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18/10/2015

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On en entend souvent parler. L'Opérateur Fret de Proximité (OFP) est un opérateur disposant de ses moyens propres, matériel et humain, et qui effectue des prestations ferroviaires locales : traction des trains, tri, poussage vers les entrepôts, composition des rames. Les OFP ont aussi vocation à transporter des lots de wagons ou des trains déjà massifiés jusqu’à ou à partir d’un point d’échange avec un opérateur ferroviaire longue distance qui prend le relais. L’OFP se distingue des grandes compagnies ferroviaires historiques par une structure administrative légère et par la flexibilité de son personnel et de son exploitation. Il peut ainsi réagir aux fluctuations de la demande, sans devoir planifier annuellement. Un OFP doit être titulaire de deux autorisations : une licence d’entreprise ferroviaire et un certificat de sécurité. Moyennant quoi l’OFP est autorisé à circuler sur le réseau du gestionnaire national d’infrastructure.

Les actionnaires
Les OFP ne sont pas spécifiquement des sociétés privées et beaucoup ont pour actionnaires des collectivités locales ou portuaires, désireuses de s’affranchir des lourdeurs des compagnies ferroviaires historiques. Ainsi, l'OFP allemand WLE qui compte, à l'est de Dortmünd, plus d'une dizaine de villes et de collectivités comme actionnaires (voir la présentation de cet OFP). Ces sociétés sont très clairement des leviers de développement de l’industrie locale et régionale, d’où leur importance grandissante. Mais comme de coutume, le traitement social réservé au personnel s'est invité malgré lui dans un débat idéologique qui est principalement porté par la France, dès qu'il s'agit d’égratigner quelques pourcentage du centralisme de la compagnie historique. Les autres pays regardent cela avec une certaine étrangeté…

Mais qui sont donc ces sociétés ferroviaires locales en Europe ? 
En 2014, il y avait malgré tout neuf OFP en France, dont sept territoriaux : CFR Morvan, TPCF Régiorail, RDT 13, Bourgogne Fret Service, Ferovergne, Agenia (Tarn), Broceliande Fret entreprises et deux portuaires : OFP Atlantique (Saint-Nazaire, la Rochelle) et Normandie Rail Services (le Havre). Des grandes entreprises du fret ferroviaire sont aussi actives en tant qu’OFP dans certains endroits (comme OSR à Strasbourg). En Allemagne, on en compte plusieurs dizaines actives dans tous les Länder.  La Deutsche Bahn connaissait d'importantes difficultés financières (dette de 33 milliards d’euros et déficit en 1993 de 8 milliards d’euros). L’opérateur historique s’est restructuré et modernisé alors que pénétraient sur le marché des concurrents privés, qui sont aujourd’hui au nombre d'environ 70 entreprises.Il faut dire qu'il existe en Allemagne, une longue tradition de compagnies ferroviaires locales. Au 19ème siècle, pour soutenir l’activité économique naissante, de nombreuses collectivités ont acheté des trains et monté des réseaux ferrés secondaires avec pour objectif de raccorder les usines locales aux ports ou aux grandes lignes de chemins de fer d’Etat. Aujourd’hui : les Länder (ou les communes sont présents au capital d’un opérateur de fret ferroviaire sur cinq. L’autre avantage réside dans un tissu industriel dense et surtout très décentralisé, contrairement à la France où l’activité est concentrée sur l’Ile-de-France et autour des principales agglomérations.  Les OFP, qui ont récupéré 2000 km de lignes, peuvent aller jusqu’aux grandes gares de triage du réseau allemand. Ces quelques kilomètres supplémentaires ont parfois suffit à massifier les flux et donc à faire baisser les coûts. Sur certains trajets locaux, les prix ont perdu 30 %.

WLE, un OFP allemand qui s’adapte à tous les trafics (Photo de Kuknauf via flickr CC BY-ND 2.0)

Des débuts difficiles sur fond de méfiance
Les OFP n'ont pas été accueillies comme il 'aurait fallu au début de leurs activités. Et pour cause : elles furent accusées de manger les tartines du service public. Comme le rappelle la Lettre Ferroviaire en 2014, lorsque la DB a rationalisé son réseau de wagon isolé, l’entreprise n’a pas souhaité d'emblée coopérer avec des opérateurs locaux qui proposaient d’exploiter la collecte ou la distribution des wagons autrement, avec un modèle adapté, plus facile à fournir pour une PME de proximité que pour une entreprise de stature nationale. Mais l’approche économique gagnant-gagnant a finalement pris le dessus et évincé les pratiques historiques monopolistiques. Aujourd’hui, DB Schenker Rail recourt aux services d’OFP si l’équation économique le permet.

Mais d'autres éléments doivent aussi être pris en compte. David Feige, chargé d’études à l'association française Objectif OFP énumère: « La survie des OFP (ndlr en France) n’est pas uniquement entre leurs mains, d’où la mission d’Objectif OFP. Les OFP arrivent aujourd’hui à dégager de faibles profits mais leur modèle économique reste fragile. De nombreuses contraintes réglementaires et juridiques pèsent sur leur développement. Ainsi, les règles proscrivent aux OFP d’acheter du matériel roulant amorti, d’adapter l’entretien et la circulation des voies à l’utilisation « fret » qui en est faite pour baisser les coûts de maintenance, ou d’emprunter de l’argent aux bailleurs publics (Oséo puis BPI) pour des dépenses de fonctionnement. Ces limitations sont très contraignantes pour les OFP qui doivent obéir aux standards d’un marché taillé pour les grandes entreprises. Parmi les menaces pesant sur les OFP, l’ajout de contraintes supplémentaires, telles que la suppression de la subvention aux sillons fret ou l’obligation d’embarquer à bord du matériel roulant des solutions coûteuses tel que l’ERTMS sont suivies avec attention.»

Regiorail, actif dans le sud de la France (phot Alex Cortéz via flickr CC BY-NC-ND 2.0)
La problématique des sillons horaires
En France, le processus d’attribution des sillons frets par SNCF Réseau n’offre pas aux opérateurs ferroviaires la visibilité et l’adaptabilité nécessaires pour proposer aux entreprises un service compétitif. Les sillons alloués sont distingués entre sillons fermes et précaires : la disponibilité des sillons précaires n’est levée que dans un deuxième temps (73% des cas sont réglés un mois avant la date de circulation). En 2014, 92% des sillons alloués étaient fermes (contre 85% en 2012). Pourtant, les sillons dits « fermes » ne sont pas alloués de manière définitive et ils seraient, selon les opérateurs, régulièrement annulés par SNCF Réseau, ce que conteste cette dernière.

Au Royaume-Uni, le gestionnaire du réseau ferré, la Network Rail est soumis à de strictes obligations envers les opérateurs ferroviaires. Tout refus d’attribution d’un sillon doit être justifié. Lorsqu’un opérateur demande un sillon de dernière minute, le gestionnaire a l’obligation d’y répondre dans les deux jours. Lorsqu’un sillon est refusé, l’opérateur peut saisir un médiateur, le controller. Enfin, la coopération entre les opérateurs est recherchée, les entreprises ferroviaires peuvent entrer en contact pour modifier leurs plannings et optimiser ainsi la réservation des sillons.

Diversifications
En dépit de ces développements, les OFP restent fragiles. Leur modèle économique tient, pour la plupart d’entre eux, à la poursuite dans le temps des trafics qu’ils assurent actuellement. Tout entrepreneur sait combien la diversification ses activités et de son portefeuille est essentielle afin d’éviter d'être dépendant d'un seul client, qui risque de faillir (voir l'exemple de Valvert, en Belgique). Mais est-ce transposable dans le transport ferroviaire de proximité ? Ils cherchent en conséquence des voies de diversification pour réduire cette dépendance. Cela peut être l’entretien des voies comme en Allemagne où une seule société de taille réduite (9 personnes) prend en charge 200 km. Cela peut être aussi un travail en réseau avec d’autres OFP permettant, ainsi, d’assurer une chaîne logistique complète. Parmi les autres activités possibles déjà mises en œuvre par des opérateurs figurent la maintenance d’engins moteurs, l’entretien de voies portuaires ou départementales et la prise en charge de manœuvres pour le compte d’opérateurs privés.

Les OFP, en dépit de leur fragilité, peuvent apporter réellement une plus-value au transfert modal et de nombreux exemples le démontrent. Encore faut-il leur en donner les moyens et entonner le refrain du renouveau ferroviaire sans idéologie...