Fret : quelles recettes pour restaurer les petites lignes ?
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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30/09/2015


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C’est un débat sans fin : la viabilité des petites lignes ferroviaires semble souvent compromise s’il n’y a pas un fort soutien de la puissance publique. Pourtant, le service public n’a pas toujours été à la hauteur des enjeux économiques et en 2015, elle peine encore à offrir l’environnement juridique et financier pérenne, aux entreprises désireuses d’utiliser le train. Analyse.

Avant la SNCF : déjà des fermetures…
C’est toujours bon de le rappeler : dans les années 20 à 30, une première vague de fermeture de lignes touchait déjà certains charbonnages en cessation d’activité. Mais aussi les espaces de la France profonde, en phase de dépeuplement avancé dû à l’exode rural, un phénomène qu’a moins connu la Belgique industrielle. En 1938, année de création de la SNCF, 4.000 kilomètres de lignes supplémentaires sont encore déposée mais le réseau français totalise pas moins 45.000 kilomètres de ligne. Une deuxième grande phase de fermeture de lignes ferroviaire a lieu en France dans les années 60, et de nos jours, SNCF Réseau comptabilise un réseau de 31.000 kilomètres, dont on suppose qu’il s’agit bien de « lignes », et non de « voies ». On estime que 8 à 10.000 kilomètres de lignes demeurent en service avec ou sans trains.
La question vient alors fort logiquement de se demander ce qu’on peut en faire, à l’heure où, en France, le rapport Duron prône même de transférer certaines liaisons Intercités sur route.

Un taureau à nourrir
Une grande grande inquiétude pour le rail est que le chemin de fer  - comme tout transport – a besoin de clients pour survivre. Or les évolutions sociétales entamées dans les années 60 ont amené les industries à fermer boutique, à se concentrer, à se spécialiser par produit ou à déménager vers des contrées à bas salaires. Surtout, le nouvel ordre logistique en flux tendu et l’avènement du « client Roi », n’a pu être possible que par l'entremise des routiers, très réactif parce que des centaines de milliers d’emplois peu qualifiés sont en hyper concurrence chaque jour, infléchissant la courbe des coûts d’exploitation.

Exemple éclairant avec Le Parisien qui titrait récemment sur une inquiétude à Rungis, le marché de gros en fruits et légumes de l’Ile de France, un des plus grands d’Europe. Deux trains frigorifiques relient chaque nuit Perpignan à Rungis, mais le second n’est plein qu’à moitié, rendant le train, et donc le terminal « économiquement non viable » selon David Bourganel, directeur du développement de la société gestionnaire des lieux. Vient alors la question : pourquoi y-a-t-il encore des camions sur la même liaison que la SNCF ? « C’est plus flexible sur les horaires », confie un employé d’une société chargée de charger et décharger le train. Idem sur le coût : « Pour les grandes distances, les sociétés de transports emploient des intérimaires étrangers, avec des camions français, ça coûte moins cher », poursuit un autre. Le taureau manque donc de nourriture et cela semble être un véritable défis pour la SNCF d’être capable de remplir un train de fret.

Une infra à restaurer
Un autre exemple nous vient des Vosges, mais cette fois côté rails. La verrerie de Gironcourt-sur-Vraine, qui produit annuellement 1,2 milliards de bouteilles, a failli s’en aller si la petite ligne de 29km nécessaire à son transport n’avait pas été restaurée. Coûts : 5,14 millions d’euros au lieu des 7 prévus par SNCF Réseau, et cela grâce à une contre-expertise commandée par le préfet, très offensif sur ce dossier. Cet épisode nous donne la preuve qu’il existe des industries voulant utiliser le train et des autorités politiques qui prennent leurs responsabilités. Dans ce cas-ci, le taureau est bien nourri.


Restaurer les petites lignes et faire revenir l'industrie (photo de Catherine via flickr CC BY-NC-ND 2.0)

Oui, il existe des recettes
Au-delà des dix recettes déjà évoquées dans un autre post, la première chose est d’analyser les flux logistiques et les potentiels de fret transférables au rail. On peut alors prévoir un éventuel regroupement au départ d’un hub, le hub pouvant être tout simplement un zoning industriel. Il reste alors à effectuer le transport dans des conditions de prix et de qualité raisonnable : les OFP, les Opérateurs Fret de Proximité, sont mieux armés pour ce travail très varié, les grandes distances pouvant être couvertes par l’entreprise historique ou de nouveaux entrants.

Au-delà de cela, il y a l’implantation des industries et des entrepôts logistiques, très souvent non loin d’une autoroute, mais si loin du train. Mais parfois certains entrepôts, qui ont un trafic de centaines de camions par jour, côtoient le chemin de fer…sans y être raccordé ! Parfois, c’est faute d’entente avec le réseau ferré. Ainsi, la halle de 35.000m2 de Saint Gobain au nord de Paris, dont Les Echos rapportait que si Saint-Gobain privilégiait les camions, c’est par regret d’avoir échoué à connecter son centre commercial au réseau ferré, alors que la distribution fine en ville et la problématique des « derniers kilomètres » sont en plein débats. Le distributeur associe cet échec au refus de l’ex-RFF, devenu SNCF Réseau, sans donner davantage de détails. Il est donc impératif de se parler, et de mettre tout le monde autour de la table pour accoucher de solutions pérennes.

Le potentiel de petites lignes qui pourrait accueillir de nouvelles industries utilisatrices du rail semble important, mais doit faire face à la législation environnementale de plus en plus stricte, au manque de fiabilité des entreprises ferroviaires historiques, au manque de vision des industriels et des politiques, ainsi qu’au manque criant de fonds pour restaurer un réseau qui pourrait être viable, à l’exemple des Vosges, sans coûter des milliards et en revoyant les méthodes de maintenance et d’exploitation.

En savoir plus : Global Rail Network