Siemens/Alstom : prolongation et fin du suspense
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
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29/04/2014

Le énième Monopoly planétaire dans lequel l’industrie ferroviaire a été aspirée – à son insu – depuis le vendredi 25 avril, est finalement prolongé pour quelques semaines, selon Le Monde. Bien qu’un rapprochement Siemens-Alstom soit épisodiquement évoqué pour certains marchés, notamment la grande vitesse mondiale, on pouvait douter que les ennemis historiques d’hier deviennent frères demain, en dépit des logiques du business qui peuvent parfois bousculer les meilleures certitudes…

(photo de mattingham via Flickr CC BY-NC-ND 2.0)
Le business mondial, nécessaire pour le matériel ferroviaire souvent fort coûteux, s’accommode mal des petites tailles critiques. Le CEO de Siemens justifiait ainsi sa proposition d’échange d’activités avec Alstom : « Nous voulons créer deux champions européens, l'un dans l'énergie, l'autre dans le transport », ajoutant que : « s'il n'est pas consolidé, le pôle transport d'Alstom n'est pas taillé pour résister à la mondialisation ».

Un TGV Duplex qui ne se vend pas, un AGV cantonné à 30 exemplaires chez le privé italien NTV-Italo et qui n’intéresse pas la SNCF, une locomotive Prima II que l’on voit très rarement hors de l’Hexagone (davantage au Maroc…), les produits ferroviaires d’Alstom ont beaucoup de mal à s’intégrer dans la mondialisation, les métros, trams et produits de service faisant heureusement exception. Ce graphique issu de la grande maison est éloquent : les meilleurs revenus proviennent, et proviendront, des infrastructures et services (en rose-rouge), les trains étant largement minoritaires (en gris).



En face, Siemens vend ses ICE III de l’Espagne à la Chine en passant par la Russie. Sa dernière création, le Velaro, a certes des problèmes de mise en route et des retards inquiétants, mais ce sont surtout les certifications nationales qui font la pluie et le beau temps et qui créent beaucoup d’incertitudes, dénoncées de longue date. Côté locomotives, le programme « Vectron » du géant bavarois semble prometteur et les commandes affluent à bonne cadence. On ne joue donc pas dans la même cour ni avec la même vision.

Comme toujours, ces petits jeux entre amis ont des justifications fondées. Ainsi, GE dispose de près de 60 milliards € de liquidités qu’elle cherche à placer en Europe pour échapper aux 35% d’imposition en cas de rapatriement aux Etats-Unis. Et la complémentarité industrielle GE-Alstom apparait plus clairement en matière d’équipements. Doté d'une part de marché réduite sur le segment des centrales à gaz ou pétrole (2,9% en 2013), Alstom voit d'un bon œil une alliance avec GE, qui bénéficie d'un leadership écrasant (48% du marché).

(par StefoF via Flickr CC BY-NC-SA 2.0)
On retiendra de tout cela le business très  caractéristique du « made in France ». Les équipes d'Arnaud Montebourg et l'Agence des participations de l'État planchaient depuis longtemps sur l'avenir d'Alstom, alors que l’Etat n’y est plus actionnaire suite aux 21 % cédés en 2006 à Martin Bouygues (exceptés les 0,99 % de la Caisse des dépôts). Le dernier acte GE/Siemens/Alstom a vu l’Etat « s’inviter » de force dans le débat, et même à jouer les arbitre au plus haut niveau. Pour la planète finance, c’est « un retour à la France de l'après-guerre », comme l’estimait le Wall Street Journal, rapporté par le Hunffington Post, qui a encore en mémoire l'interventionnisme de Montebourg lorsque Yahoo a voulu racheter Dailymotion. Une reprise en main salutaire du politique sur l’économique, rétorquent les groupes parlementaires. Une division nucléaire « forcément » du ressort gouvernemental lorsqu’il y a vente à l’étranger, renchérissent les experts. M. Hollande a également insisté sur « l'indépendance énergétique » de la France, que les deux prétendants devront garantir.

Fin de clap
C’est avec davantage de calme que ce dossier typique de la mondialisation devait être traité. Finalement, un scénario typiquement français se dessine le 20 juin : l'État choisit General Electric et va entrer au capital du champion national. Fin de partie…

A lire aussi : TGV du futur, les interrogations se multiplient (Les Echos)
La carte des usines d'Alstom, Siemens et GE en France
20 juin 2014 : l'Etat préfère General Electric et entre au capital d'Alstom (Le Figaro)

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