Fyra : explications et rideau final
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29/10/2015

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Le rapport de la Commission d’enquête met un point final à quatorze années de psychodrame Fyra, le train à grande vitesse voulu par la Hollande et qui n’est plus qu’un souvenir à enterrer au plus vite. Analyse d’un chaos.

La culture hollandaise : « nous on peut… »
Pas tendres les néerlandais envers leurs dirigeants. Aux Pays-Bas, on sait que depuis des siècles la prise de décision dépend d’un réseau complexe d’acteurs plus ou moins équivalents mais dont les intérêts divergent. Et c’est précisément ce qui est arrivé avec l’aventure Fyra  et que dénonce le rapport de la Commission d’enquête, qui remettait ses conclusions le 28 octobre 2015 et qui n’épargnait personne, tant les acteurs sont nombreux. L’idée que les Pays-Bas sont vaccinés contre le chauvinisme, maladie qui n’affecterait que ses grands voisins (France, Allemagne, Royaume-Uni) n’est par ailleurs qu’une illusion. Les réussites du port de Rotterdam  et de la compagnie aérienne nationale KLM, deux fiertés nationales hissées au top mondial, auraient-elles inspiré le gratin ferroviaire néerlandais à faire de même ? Certains le pensent. Le Fyra, ce «caprice Orange-Nassau » comme le nommait un journaliste, a coûté très cher à l’Etat batave et à l’égo néerlandais. Ils ne voulaient pas du bolide français ni du luxe allemand, ils voulaient « un truc bien à eux », et faire la démonstration du train rapide, pas cher et rentable. Le tout sur un fond culturel très nordique mélangeant une dose de pragmatisme, d’innovation et de (pseudo)libéralisme.

« Je suppose que… »
L’administration publique hollandaise contemporaine s’est souvent présentée comme une championne de la nouvelle gestion publique. Une des possibles raisons de ses « succès » est que les hommes politiques n’interviennent pratiquement pas dans ce qu’ils estiment être un « passe-temps » de la haute administration. Cette interprétation se retrouve à merveille au travers des nombreuses auditions de la Commission d’enquête. « Je suppose que… » a été la phrase la plus prononcée des intervenants, d’anciens ministres estimant ainsi avoir été dupé, faute d’informations.

Des audiences publiques de la commission d'enquête parlementaire Fyra – ainsi que les publications précédentes dans ce domaine et d'autres journaux - il est apparu clair qu'il ne peut y avoir aucun principal coupable à nommer. L'échec Fyra est le résultat d'un enchevêtrement d'arguments, de choix et de personnalités entre les NS et la tutelle étatique, aiguillonnés par une fierté administrative et une foi débridée dans les bénédictions du marché réglementé. Comme le rappelait la presse néerlandaise, en l'espace de quinze ans, quelque chose ne fonctionnait pas, mais presque toutes les personnes impliquées ont vécu avec la croyance que quelqu'un d'autre allait prendre ses responsabilités et résoudre les problèmes. Il est devenu clair que les gouvernements successifs, les différents ministres, et surtout les chemins de fer néerlandais ont tous fait de mauvais choix. Souvent contre leur meilleur jugement, parfois même délibérément ! En bref: les ministres et les directeurs de chemin de fer ont empilés erreur sur erreur, et personne n’est intervenu. Une sérieuse claque pour la machine politique néerlandaise.

D’erreurs en erreurs
La HSL-Zuid est la ligne à grande vitesse reliant Amsterdam à la frontière belge, via Rotterdam. Une infrastructure de luxe, selon ses détracteurs, vu la proximité entre grandes  villes et l’urbanisation importante du pays. Une ligne nécessaire pour d’autres, confirmant la saturation des capacités existantes sur la Randstad. L’Etat néerlandais veut la gérer via une concession, à l’image de la LGV-SEA en France. La ligne adopte la signalisation ERTMS, à une époque où ce système est encore au stade embryonnaire. « Nous on peut… ». Ensuite, le choix de doubler le trafic avec 32 aller-retour entre Amsterdam et Bruxelles pose déjà question, car il se superpose au trafic Thalys et est jugé trop optimiste face à la demande. S’y ajoute l’idée de raccourcir le trajet entre Amsterdam et Breda, au sud. Les NS remportent la concession en 2001 en déposant une offre qualifiée plus tard « d’irréaliste », par le biais d’High Speed Alliance (HSA), une société détenue à 90% par les NS et 10% par KLM. La concession s’étalait de juillet 2009 à juillet 2024. Mais cette suroffre n’était qu’une tactique pour contrer l’appel d’offre voulu par le gouvernement de l’époque. Aussitôt signée, la concession est remise en question par le top-management qui réclame déjà l’aide de l’Etat. Colère de la ministre Tineke Netelenbos qui décapite le top management des NS et le remplace par des « éléments plus dociles » ayant déjà fait carrière dans l’administration.  Mais ces derniers ne sont en rien des spécialistes en concession ferroviaire. Une dernière estimation fait état d’un coût de 11 milliards d’euros…



En 2009, il était certain que seuls les Thalys emprunteraient la nouvelle ligne car les belges inaugurent leur L4 en décembre, la courte LGV Anvers-Pays-Bas. Point de Fyra à l’horizon, point de redevances pour HSA et l’Etat.  La commande des rames est certainement le point le plus chaotique. Sur ce thème, les NS se cachent derrière leur filiale HSA, qui a créé une société de crédit-bail en Irlande, pour des raisons fiscales. Le Fyra, c’est une rame étudiée chez AnsaldoBreda pour des distances moyennes, parcourues à 200km/h maximum. Pas un TGV donc. En 2004, les avocats-fiscalistes à la tête de HSA pensent pouvoir « upgrader » ces engins à 250km/h et pouvoir les obtenir rapidement. La rame d’Ansaldo est baptisée V250 mais aucun n’exemplaire ni de prototype n’existe, pas même en Italie. Elle va traîner de test en test, via le centre d’essais de Tchéquie, avant qu’un premier exemplaire n’arrive très tardivement aux Pays-Bas, fin avril 2009. Pour ne pas perdre ses redevances, HSA lance des trains Fyra « classiques » entre Amsterdam et Rotterdam, sur LGV, mais limité à 160km/h, puisque ces trains de voiture Inter-City sont tractés par des locomotives TRAXX. La suite est connue : les V250 d’AnsaldoBreda, loin d’être prêtes, feront un court service Amsterdam-Bruxelles de décembre 2012 à février 2013, date de leur interdiction. Cette fois : « nous, on ne peut plus… ». Et une Commission parlementaire est instituée le 19 décembre 2013.

Les conclusions de la Commission
Pour sûr, l’administration publique hollandaise contemporaine n’est plus la championne rêvée de la nouvelle gestion publique. Le rapport est sévère sur ce thème : « les NS en particulier voulaient garder leur propre position sur la LGV néerlandaise ». La Commission parle : « d'une guerre longue et destructrice, parce que la Chambre était toujours d'accord avec les décisions du Cabinet ministériel et des NS (…) La Chambre aboyait, mais ne mordait pas. ».

La perte pour HSA atteint 790 millions, et pour les NS, près de 703 millions, dont quelques dizaines de millions avec des trains renvoyés depuis 2014/2015 à leur constructeur, et garés en Italie. Le rapport final indique également que : « la décision de construire une liaison à grande vitesse a été prise en 1996 sans accords concrets avec toutes les parties concernées. Lorsque l'Etat a conclu en 2001 avec NS et KLM via HSA,  il était déjà clair pour les chemins de fer néerlandais et des Transports qu'il y avait de gros risques. Il y avait également des doutes quant à la faisabilité des temps de parcours (…) L'accord final entre l'Etat et HSA était impraticable. Les deux entités, NS et gouvernement, ont été irresponsables dans l'offre. » Le Comité d'enquête conclut que les ministres successifs et les NS sont responsables de l'échec du Fyra.

Il est piquant de constater par ailleurs qu'au pays d'AnsaldoBreda, le nouvel entrant NTV-Italo concurrence depuis plusieurs années Trenitalia sur une ligne à grande vitesse, sans aucun problèmes techniques. La firme n'a pas fait dans le low-cost local et a pourtant acheté l'AGV, un train d'Alstom qui n'avait jamais été vendu auparavant. Comme une claque...

Le Fyra n’est donc pas qu’une affaire de train raté, mais de conception même d’exploitation de la grande vitesse, LGV incluse. La Présidente de la Commission a conclu en demandant à nouveau un service rapide et fiable vers la Belgique, mais en mettant le client au-devant de la scène. Rideau....