HS2 : le serpen de mer de l'Angleterre
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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Comme en Suède, la Grande-Bretagne est le seul « grand »
pays avec très peu de kilométrage de lignes nouvelles à grande vitesse.
Aujourd'hui la CTRL 1 abouti à Londres en provenance du continent. Mais vers le
Nord, il n'y a pas de trains qui roulent à plus de 200 km/heure. Le projet HS2
(High Speed Two) tente de rattraper le retard, mais il est confronté à un débat
important entre les avantages et les inconvénients. Petit état des lieux.
CTRL 1
La première vraie Ligne à Grande Vitesse (LGV) britannique a
été construite en deux temps. La première section fut ouverte le 29 septembre
2003 et la deuxième, avec plus de difficultés, le 14 novembre 2007. Cette LGV
est une copie du modèle français, avec la caténaire 25 kV et le système de
protection des trains TVM430, jusqu’à la gare de St Pancras. L'avantage de cet
emplacement, au nord de Londres, est que St Pancras est la gare de tête du
chemin de fer des Midlands, tandis que sa proche voisine de King Cross est l’origine
de la ECML (la East Coast Main Line), en direction de Newcastle et Edimbourg.
Mais vers le Pays de Galles, Ecosse et les Midlands, il est obligatoire d’aller
à la très sombre gare d’Euston, à 10 minutes à pied de St Pancras. Pas facile
avec des bagages ....
Géographie
La région des Midlands se caractérise par une grande
concentration de villes de 100.000 à 2 millions d’habitants et de nombreuses
régions ont connu une croissance importante de l'étalement urbain. Les Midlands
ressemblent ainsi à la région de la Ruhr allemande ou à la Lombardie italienne,
avec une série de petites et grandes villes tous les 50 kilomètres. Quatre
villes ont une réelle importance : Birmingham, Manchester, Liverpool et Leeds.
Dans ce contexte, le réseau du chemin de fer est très maillé et concentre un important
trafic de services locaux et de fret.
WCML
La West Coast Main Line (WCML) est une ligne principale de
640 km joignant Londres à Glasgow via les Midlands et qui se faufile à travers
ce réseau de cette région. Il s'agit de la plus importante grande ligne
ferroviaire du Royaume-Uni qui fut entièrement électrifiée en 25kV en 1974.
Certaines sections permettent une vitesse de 200 km / h et le trafic atteint 75
millions de passagers et 43% de tout le trafic de fret ferroviaire britannique.
Depuis toujours, l'objectif principal est de rejoindre Glasgow aussi vite que
possible, aujourd'hui sous les cinq heures, pour rivaliser avec le secteur
aérien. La première idée consista à introduire un train pendulaire, dans les
années 1970, par création de l’Advenced
Passengers Train (APT), qui n'a jamais reçu de soutien de l'autorité
politique. Le matériel roulant inter-city sur la WCML dans les années 1970 à
1990 fut la rame de voitures Mk II tractée par la classe BR 87. Au moment de la
privatisation, la franchise a été attribuée à Virgin qui a introduit le Pendolino
d'Alstom class 390. Cette franchise
aurait dû être renouvelée en octobre 2012, mais une grosse erreur du
département des Transports (DfT) a annulé toutes les offres des
soumissionnaires . Quels que soient les services de trains attribués, nous ne
sommes toujours pas dans le cas d'un train à grande vitesse, bien que Virgin
relie aujourd'hui Londres à Glasgow Central avec un temps de parcours de 4h30 à
5h00.
Le Pendolino class 390 d'Alstom : pas un TGV malgré ces performances (photo bob the lomond) |
Arguments et contre-arguments
En Europe, la définition d'un train à grande vitesse indique
un train qui monte à une vitesse supérieure à 250 km/h sans système pendulaire.
C'est le cas de toutes les LGV en France, en Allemagne, en Espagne et en
Italie, ainsi que dans les pays du Benelux. Au début, le projet anglais appelé
HS2 a été soutenu par un large consensus politique, mais la crise financière et
la croissance de partis politiques sceptiques a engendré un grand repli sur soi.
L'opinion publique est aujourd'hui divisée entre le choix d'un concept national
et l’amélioration de sa vie quotidienne locale. Les banlieusards ont
vigoureusement réclamé des actions fortes pour améliorer le trafic régional et
ne comprennent pas pourquoi le gouvernement va dépenser des dizaines de
milliards de £ pour un projet qui, selon eux, ne les concerne pas directement.
C'est exactement la même argumentation qui fut présentée par les opposants à la
LGV française étudiée entre Marseille et Nice (LGV PACA).
Il est vrai qu'aujourd'hui l'image de marque de TGV ou l'ICE
a perdu du terrain dans l'esprit de nombreuses personnes, en particulier par le
fait que les trains à grande vitesse ne répondent pas à la grande variété de
destinations et que pour rejoindre une ville à plus de 1000 km , les avions
restent la meilleure façon de voyager, en particulier avec les services
low-cost. Allemagne et France voient que leur autoroutes ne se sont pas vidées
et que le train à grande vitesse a seulement mangé une partie de la croissance
des transports. L'autre argumentation est que la construction de la LGV a
laissé de côté les besoins en trafic régional et suburbain, sauf en Allemagne
où le trafic local a été amélioré en même temps que la construction des lignes
LGV.
HS2
Une première proposition appelée HS2 (High Speed 2) a été
présentée en 2009 au Royaume-Uni pour rejoindre les grands centres urbains
desservis directement par LGV : Londres, Birmingham, Leeds et Manchester, et
par extension sur voies existantes, Liverpool et l'Ecosse. En Janvier 2009, le
gouvernement travailliste a créé High Speed Two Limited (HS2 Ltd) afin
d'étudier les possibilités d'une nouvelle ligne à grande vitesse britannique
vers Birmingham et Manchester. La première conclusion a été présentée au gouvernement
le 11 Mars 2010. Mais les élections législatives de mai 2010 ont remplacé le
parti travailliste par un gouvernement conservateur dirigé par David Cameron. Celui-ci
a publié une ligne au parcours légèrement révisé pour la consultation publique,
basée sur une liaison en forme de Y de Londres à Birmingham avec branches vers
Leeds et Manchester. La période de consultation a duré jusqu'en juillet 2011 et
lorsque les résultats furent publiés, il révéla que plus de 90% des répondants
à la consultation étaient contre la LGV. En janvier 2012, le secrétaire d'Etat
aux Transports a annoncé malgré tout le feu vert pour HS2 qui serait construite
en deux étapes, ce qui provoqua un grand mouvement de protestation et où il
fallut faire face à de nombreuses objections juridiques.
Phases 1 et 2 du projet (Wikipedia) |
Connection à l’aéroport ?
Il était prévu à l'origine une option pour se connecter à la
HS1 avec une station d'échange international à Heathrow, avec une ligne au nord
de Londres reliée à la CTRL1 via un by-pass déjà construit à l'entrée de la
gare de St Pancras. Cette idée a été retirée, avec les conséquences que le
premier aéroport européen reste confiné dans son environnement aérien, sans
connexions ferroviaires avec ses villes voisines à 200 ou 300 km. Cela va
complètement à l'encontre de la mobilité globale et des nombreux exemples en
dehors du Royaume-Uni, comme Francfort, Schiphol ou Paris-Charles-de-Gaulle. En
Décembre 2010, le gouvernement travailliste a annoncé qu'une connexion « haut
débit » serait construite entre l'aéroport d'Heathrow et Old Oak Common,
où la HS2 aurait une gare d'échange avec le Heathrow Express et Crossrail, le
grand projet de train de banlieue de Londres, qui reliera Heathrow et Canary
Warf.
2013: Où en sommes-nous maintenant?
Pour mettre en œuvre les propositions HS2 le gouvernement doit
présenter au nom de HS2 Ltd deux projets de loi hybrides, une pour chaque phase.
Le projet HS2 a été lancé le 16 mai 2013, avec le lancement de consultations
sur le projet de déclaration environnementale et les améliorations proposées
pour le design final, comme plus de tunnels dans les zones sensibles. Le
calendrier présente une introduction au parlement à la fin 2013 et devrait
devenir une loi d'ici le printemps 2015. La construction de la phase 1 de HS2
devrait alors commencer après la promulgation de la première loi et devrait
être achevée en 2026 ! Il s'agit d'une ligne à double voie de 225 km reliant
Euston à Birmingham en 49 minutes au lieu du temps de déplacement actuel de
1h12 ou 1h24.
Les développements concernant l'implantation à Birmingham
ont montré l'impossibilité d'intégrer le trafic HS2 dans la gare actuelle de New
Street, et la nouvelle station sera adjacente à la station locale de Moor
Street. New Street et la nouvelle gare HS2 pourraient être directement liées
via un people mover avec un temps de
trajet de deux minutes. Le projet de loi hybride pour la phase 2 sera préparé
pour janvier 2015 et la ligne sera composée d'un V avec deux branches, l'une
vers Manchester et une autre vers Leeds.
L'implantation à Birmingham (photo HS2) |
Les coûts
C'est le serpent de mer traditionnel pour ce genre de projet. Personne
ne sait exactement le coût total parce cela dépend de la conception finale de
la ligne : combien de ponts ou de tunnels pour rassurer les opposants et les
sceptiques ? La réalité des coûts n’apparaîtra qu’au commencement de la
construction, en principe en 2018 pour la phase 1. Selon le site Mail Online, le budget officiel explosa
déjà de 30 milliards £ en 2010 à 42.6 milliards £ en 2012 et aujourd’hui, il a
grandi à 73 milliards £.
En définitive
Nous voyons une joute traditionnelle entre les pour
et les contre. Il n'y a pas de doute que cette bataille sera rehaussée par des
éléments typiquement britanniques. L'expérience de CTRL1 - ou HS1 - a montré
que les magnifiques jardins du Kent n'ont pas été dévastés et que le seul animal
échappé du Continent est la rame Eurostar TMST classe 373 avec son design ... so british ! Nous voyons aussi que la
plupart des opposants contre la LGV sont les mêmes qui critiquent le ... train
régional. Beaucoup de gens oublient qu'il n'y a pas de croissance ferroviaire
sans investissements. Mettre à niveau une ligne existante n’empêche pas la
congestion où différents trains se déplacent à des vitesses différentes, et on
atteint un minimum de résultats optimaux pour un maximum de coûts. Pourquoi
avons-nous intégré la différenciation de vitesse sur le réseau routier, avec nos
autoroutes, et non sur les chemins de fer ? Les politiques discriminatoires seraient-elles
l'avenir ?