La signalisation pour non initiés
Le dernier accident de Godinne ce vendredi 11 mai aura encore provoqué son lot d'interrogation sur les questions de sécurité et de signalisation. Et pour éviter les mélanges, reprenons les choses pas à pas.
A l'époque vapeur, la signalisation était surtout mécanique, c'est à dire que l'on actionnait un signal munis de palettes via tout un lot de câbles depuis un petit poste situé pas bien loin. Comme à chaque bifurcation de lignes il y a des aiguillages, on trouvait là d'office un poste avec un signaleur. C'est la raison pour laquelle il y avait de si nombreux bâtiments aux chemins de fer vu qu'une seule gare ayant deux côtés, il y avait au minimum un poste de signalisation par côté. La quantité de postes dans les années 30 était impressionnante.
Après la guerre, les progrès de l'électrotechnique rendent inutiles les signaux par palettes, qui sont dès lors remplacés par des signaux lumineux actionnés depuis un seul poste par gare, et non plus deux ou trois. Gain évident dans la quantité et dans la sécurité et les progrès augmentant, on rationnalisa de plus en plus les postes de signalisation au point de n'en trouver aujourd'hui plus que 200 pour tout le réseau. Un seul poste gère 15 à 20 kilomètres de ligne, c'est la technique dite "Tout Relais".
Une parenthèse s'impose pour la conduite des trains. Depuis l'époque vapeur, il apparaissait déjà que des signaux étaient peu visibles (courbe, pile de pont...). Après la guerre, vînt l'idée de transmettre dans le train une petite sonnerie différant selon l'aspect du signal. Pour y arriver en cette époque sans informatique ni radio, on place un appareil de 3,20m de long entre les rails, appelé "crocodile" (voir ci-contre). Une brosse sous chaque locomotive vient caresser le crocodile et reçoit une tension : négative ou positive. Un signal donne trois aspects : vert, jaune (ralentissement), rouge (arrêt). Et c'est là qu'un choix fatal intervient : la SNCB renvoie à bord du train une sonnerie différente selon le vert ou le jaune... mais pas le rouge ! Pourquoi ? Parce que lorsque le signal est rouge, le crocodile est tout simplement hors-tension, il n'y a rien. En clair, lorsque la locomotive et sa brosse caresse un crocodile avec un signal au rouge, comme il n'y a aucune tension, rien n'apparait ni s'entend dans la cabine de conduite. Une polémique interne et historique court toujours sur les raisons de ce choix. Car de manière logique, c'est le vert qui n'avait pas besoin de sonnerie, vu que c'est l'option la plus sécuritaire en matière de circulation ferroviaire. Les deux tensions disponibles - négative et positive - ne devaient s'appliquer QUE pour les dangers, soit le jaune ou le rouge. On laissa néanmoins les choses en l'état pour mille raisons difficiles à détailler dans cette chronique.
L'électronique arrive
Dans les années 80, l'électronique a déjà fait de vastes progrès et permet d'aller bien plus loin dans la transmission d'information entre la voie et la locomotive. Beaucoup s'interrogent encore pourquoi on n'a pas utilisé d'emblée la radio. C'est que la radio est un support simple ne permettant pas de transcrire des chiffres et surtout de contrôler des vitesses, car il faut utiliser des algorithmes extrêmement lourds. Il était plus judicieux de transmettre un petit paquet d'information ponctuellement, via un cadre faisant office de balise au pied de chaque signal (voir photo). Ainsi naquit en Belgique la TBL - Transmission Balises Locomotives - dont les développements connurent plusieurs versions que l'on ne détaillera pas ici. Sachez simplement qu'au moment où la SNCB - encore unitaire - s'apprêtait à généraliser son système, l'Europe de Maastrich, vînt mettre ses talents dans la grande marmite ferroviaire.
Une Europe, une seule norme
C'est un constat : l'Europe du rail n'est pas interconnectable car chaque réseau utilise ses propres technologies en matière de filtrage de fréquences Hertz selon le courant utilisé dans la caténaire. En effet, l'électricité est une source énergétique géniale mais provoque des perturbations électromagnétiques différentes selon qu'on ait à la caténaire la tension de 1500, 3000, 15000 ou 25000 volts. Voilà pourquoi chaque réseau s'est prémuni lui-même de ces dangers en optant pour des techniques de sécurité qui le concernait. Comme en plus de cela tous les réseaux étudiait également un système de transmission via balises ou boucles dans la voie, l'Europe - qui en avait désormais le pouvoir - mis fin à la dispersion des études en regroupant les recherches et en les finançant en partie. Au bout d'une dizaine d'années, on accoucha de l'ERTMS, un projet vaste qui dépasse la simple transmission des données voie-locomotive mais remet à plat tout le système de signalisation ferroviaire.
ETCS
De cet ERTMS découle l'ETCS - l'European Train Control System - qui devient la norme de signalisation unique pour toute installation nouvelle ou renouvellement. Ce système reprend le principe de transmettre depuis des balises des informations vers la locomotive, mais avec un message informatique binaire dûment uniformisé, ce qui est tout nouveau dans le monde ferroviaire. Pour ce faire, un logiciel a été créé depuis quelques années mais a connu plusieurs version. La version 3.0, très attendue pour fin 2012, est dorénavant gérée par l'ERA - l'European Railway Agency - sise à Valenciennes, et qui le seul organe européen compétent pour valider les modifications et transmettre les documents nécessaires à son application.
Dans les faits, l'ETCS permet au conducteur d'obtenir sur écran une vitesse maximale autorisée. Lorsqu'un signaleur le décide, un message est envoyé à la locomotive et un cercle jaune apparait sur l'écran du conducteur : celà indique à quelle vitesse il doit descendre, et peut ainsi immédiatement entamer son freinage. Dans l'exemple ci-contre, on voit que le cercle jaune est apparut entre 160 et 80 km/h : c'est à cette vitesse que doit maintenant descendre le conducteur. A gauche, une barre grise avec la chiffre "900" indique qu'il a 900m pour exécuter ce freinage. Au-delà de 900m, s'il est encore au-dessus de 80 km/h, une alarme s'enclenchera et l'arrêt d'urgence sera prononcé. Le train sera alors immédiatement stoppé. Ce système très sécuritaire coûte très cher, tant à bord des locomotives anciennes qui ne l'ont pas (près de 100.000 euros par locomotive), que le long des voies où des balises et des mats GSM-R doivent être installés. Vu les coûts astronomiques, l'Europe a décider ne commencer que par quelques grands axes structurant le continent : ce sont les "Corridors ERTMS". Le Danemark a été le premier pays à décider de remplacer toute sa signalisation actuelle par de l'ETCS 2. La Belgique, elle, le fera aussi pour 2025 voire 2030. En attendant, un système plus light et moins cher - de transition - appelé TBL1+ sera installé afin de diminuer les coûts sur les locomotives dont certaines partiront à la ferraille dans les dix ou quinze prochaines années.
Voir la suite : TBL1+ et ETCS chez Infrabel
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