Train contre Infrastructure : un très mauvais calcul
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23/10/2015

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Pourquoi le train coûte-il si cher ?

Note : ces propos n'engagent que l'auteur

Ce mardi le chemin de fer belge se retrouvait en commission parlementaire à la Chambre. A cette occasion, l'infrastructure ferroviaire semble avoir été quelque peu malmenée, le tout dans une ambiance gouvernementale à budget contraint où 3 milliards d’économie sont demandés d’ici 2019. Recadrons un peu un débat train contre infrastructure qui dépasse la seule sphère belge.

Un dangereux précédent
Qu’on se le dise : le réseau ferroviaire, reconstruit à la va-vite après la seconde guerre mondiale, n’a été modernisé que sous l’angle des électrifications et de la signalisation. Pentes, courbes, tranchées – et même certains passages à niveau – sont restés en l’état depuis la construction de ces lignes au XIX siècle ! Cà et là, des rectifications ont eu lieu et des ponts enjambent les voies. Cà et là, des gains de vitesse ont été obtenus et des voies améliorées. De nombreux passages à niveau ont disparus et ont été remplacés par des ponts. Le réseau est-il dès lors moderne ? Oui, sans aucun doute, et des efforts sont fournis quotidiennement en ce sens . On retrouve ailleurs en Europe, des scénarios identiques.

Le train d’abord, c’est plus sexy
Depuis toujours, les chemins de fer orientent leur marketing sur leur objet fétiche : le train. Dans les années 60, on a ainsi développé les Trans-Europ-Express pour oublier la naissance de l’aviation commerciale, puis on a généralisé les trains plus ou moins climatisés dans les années 80, et maintenant, ce sont les trains double-étage qui se généralisent avec, cà et là, le wifi à bord. Pour résumer, et à l’exception notable du TGV : on a amélioré la BMW – le train -, quitte à le faire rouler sur des pavés – la voie ferrée. Motif avoué : les gens se fichent de la voie, la première chose qu’ils regardent, c’est le train et son confort. Alors, la voie....

Vieille infrastructure contre train moderne. Vision d'avenir ? (photo Mediarail.be)

Pas de bons horaires sans infra
Un nouveau matériel roulant garanti-t-il de facto des trains à l'heure ? A fortiori non, car les trains à l’heure, c’est pour partie l’affaire des capacités des voies, de graphiques horaires et donc d’exploitation du réseau, donc une affaire d’infrastructure. Une infrastructure qui doit être bichonnée. L’autre moitié, c’est un matériel roulant entretenu comme il le faut, selon un modus-operandi ad-hoc. Le respect des horaires est donc une affaire structurelle, suggérant une modification des procédures et des méthodes de travail, ce qui chatouille comme il se doit les oreilles syndicales, très à crans sur ce thème.

A quoi sert l'infrastructure ?
Faut-il alors couler du béton pour couler du béton ? Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Le nouveau matériel roulant demande parfois des adaptations de la caténaire, dans la capacité à fournir du courant. En France, on se souvient par ailleurs des adaptations nécessaires de certaines hauteur de quai, héritage des compagnies d'antan. Par ailleurs, ce sont les missions assignées aux trains qui déterminent le graphique horaire. Un mélange d'omnibus et d'express détériore forcément la capacité en lignes en faisant chuter le nombre de trains par heure. Voilà pourquoi des quadruplements de voies sont nécessaires, comme pour le RER de Bruxelles : trains rapides au centre, trains omnibus RER sur les côtés, là où il y a les quais. Et cela coûte cher, très cher, mais ce sont des investissements à très long terme, nécessaires pour garantir à l'avenir une croissance du trafic.

Les compagnies ferroviaires ont besoin de subsides pour l'exploitation des trains, et ont une propension maladive à faire l'impasse sur l'infrastructure. Une erreur ? Assurément. Il ne peut y avoir de bons trains s'il n'y a pas de bonnes infrastructures. Le renouvellement de la signalisation, la mise à quatre voies de certaines lignes témoignent d'une évidente politique de croissance des capacités, bien nécessaire pour préserver l'avenir.

La dette ? Même pas peur !
A décharge, nous dirons aussi que le politique n'aide pas vraiment le rail européen à s'en sortir. L’effort devant être collectif, les chemins de fer ne feront pas exception, comme ils n’ont jamais fait exception du temps où ils étaient une administration d’Etat, à l’époque de bon-papa. Et la dette ne semble pas émouvoir les politiques plus que cela, que ce soit en Belgique ou ailleurs. Le rail demeure, comme l’armée, l’enseignement, la justice, une variable d’ajustement des finances publiques. Une maladie répandue dans toute l'Europe.

En Suisse, au royaume mondial du rail, les CFF doivent assumer les coûts qui dépassent les 6,6 milliards de CHF convenus dans la convention sur les prestations (CP) 2013 – 2016. Pourquoi ? A cause d’une baisse des revenus tirés d’un fond prévu à cet effet. Dans une parfaite langue de bois très helvétique, «  les CFF devront assumer l’année prochaine les surcoûts de l’infrastructure ferroviaire. », écrit la tutelle. Comment ? « En péjorant le degré de couverture des dettes des CFF » et en procédant à des économies de coûts et à une diminution des bénéfices, rien que cela…

En France, le dramatique accident de Brétigny en juillet 2013 a fait tourner le vent : fini les projets de TGV époque mitterrandienne et focus sur le réseau existant, particulièrement en Île de France. Las, l’Etat n’a pas d’argent et ne peut emprunter comme il le souhaite, alors que SNCF Réseau investira 2,14 milliards d’euros pour la maintenance et 2,77  milliards pour la rénovation, soit deux fois et demie plus qu’en 2007, rappelle Les Echos. Pour un chiffre d’affaires de 5,9 milliards d’euros, SNCF Réseau promet une baisse de ses coûts et de ses achats de 500 millions d’euros d’ici 2020, en revoyant notamment ses coopérations avec ses fournisseurs et ses méthodes de travail. Rebelote…

En Allemagne, qu’on ne présente plus, la Deutsche Bahn va investir dans les cinq prochaines années 28 milliards d'euros 2015 – 2019 dans ses infrastructures. De 2015 à 2019, elle doit remplacer 17.000 km de voies, 8.700 aiguillages et au moins 875 ponts. Quelles lignes ? Les grands axes, les régionales ? Mystère. La part fédérale monte à 20 milliards d'euros et sera constituée des fonds budgétaires et des paiements des dividendes… de la DB. « Tout ce qui est gagné sur le chemin de fer est réinvesti dans le rail », déclare le ministre Alexander Dobrindt. Fort bien, mais où sont les 8 milliards manquants ? A trouver dans des économies au niveau de la structure interne du groupe…

Conclusions
Ne pas investir dans la voie, c'est manquer singulièrement de vision d'avenir. Pas de bons trains ni de bons services sans infrastructure. Le chemin de fer est un écosystème délicat, qui a besoin d'infrastructures au top niveau. Or, l'infra est extrêmement capitalistique et demande une vision budgétaire et un planning de maintenance à long terme dépassant plusieurs législatures. Mais les finances publiques et la politique étant prioritaires, une tendance se dessine à vouloir moins investir dans les rails et davantage dans les trains. Jusqu'aux prochaines pannes ?