Réforme SNCF : les réalités et les motifs
Analyse de Mediarail.be - Technicien
signalisation et observateur ferroviaire
24/06/2014
Tout ça pour ça : près de 10-12 jours de perturbations
sur les rails français. C’est leur manière d’agir : la grève
« préalable » à toute discussion avec la direction du rail. Mais
cette fois, la donne différait des « grandes actions » précédentes.
D’une part la volonté du boss de confirmer que la négociation paie, entraînant
l’adhésion des syndicats réformistes. D’autres part, la confirmation d’une
érosion des syndicats contestataires aux dernières élections sociales. Une
agitation donc plus idéologique pour tenter le coup de force :
reconstruire la SNCF des années 70 et empêcher le projet de réforme du
gouvernement Valls. Les usagers n’ont pas compris grand-chose à un sujet qui
leur est totalement étranger. Décryptage.
SNCF + RFF
Rappelons la naissance de l’EPIC
SNCF en 1982, sous l’ère Mitterrandienne. Les dispositions sociales de 1938
restent globalement en vigueur. La dette grandissante mais surtout l’arrivée de
la première directive européenne 91/440 oblige l’Etat français à revoir
l’architecture du rail. En 1997 naît
ainsi Réseau Ferré de France, juste
avant que n’arrive le ministre communiste Gayssot (gouvernement Jospin 1997-2002).
RFF a une particularité : elle est liée à une convention de gestion avec
la SNCF et ne dispose pas de moyens humains sur le terrain. La SNCF n’était
ainsi pas « démembrée » et l’architecture globale ne comprenait pas
de branches séparées vivant comme d’authentiques sociétés. Ce fût une version
minimaliste des prescrits européens pour rassurer avant tout la vision « romantique »
de la famille cheminote, qui fait corps. On voit cependant poindre, petit à
petit, l’émergence d’une nouvelle expertise ferroviaire qui mettait fin – et c’est
là un aspect bien plus important qu’annoncé – à la « pensée unique »
SNCF et une certaine technocratie des ingénieurs du Pont, dont le penchant « TGViste »
n’était plus à démontrer (1).
(par JPC24M via flickr_ CC BY-SA 2.0) |
La SNCF s’obstinait à la
multiplication des LGV et de sa vitrine roulante, le TGV d’Alstom, export
oblige. Mais le vent tourne. Les relations de plus en plus exécrables entre RFF
et la SNCF et les divergences de vue sur la consistance du réseau mettent largement
en péril l’architecture française. Plus grave, en interne, la SNCF constate qu’un
plafond est atteint concernant la clientèle TGV et que son étoile semble pâlir :
les bénéfices ne sont plus au rendez-vous avec le grand bolide, les clients pratiquant
de plus en plus d’autres mobilités moins chères (2). Les Régions, en charge de
leurs TER, demande de « vrais comptes » à la grande maison. Enfin, l’absence
d’investissement dans le réseau classique n’est plus une lubie de contestataire :
Brétigny l’a dramatiquement rappelé en juillet 2013…
La dette et les raisons de la réforme de 2014
Au niveau financier la problématique de la dette des deux
entités prend de l’ampleur : 7,4
milliards pour la SNCF, 33,7 milliards pour RFF. Comme le rappelle l’Expansion :
« Si elle était intégrée à la dette
publique, elle éloignerait encore plus la France des critères de Maastricht »
et, partant, entraînerait une décote du pays et des hausses de taux d’intérêt
pour chaque crédit de la population. Intenable politiquement. Sous couvert d’une
future libéralisation des services TER, sous forme de concessions ou délégation
de service public, il est décidé de réformé l’architecture du rail français en
remettant les deux entités côte à côte. RFF, qui deviendrait SNCF Réseau,
reprendrait alors ce qui lui a toujours manqué : les 50.000 cheminots de l’Infra,
ceux du terrain, ainsi que la direction des horaires. A l’Assemblée nationale,
la gauche caviar a obtenu des garanties confirmant que le groupe SNCF
est « l'employeur des agents et des salariés des trois Epic ». C’était à cela que se sont opposés les
syndicats contestataires, exigeants l’impensable : le retour à la SNCF « des belles années »…
Le futur
Il est une fois encore à l’Europe, quoiqu’on veuille. En
mars 2014, il y a bien eu des angles arrondis au niveau de la première lecture
du quatrième paquet ferroviaire (3). Mais 80% de la réglementation des transports
arrivent tout droit de Bruxelles, et les acteurs concernés le savent fort bien.
Ils en profitent même, à l’instar de la SNCF et de ses bras armés Keolis et
Captrain, présent sur tous les marchés d’Europe (4). Mais les eurodéputés
sortants ont réservé une petite surprise lors du vote du 26 février 2014 :
la clause de réciprocité. Cette clause, que certains n'ont pas manqué de
baptiser «anti-Keolis», interdit en
effet à un transporteur ferroviaire européen en situation de monopole pour les
lignes intérieures (TGV, Intercités, TER), de conquérir des marchés dans un
autre pays de l'Union l'Etat membre concerné peut ainsi invoquer l'absence de
réciprocité, demander une enquête à Bruxelles, et saisir la cour de justice
européenne. « Les modalités de cette
clause sont discutables, elle permettrait à n'importe quelle autorité
organisatrice d'exclure un candidat dans un appel d'offres si 50% au moins de
ses franchises ferroviaires n'étaient pas ouvertes à la concurrence», peste
Sophie Boissard, la numéro 2 de la SNCF. Toujours est-il que les ultras bataillent pour une cause perdue d’avance en voulant interdire purement et simplement toute forme de concurrence. Car derrière cela, ce sont les confortables RH077 et 677 qui sont en jeu !
Certaines régions pourraient bien s’inspirer de leur « liberté »
pour demander un devis transport à un autre opérateur, au travers d’une délégation
de service public déjà présente dans les bus et les trams. Le simple énoncé de
cette éventualité a déjà provoqué une reconsidération des choses de la part de
la SNCF. En soi, c’est déjà une victoire de la libéralisation : faire
bouger les lignes, faire trembler Goliath. Pour le reste, les connaisseurs du
langage politique et institutionnel savent fort bien que dans une formule, l’interprétation
compte pour beaucoup. Des évolutions de l’EPIC de tête demeurent possibles, de
même qu’un renforcement de l’ARAF que ne manquerait pas de mettre en chantier
un changement de coalition gouvernementale. Y aura-t-il le grand retournement
tant espéré par la gauche au niveau de l’Europe ? C’est peu probable au vu
des résultats du 25 mai dernier. Des ajustements, tout au plus…
En définitive
En définitive
En dehors de ces
péripéties constitutionnelles et communicationnelles, force est de constater la
résistance farouche des adeptes du monopole. Croire en une transformation de la
« pensée SNCF » et des ingénieurs
X-Ponts du ferroviaire est un leurre : la SNCF n’a jamais admis que
« d’autres » s’occupent
d’infrastructure et de conception de réseau. Elle s’est toujours considérée
comme détentrice du service universel et comme autorité organisatrice, une
fonction qui ne lui appartient pas. C’est en effet le rôle de l’Etat et des
Régions que de définir le périmètre et les moyens disponibles, pas à une
société publique en solo. Or on constate que d’autres types d’exploitations,
plus légères et réactives, peuvent convenir tout à la fois aux finances et à la
sécurité des personnes, permettant à une autorité organisatrice si cela lui
convient de ressusciter des trafics qui n’intéressent plus la grande maison. A
ceci près qu’une règle prudentielle a été introduite par le député PS Gilles
Savary pour l’avenir : tout projet d’infrastructure décidé politiquement, mais
qui ne pourrait pas être équilibré par les péages versés pour la circulation
des trains, devra être pris à sa charge par celui qui le demande, Etat ou
région. Une bonne chose…
Ce qui est crucial
dans ce dossier, c’est de voir des trains rouler et de manger la croissance des
transports dans l’optique du report modal de demain. Et pour cela, peu importe
le logo estampillé sur les wagons…