Mobilité : le citoyen est-il écolo ? Oui, quand ça l'arrange
Analyse de Mediarail.be - Technicien signalisation et observateur ferroviaire
Rendez-vous aussi sur la page facebook de Mediarail.be, ainsi que sur Twitter et LinkedIn
Rendez-vous aussi sur la page facebook de Mediarail.be, ainsi que sur Twitter et LinkedIn
04/09/2015
Tous le
proclament sur les réseaux sociaux : ils sont adeptes de l’écologie
et participent au mouvement pour une planète plus durable. Demain sera un autre
monde, pour certains sans pétrole, sans capitalisme et plus humain. Qu’en
est-il de la théorie à la pratique ? Petite ballade éclairante du côté de
la mobilité.
L’écologie en poupe, le transport en accusation
La conscience
écologique a très fortement progressé depuis trois décennies, au fur et à mesure
qu’ont été dévoilés les ravages de notre hyperconsommation, et en particulier des
conséquences sur la planète des gaz à effet de serre. Selon plusieurs études,
les deux tiers de l’énergie finale consommée et la quasi-totalité de l’énergie
nécessaire à la mobilité des personnes, sont aujourd’hui fournis par les
énergies fossiles conventionnelles. En 2005, près de 890 millions de véhicules
parcouraient la planète (CCFA, 2005). En 2007, le milliard était dépassé. D'après
une étude du fournisseur d'info trafic Inrix, en 2013, les embouteillages
auraient coûté 151 milliards d'euros à seulement 4 pays : l'Allemagne, la
France, la Grande-Bretagne et le Etats-Unis. Dans les campagnes ou le
périurbain de France, la voiture est utilisée pour les déplacements quotidiens
à plus de 90%, contre 15% à Paris, 50 à 70% dans les grandes agglomérations, 75
à 85% dans les villes petites et moyennes (selon l’enquête Nationale Transports
et Déplacements 2008), proportions qui n’ont pas dû fortement évoluées en 2015.
Tous ces
chiffres alarmants nous demandent de changer le monde vers un univers plus
durable. C’est en partie ce qui va se faire, mais pas vraiment comme le
voudraient les radicaux.
Auto
Les
résultats d’un baromètre de 2011 sur la mobilité durable démontrent la dépendance
des Français, pour des raisons pratiques, à l’usage de leur véhicule
personnel. 9 salariés sur 10 se rendent au travail en voiture, et 1
salarié sur 10 utilise un autre moyen de transport pour venir au travail. Selon
une étude réalisée par l’Institut Ipsos sur les Français et la mobilité
électrique en 2013, « plus d'un tiers des personnes interrogées
considèrent que les facteurs économiques et les améliorations de l'offre de
déplacements alternatifs ne suffiront pas à modifier leur mobilité quotidienne ».
Posséder son propre véhicule est toujours d’actualité dans l’esprit de 86% des
Français. En 1985, plus de 70 % des voitures étaient utilisées tous les
jours contre presque 72 % en 2013 selon l'Insee. Le taux de ménages sans
voitures était de 29,2 % en 1980, il n’est plus aujourd’hui que de
16,5 %. Le Belge aussi est attaché
à sa voiture : 77% l’utilisent pour les trajets les plus importants, selon une
étude de 2014. Un tiers à peine serait prêt à en réduire l’usage. Tout
cela suite à une dégradation de l’offre en transport public, ou suite à
l’augmentation de la qualité des routes ? Les études ne le disent pas
précisément.
Quand on demande aux belges ce qu’il faudrait faire en priorité avec les
15 milliards de taxes collectées chez les automobilistes, la réponse est sans
nuance: « l’entretien et l’optimisation
des routes existantes.» La mobilité individuelle conserve donc toute son importance au sein du
public, en dépit de ses inquiétudes grandissantes sur les rejets de particules
fines. Les grandes incantations concernant un abandon possible de la voiture ne
concernent en réalité que les urbains. Ces derniers participent d’ailleurs
quotidiennement au concept de densification de l’habitat, un autre critère
écologique. Les « provinciaux » sont plus dispersés, ce qui ne
signifie pas que les préoccupations environnementales soient absentes hors
ville. Selon un sondage réalisé pour Ford, plus d’un Européen sur trois se dit
prêt à investir plus pour l’achat d’une voiture plus respectueuse de
l’environnement. Tout démontre que vie privée et portemonnaie sont les premiers
motifs du choix modal : l’implantation des écoles et des emplois, ainsi
que l’accès aux loisirs restent la priorité des citoyens. Message bien compris
par tous les constructeurs qui, loin de baisser pavillon, savent s’adapter aux
mœurs ambiantes et dépensent des milliards en recherche technologique pour
satisfaire ce nouvel éco-automobiliste qui sommeille en nous. Le modèle
automobile donc, avec ses Smart et ses véhicules électriques, va perpétuer le mode de vie individuel et
hypermobile, mais dans une version plus « durable », ce qui ne
fait pas l’affaire de l’écologie radicale, qui prône au contraire la
sédentarisation.
Covoiturage
Le
principal avantage reconnu au covoiturage est avant tout celui lié à l’aspect
financier, et dans certains cas, au lien social tant vanté, si on excepte la
psychologie des conducteurs que relate avec un humour grinçant le site Topito (1) ou Rue89 (2). Les témoignages d’adeptes ravis se sont multipliés sur
la toile et le public capté grossit à vue d’œil. Mais les avantages pécuniers
peuvent ici se heurter à l'écologie dans son ensemble : s'il vaut mieux être à plusieurs que seul, le voyage utilise toujours l'énergie fossile, et l'entraide entre citoyens se mue chez certains conducteurs en juteux fins de mois. Du côté pratique, comme le rappelle le site educarriere (3),
les soucis majeurs avec le covoiturage sont le retard de certains
« covoitureurs » et la gestion des horaires (de départ et/ou
d’arrivée), car si le lien social semble être le graal pour beaucoup, tout le
monde n’a pas la même vie ni les mêmes horaires, même si on habite le même
village. Selon une étude de l'Ademe de septembre 2015, si la voiture personnelle est qualifiée de
« polluante », elle devient « écologique »
dès qu'elle est partagée. Pourtant, rien n'a changé au niveau motorisation....
Le covoiturage est un instrument qui se veut sympathique et plus durable, mais il n’a pas fait disparaître le modèle capitaliste qu’exècrent les radicaux. « Le covoiturage, c'est tout bénef' pour Blablacar qui perçoit un minimum de 2 euro par reservation » rappelle goguenard un internaute attentif à la question. Le Parisien annonçait en 2014 que la plateforme avait levé 73 million d'euros auprès de nouveaux investisseurs. Bien loin de l’écologie sociétale à laquelle croient pourtant tous ses adeptes. Comme le dénonce le site Alchimy (4), l’écocitoyen de 2008 s’est rapidement mué en “éco”-nomique 2015. Le site Comptoir.org (5) est encore plus dynamitant : « Derrière Blablacar pourtant, un fonds d’investissement pas du tout solidaire et prêt à tout pour faire raquer un peu plus l’utilisateur, des règles sécuritaires contraignantes qui ne laissent plus aucune place à la confiance entre les membres et des conducteurs qui, eux-mêmes, ont fait foin de l’esprit communautaire de base de la structure pour mieux renouer avec le tout-profit. Au royaume de l’économie collaborative de Blablacar, l’argent est resté roi. » Quand la réalité du terrain fait mal aux idéologies auto-proclamées....
Le covoiturage est un instrument qui se veut sympathique et plus durable, mais il n’a pas fait disparaître le modèle capitaliste qu’exècrent les radicaux. « Le covoiturage, c'est tout bénef' pour Blablacar qui perçoit un minimum de 2 euro par reservation » rappelle goguenard un internaute attentif à la question. Le Parisien annonçait en 2014 que la plateforme avait levé 73 million d'euros auprès de nouveaux investisseurs. Bien loin de l’écologie sociétale à laquelle croient pourtant tous ses adeptes. Comme le dénonce le site Alchimy (4), l’écocitoyen de 2008 s’est rapidement mué en “éco”-nomique 2015. Le site Comptoir.org (5) est encore plus dynamitant : « Derrière Blablacar pourtant, un fonds d’investissement pas du tout solidaire et prêt à tout pour faire raquer un peu plus l’utilisateur, des règles sécuritaires contraignantes qui ne laissent plus aucune place à la confiance entre les membres et des conducteurs qui, eux-mêmes, ont fait foin de l’esprit communautaire de base de la structure pour mieux renouer avec le tout-profit. Au royaume de l’économie collaborative de Blablacar, l’argent est resté roi. » Quand la réalité du terrain fait mal aux idéologies auto-proclamées....
Frédéric Mazzella, le co-fondateur de Blablacar ( photo de Official Leweb Photo via flickr CC BY 2.0) |
S’envoyer en l’air pour pas cher
L’avion à
bas prix est celui qui frappe frontalement les meilleures consciences
écologiques. Comme l’écrivait à merveille le journal suédois Sydsvenskan en août 2013 (6), Ryanair est devenu une des illustrations les
plus frappantes d’un vaste changement de paradigme. Lequel ? C’est une entreprise privée très libérale qui
fait voyager les fauchés à travers toute l’Europe, pas le service public. Un choc ! Et elle répond parfaitement à l'air du temps : je vote
écolo anti-capitaliste mais j’ai une copine à Milan que je peux revoir deux fois par mois. Le
journal questionne : « il est
difficile de comprendre comment quelqu’un qui se dit “de gauche” peut faire la queue
devant un guichet Ryanair sans rougir. Dans l’histoire récente, aucune autre
entreprise n’a, à la fois directement et indirectement – par la force de
l’exemple – autant contribué à saper les fondements sociaux que la “gauche”. »
Le journaliste de poursuivre : « Quatre-vingts
millions de passagers peuvent-ils avoir tort ? Oui. Et je m’étonne qu’ils ne
soient pas plus nombreux à en prendre conscience. Autant que je sache, bon
nombre de passagers Ryanair sont des jeunes gens instruits et sensibles aux
thématiques sociales ». Les réactions à l’article ne sont pas fait
attendre, comme cet allemand qui rétorque : « Cette personne (ndlr : le journaliste) a choisi de ne pas voler
avec Ryanair et attend des autres qu'ils fassent comme lui. » Le même
poursuit la discussion : « un
voyage en train ou en voiture à travers la moitié de l'Europe non seulement
coûte plus d'argent mais surtout, prend aussi une éternité et c'est épuisant. » Un internaute anglais renchérit :
« Si l'auteur de cet article a eu un
minimum de sens de la réalité, il saurait que le choix de beaucoup de gens
n'est pas entre voler avec Ryanair ou avec une autre compagnie, mais entre
voler ou ne pas voler du tout.» Noblesse des valeurs contre nécessité
de la vie, mobilité contre autarcie, le low-cost face aux consciences
politiques, c’est un très beau sujet de sociologie.
Le marché du low-cost confirme son attrait auprès des fauchés, et pas que...(photo de Aero Icarus via flickr CC BY-SA 2.0) |
In fine…
Ces exemples partiels montrent que la pratique de l'écologie est multiple et contradictoire. Croire en la fin de l'auto, du pétrole et du mode de vie occidental, c'est oublier les formidables capacités de l'industrie et du capitalisme à se régénérer, quitte à changer d'habits. Ils sont aidés, en cela, par les attitudes du citoyen qui, épris de développement durable, n'en reste pas moins attentif à des solutions de mobilité conformes à ses finances personnelles, tournant le dos, s'il le faut, à ses convictions sociétales. Le citoyen n'est écolo que quand cela l'arrange.
A la veille de COP21, on assiste toujours à la divergence très nette de deux écoles de l’écologie : celle prônant l’autarcie villageoise et la fin du déplacement, et celle prônant le changement de société par la technologie et le partage. Le premier cas concerne l’école des perdants et des illusionnistes sur lequel on ne s’attardera pas davantage. Le deuxième cas est celui où la propriété privée, avec ses objets et ses moyens de transports sous-utilisés, devient un enjeu de création de valeur, perpétuant le modèle capitaliste sous une nouvelle forme, celle de l’économie collaborative. Cette école semble gagner son pari et réussit même à entrer chez les plus réfractaires, comme on l’a démontré plus haut. En définitive, la mobilité future ne sera pas uniquement faite de voitures propres, d’hydrogène, de moteur électrique, de voitures partagées, de transports en commun, de trains écolos, de vélos, de marche à pied ou d’internet mobile. Aucune de ces initiatives prises isolément n'apportera « LA » solution, mais c’est la combinaison de toutes ces initiatives qui peut promouvoir une planète durable pour demain. Et cela, sans devoir créer un apartheid technico-idéologique comme on le lit trop souvent avec le train et le bus…
A la veille de COP21, on assiste toujours à la divergence très nette de deux écoles de l’écologie : celle prônant l’autarcie villageoise et la fin du déplacement, et celle prônant le changement de société par la technologie et le partage. Le premier cas concerne l’école des perdants et des illusionnistes sur lequel on ne s’attardera pas davantage. Le deuxième cas est celui où la propriété privée, avec ses objets et ses moyens de transports sous-utilisés, devient un enjeu de création de valeur, perpétuant le modèle capitaliste sous une nouvelle forme, celle de l’économie collaborative. Cette école semble gagner son pari et réussit même à entrer chez les plus réfractaires, comme on l’a démontré plus haut. En définitive, la mobilité future ne sera pas uniquement faite de voitures propres, d’hydrogène, de moteur électrique, de voitures partagées, de transports en commun, de trains écolos, de vélos, de marche à pied ou d’internet mobile. Aucune de ces initiatives prises isolément n'apportera « LA » solution, mais c’est la combinaison de toutes ces initiatives qui peut promouvoir une planète durable pour demain. Et cela, sans devoir créer un apartheid technico-idéologique comme on le lit trop souvent avec le train et le bus…
(2) Témoignage
de Rue89 (mars 2015)
(5) Le
comptoir (mai 2015)
(6) A lire
dans Vox Europ : A bas le low-cost à tout prix par Sydsvenskan (août 2013)