L’analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation
Pas simple pour le non initié de
s'y retrouver. Depuis début 2012, la presse helvétique critiquait sévèrement
les Pendolino de Fiat Ferrovia (voir par ailleurs),
au point que les CFF décident de les retirer définitivement dès 2014, ce qu'a
confirmé un de leur communiqué. D'un autre côté, un manager des CFF venu en
Belgique s'étendait sur la possibilité d'un consortium à quatre pour gérer le
trafic Pendolino Bâle-Luxembourg-Bruxelles. Un consortium qui fait drôlement
penser au Cisalpino dont la société fut liquidé par les CFF eux-mêmes en
décembre 2009. Alors, kézako ?
Matériel ou pendulation ?
Ramenons d’abord les échos de la
grande presse à leurs justes proportions. La première chose est de définir ce
que rejettent les suisses : le matériel ou la pendulation ? A priori pas la
pendulation. En dehors de l'ETR 470 et l'ETR 610, circulent en effet des rames ICN (Intercity-Neigezug
en allemand) "purement" suisses acquises en 1999-2000 avec un
système d'inclinaison conçu par la firme SIG. Ce matériel ne semble pas avoir
fait l'objet d'autant de critiques que ses cousines italiennes, en dépit du mal
de mer d’une petite minorité d’utilisateurs. Cependant, selon certaines sources
CFF, maintenir un taux élevé de leur fiabilité coûterait très cher à
l’entreprise ferroviaire, ce qui inciterait la direction à ne plus poursuivre
dans ce système. Preuve d’une fiabilité sur le fil du rasoir, les ICN circulaient
sur une ligne de plaine dite « pied de Jura » (Genève-St Gall) et furent un temps exclues des lignes sinueuses avant de les lancer malgré tout sur le Gothard. Un signe qui ne
trompe pas et la ligne suisse du pied de Jura ressemble en quelques points à la
ligne ardennaise Bruxelles-Namur-Luxembourg ou à l’axe
Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT). On aurait donc pu transposer l’ICN
ailleurs, mais il n'est plus construit depuis le rachat de l’industrie suisse
par des majors du secteur.
Côté matériel, c’est clairement
l’ETR 470 qui est en ligne de mire. Le 610 semble aller « un peu
mieux » mais n'avait pas plus les faveurs de la direction du
matériel des CFF. La Direction, sur base l'expérience de leur circulation sur Milan-Bâle et Genève, revint cependant sur leur décision et ont commandé huit de ces rames Alstom au milieu de l'année 2012. Dès lors, les
espoirs belges pourraient se tourner vers ce matériel, bien que connaissant les désideratas du cahier charges, des surprises peuvent apparaître dans le choix final. Car les ETR 470 ont fait des petits en Tchéquie, en Slovénie,
en Finlande, au Portugal : c’est le même matériel avec une appellation
différente. Et surtout des exploitations différentes. On constate ainsi avec
amertume qu’in fine le Pendolino se maintient correctement sur des lignes…pas
trop sinueuses où les efforts sur la voie sont réduits au minimum, soit
l’inverse de ce à quoi il était initialement destiné.
Cher à l’entretien
Reste un autre point
critique : la liquidation de la société Cisalpino en décembre 2009 résulte
de différences culturelles fondamentales dans l’entretien des véhicules. C’est
que les systèmes de pendulations demandent une maintenance supérieure au
matériel classique dont ne se seraient pas acquittés avec brio les italiens. Le
taux de disponibilité des ETR s’est alors révélé « exécrable » et les
CFF ont décidé de ne plus coopérer avec le voisin latin. Sur le Lyon-Turin avec
ETR 460, qui aura duré quatre ans, la pendulation était inactive une fois sur deux,
une aubaine pour la SNCF qui n’en voulait pas vraiment et devait faire face à
une fronde « pro-pendulation », parade des écologistes pour s’opposer aux
lignes nouvelles TGV…
Souffrances de la voie
Le sujet de l’infrastructure est
particulièrement snobé par les décideurs politiques et on les comprend. Il
n’est pas bon d’avouer les coûts engendrés par le passage du train pendulaire.
Ils sont de deux ordres : le renforcement préalable de la voie (ballast,
capteurs, signalisation) et les coûts d’entretien (surveillance renforcée, fréquence
des bourrages, usure du rail supérieure à la normale). Tout cela coûte certes
moins qu’une ligne nouvelle au kilomètre, mais ils sont à mettre en perspective
avec le gain de vitesse réel engendré. Or ce gain est directement lié à la
réussite commerciale d’une liaison ferrée. On peut sans conteste affirmer que
le train pendulaire ne videra jamais les autoroutes, loin s’en faut.
Trop d'efforts dans les courbes (photo Rail Technology)
Côté technique, il reste encore la barrière économique des 160km/h. Passée celle-ci, outre une refonte coûteuse de la signalisation et de la détection des trains, il faut également supprimer les passages à niveaux en les remplaçant par des ponts et des nouvelles voiries de passage. Dont coûts à charge des communes riveraines qui n’avaient rien demandé. Le bénéfice électoral devient alors cauchemar financier. Par ailleurs, l’inclinaison jusqu’à 8° de la caisse pourrait engager çà et là le gabarit, notamment ceux des tunnels en courbe qui devraient alors être traités en conséquence. Enfin, l’angle de cette inclinaison exerce sur le rail extérieur une force centrifuge qui augmente avec le carré de la vitesse. L’usure engendrée peut, selon certains techniciens, être éventuellement contournée par l’utilisation de rails thermiquement durcis, mais c'est plus chers et on connait, de nos jours, les prix de l’acier.
Conclusions provisoires
Avant de se lancer dans une parade trop souvent électoraliste,
la question essentielle est de savoir quel est le temps de parcours susceptible
de faire du rail un produit réellement attractif pour opérer un substantiel
report modal. Dans tous les cas, la vitesse moyenne du train doit largement dépasser
celle du trajet voiture, soit des pointes de 200km/ h pour espérer
rivaliser avec une autoroute. Il faut aussi se mettre en tête qu’il s’agit ici
de comparaisons centre ville à centre ville. Or c’est loin d’être le cas de
tout le monde comme ces nombreux trajets belges entre le Brabant wallon et la
périphérie de Luxembourg, où le train est de facto perdant vu qu’une fois au
centre ville, il faut en sortir ! Et ce ne sont pas les hommes d’affaire
qui prendront le bus…On rappelera surtout que le train pendulaire n'est pas un substitut au TGV
ou à l'ICE et qu'il doit s'insérer dans le trafic parfois dense d'une
ligne existante. Pourquoi penduler à 160 km/h pour ralentir plus loin
car un omnibus se traîne devant lui ?
Pour autant faut-il jeter le
train pendulaire ? Assurément non et les exemples britanniques et allemands sont là pour démontrer qu'il existe des possibilités, même en trafic régional. On aurait cependant souhaité qu’un
programme de recherche, financé par l’Union Européenne, réunisse les acteurs industriels
du pendulaire tel que ce fut le cas pour la signalisation, qui a accouché de l’ETCS. Cela permettrait de mettre à jour les normes de
l’infrastructure et d’innover pour tenter de réduire la charge par essieu de
cette technologie qui n’a pas encore dit son dernier mot.
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