20 ans déjà : bon anniversaire Eurotunnel !
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04/05/2014

Ce mardi , nous célébrons les 20 ans de Eurotunnel. Un rêve de 200 années est devenu une réalité, le 6 mai 1994, avec l'ouverture officielle du tunnel sous la Manche par la Reine Elisabeth et le président français François Mitterrand. La Reine a pris le premier train à grande vitesse britannique qui utilisa le tunnel et est arrivée à Calais en même temps que le train du président français en provenance de Paris. Cette inauguration mettait fin à l'insularité de la Grande-Bretagne, bien que les Britanniques ne ressentent pas du tout les choses de cette manière.

Nous avons parcouru un long chemin ! Le premier projet imaginé en 1802 par l'ingénieur français Albert Mathieu- Favier mettait en avant la première conception d'un lien fixe transmanche basé sur le principe d'un tunnel à deux niveaux. Le véritable premier projet a été tenté en 1973 : la construction et le démarrage du creusement d'un tunnel ferroviaire sous la Manche est enfin lancé à Chequers par Edward Heath, Premier ministre britannique, et Georges Pompidou, le président français, alors qu'un traité de tunnel sous la Manche franco-britannique venait d'être signé. Mais en 1975, Harold Wilson, ministre britannique, annonçait l'arrêt du projet et son retrait pour des raisons financières et en particulier les raisons de la crise pétrolière. Mais la vérité était ailleurs. Comme le reportait récemment l' Express.co.uk
« Une île est une île et ne doit pas être violé, aurait écrit la ministre du Travail Barbara Castle, lorsque le projet fût abandonné ».
 
Le projet a été relancé au début des années 80 quand Mme Thatcher est arrivée au pouvoir en 1979 à la tête d'un nouveau gouvernement conservateur. Une étude menée en 1984 par un groupe de banques britanniques et françaises avait statué sur la viabilité économique du projet, en dépit de sa taille énorme. Thatcher voulait un tunnel routier, Mitterrand un tunnel ferroviaire en raison de la sécurité. En 1986, Margaret Thatcher et François Mitterrand annoncent à Lille que l'offre d' Eurotunnel présenté par le consortium franco-britannique «
France-Manche-Channel Tunnel Group » était sélectionné. Le tunnel sous la Manche sera un tunnel ferroviaire (exigence française), mais sa construction sera issue exclusivement d'un financement privé (exigence britannique). Eurotunnel, qui gère et exploite le tunnel sous la Manche, détient la concession jusqu'en 2086.

Conception
Il y a deux tunnels ferroviaires de 7,6 mètres de diamètre, un par direction, plus un tunnel central de service et de sécurité. Le tunnel
« Sud » passe de France à l'Angleterre, le tunnel « Nord » en sens inverse. La longueur du tunnel est d'exactement 50,5 km entre les portails de Beussingue et Castle Hill, mais la longueur exacte sous la mer n'est que de 37,9 kilomètres. L'électrification des voies se fait par une caténaire 25 kV 50 Hz, et la protection des trains est assurée par le système français TVM430 avec signalisation en cabine de conduite (utilisé sur les TGV français), donnant des informations directement aux conducteurs de train sur un écran d'affichage à bord. Deux centres de contrôle gèrent le trafic ferroviaire des deux côtés de la Manche, un britannique et un français, où l'on trouve aussi de vastes installations terminales ainsi que des gares de triage, à Frethun en France et à Folkestone au Royaume-Uni, comme le montre l'image ci-dessous.

Le terminal de Folkestone, et le départ d'une navette camions (par Ed Clayton via Flickr CC BY 2.0)
Opérations
Beaucoup de gens confondent encore Eurotunnel et Eurostar ! Eurotunnel est un service de navette ferroviaire pour le transport routier : voitures, camions et bus sont chargés dans une navette spéciale via une installation terminale. Le service n'est disponible qu'entre Calais-Fréthun et Folkestone (soit 50 km). Il n'y a aucune navette de Londres ou de Paris ! Eurostar est en revanche une entreprise ferroviaire de voyageurs qui ne fournit aucun services de navette, mais bien un service de chemin de fer par train à grande vitesse entre les « trois capitales
», Paris , Bruxelles et Londres, et, à l'avenir, de et vers Amsterdam (2016). Il y a donc trois différents trafics dans le tunnel : les navettes routières d'Eurotunnel, les TGV internationaux voyageurs d'Eurostar et les trains de marchandises, mais à de bien faibles quantités.

Embarquement sur une navette autos (par dvdbramhall via Flickr CC BY-NC-ND 2.0)
Les finances : une histoire mouvementée
C'était la condition sine qua non de Thatcher : pas un sou public pour le tunnel. Le résultat fut que le 6 mai 1994, le coût final du plus grand tunnel du monde était de 80 % supérieur au budget initial de près de 5 milliards £
. Les coûts de financement se révélèrent 140 % plus élevé que prévu à cause des frais d'intérêt sur ​​sa lourde dette de 8 milliards £. La situation financière devînt le principal sujet de conversation pour les dix premières années d'ouverture. Le trafic des Eurostar et plus spécialement les services de fret se révéla largement surestimé. Les revenus furent bien en deça que prévu : la question de la dette et de la relation avec les créanciers devinrent très critiques. Les pertes subies par de nombreux petits actionnaires rendirent la vie insupportable pour Eurotunnel. En 2004, un groupe d'actionnaires dissidents réussit à prendre le contrôle du conseil d'administration et, en 2005, le français Jacques Gounon prit le contrôle complet en devenant le CEO d'Eurotunnel. 

Malgré un accord voté par les actionnaires en 2006, la justice française plaça Eurotunnel sous la protection de la faillite. Comme le rapporte Wikipedia en mai 2007, un nouveau plan de restructuration fût approuvé par les actionnaires où Deutsche Bank, Goldman Sachs et Citigroup acceptaient de fournir 2,8 milliards de livres de financement à long terme, le solde de la dette étant transformé en titres de participation. Les actionnaires décident de renoncer aux voyages illimités et autres plantureux avantages dont ils bénéficiaient. Suite à cette restructuration, Eurotunnel a finalement été en mesure d'annoncer son premier mais petit bénéfice net en 2007 et le retour à la santé financière a permis à la société d'annoncer en 2009 le rachat volontaire anticipé de certains de ses titres de créance convertibles. L'histoire financière semble maintenant naviguer vers des eaux plus sereines...

Aujourd’hui
Eurotunnel fait état d'un trafic atteignant 10 millions de passagers par ses navettes de voitures et de bus, ainsi que de 17,7 Mi tonnes de fret transportées par ses navettes de camions. Son principal client Eurostar a annoncé pour la première fois plus de 10 millions de passagers annuels entre les trois capitales, ce qui nous fait plus de 20 millions de passagers par an dans le tunnel. En moyenne, seuls 7 trains de marchandises traversent le tunnel quotidiennement, laissant encore 43% de capacités non utilisées. Seuls 1,3 Mi tonnes de marchandises sont transportées par d'autres sociétés de chemin de fer, ce qui nous fait une part de marché de seulement 15% pour le transport ferroviaire, contre 85% pour les camions…

Depuis quelques temps Eurotunnel prend les choses en main pour le trafic de fret. En 2009 fût créée la société Europorte avec des filiales au Royaume-Uni et en France. 
Europorte en action en France (par rino54 via Flickr CC BY-NC-ND 2.0)
En 2012, Eurotunnel a acquis trois ferries de la déclinante société Sea France qui ont été affrétés pour mettre en route la compagnie de ferry MyFerryLink. Cette opération sur mer dépend cependant d'une décision des autorités britanniques de la concurrence qui auraient l'intention de renouveler l’interdiction des navires de l’ex-SeaFrance d’accoster dans les ports du Kent dans le courant de cette année.  

Les derniers soubresauts sont le différend apparu entre Eurotunnel et Eurostar l'été dernier. La compagnie de chemin de fer a été accusée en juin 2013 de la diffusion d'informations "totalement faux" sur les frais d'accès au tunnel. Eurostar déclarait que les redevances d'utilisation représentaient 25% du coût du ticket passagers. Plus tôt en mai, la Commission européenne avait appelé à une réduction jusqu'à 50% des tarifs d'accès, considérés comme excessifs. Elle menaçait la France et le Royaume-Uni, qui réglementent Eurotunnel, d'une action en justice si elles agissaient pas dans les deux mois pour réduire les coûts du tunnel. En fin de compte le 28 avril 2014, Eurotunnel annonça une réduction de ses frais d'accès aux installations de 25% (1).

Comme l'écrivait Benoît Brogan dans The Thelegraph : « le tunnel sous la Manche s'est rapidement avéré lui-même être un succès économique qui a facilité le commerce et a fourni de plus grandes opportunités aux entreprises britanniques pour leurs affaires commerciales vers l'Europe ». Et il conclut: « le tunnel sous la Manche marquera non seulement notre lien avec le continent, mais combien il est difficile de le briser ». Bon anniversaire ...

(1) Détail ici, en anglais

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