquente et les gens veulent conserver leur style de vie, mais pas à n’importe
quel prix. Les produits à bas coûts occupent une place grandissante dans la vie
sociale et économique. Restaurants, voyages, voitures, assurances, produits
électroniques, immobilier, loisirs, habillement, alimentation : rien ne
semble pouvoir échapper au pouvoir d'attraction du low cost. Avec le low
cost, le client est en train de découvrir qu'il peut se procurer les mêmes
produits à un prix inférieur. Le covoiturage n’est plus un marché marginal
mais est devenu une vraie concurrence, tout comme les bus longues distances qui
sont dorénavant libéralisés. Cela signifie que les chemins de fer sont redevenus
un produit cher et tout le monde sait que Ryanair ou Easyjet ont très largement
transmis le message : aujourd’hui l’avion est moins cher et accessible à
tous.
Du côté politique, des
réformes structurelles et des remises en ordre des finances publiques sont adoptées
dans tous les pays, obligeant à prendre une série de mesures visant à concilier
l’augmentation des besoins avec les contraintes budgétaires et à rechercher,
dans le cadre budgétaire existant, une meilleure efficience. Cela concerne
aussi l’industrie de la grande vitesse ferroviaire.
Objectifs manqués pour la grande vitesse ?
A première vue on pourrait
le penser. Selon De Spiegel, en
Allemagne, la DBAG a déjà reçu 60 milliards d’euros d’argent du contribuable
pour financer sa rénovation, dépensant plus d'un tiers des subsides sur des
nouvelles lignes à grande vitesse comme le Cologne-Francfort et Nuremberg-Munich.
L'objectif politique n'a cependant pas été atteint. De 1994 à 2009, le nombre
de passagers sur les trafics grandes lignes a diminué, alors que le trafic de
banlieue et régional a augmenté, grâce à de lourdes subventions. Ce qui montre
bien que les citoyens se sentent davantage concernés par le transport régional
et local durable, parce que c’est leur milieu de vie, comme mentionné plus
haut. La basse vitesse remplacerait la haute vitesse ? C’est ce que pense
aussi la clientèle du bus longue distance, pour qui le prix est primordial par
rapport au temps de voyage. Alors, dans ce contexte, quel est le futur de la
grande vitesse ?
Plus du tiers des subsides qu'a reçu la Deutsche Bahn est passé dans la construction de ligne à grande vitesse (photo de Mundus Gregorius CC BY-NC-SA 2.0) |
La grande vitesse n’est pas morte
Le développement des chemins
de fer à grande vitesse rend encore la vie des gens plus facile. Vous pouvez
aller dans la matinée à Bruxelles et revenir à Londres dans l’après-midi. Vous
faites cela avec une empreinte carbone réduite. Bien sûr, tout le monde n’a pas
les mêmes besoins ni une vie «internationale». Mais sans trains à grande
vitesse, la même quantité de personnes utiliseraient les avions de ligne avec
une très mauvaise empreinte carbone. Il a aussi été reconnu que la crise devait
également être considérée comme une occasion d’engager plus résolument notre
économie dans la voie d'une société à faible intensité de carbone et économe en
ressources. La grande vitesse peut y aider mais il faut se rappeler qu’une
nouvelle augmentation de la vitesse ne permettrait pas de retirer des gains
importants alors que le coût de l’énergie, lui, augmenterait. Il est primordial
de revoir le modèle économique. La SNCF fait une tentative avec son service
low-cost Ouigo, alors que les constructeurs produisent des trains avec
davantage d’efficience, une basse empreinte carbone et davantage de sièges. Le
nouveau Velaro UK que Siemens a vendu à Eurostar propose 900 places sur 400m,
alors que « l’ancienne » rame n’en propose que 700 à longueur égale. Les
efforts sont de plus en plus concentrés sur l’amélioration de l’efficacité, de
la sécurité et de la sûreté, ainsi que sur la réduction des conséquences
environnementales. La réussite de la grande vitesse ferroviaire dépendra
d'une bonne planification des besoins et d'une combinaison astucieuse des outils
financiers. Il faut constamment chercher à faire mieux avec
moins.
La venue du train à grande
vitesse dans une ville doit être l'occasion de renouveler les quartiers de la gare.
Par exemple, à Birmingham, selon le site HS2
(Royaume-Uni), la grande vitesse ferroviaire a le potentiel pour stimuler
davantage la régénération continue du centre-ville. Cela dépend cependant
d'autres facteurs hors du périmètre ferroviaire, tels que la politique locale
d'urbanisation. Comme le mentionne un rapport de KPMG à propos de la HS2 au
Royaume-Uni, en changeant la connectivité offerte dans les West Midlands,
certains secteurs d'activité pourraient en bénéficier plus que d'autres. Par
exemple, l'amélioration des transports de passagers longue distance aidera à
créer un marché pour de nombreuses entreprises dans le secteur des services. Du
côté de l'environnement, les trains à grande vitesse sont alimentés par
l'électricité, de sorte que leur performance environnementale s’améliore, d’autant
plus si, avec le temps, l'électricité proviendrait de sources renouvelables.
Les nouvelles lignes à grande vitesse peuvent libérer plus de capacités pour le
trafic local et régional, et c’est précisément ce qu’exigent les citoyens,
comme nous l’avons vu plus haut. La question aujourd'hui est de savoir ce qu’il
serait prêt à payer pour son coût social. Et c’est précisément ce qui rend le
débat contemporain si intéressant ...